«Πνευματική φαρέτρα τοῦ Ὀρθοδόξου Χριστιανοῦ»
PREFACE :
J’avais dix-neuf ans, je m’en souviens, lorsque je pris la route du Verger de la Toute Sainte, qu’est la Sainte Montagne. Ce chemin, qui devait me mener à la vie monastique, me fut indiqué par ma vertueuse mère qui avait les moines en affection, d’ailleurs elle devint moniale sous le nom de Théophano, de bienheureuse mémoire.
Lors des premières années de misère de l’Occupation, lorsque je dus interrompre le lycée pour travailler, un moine de la Sainte Montagne vint pour être le desservant d’une des deux églises des vieux-calendaristes à Volos. C’était un disciple de l’Ancien Joseph l’Hésychaste, comme on l’appelait. Ce hiéromoine de la Sainte Montagne fut pour moi, durant cette période, un conseiller précieux et un aide dans mon parcours spirituel. Il devint mon Père spirituel et sous l’influence de ses récits et de ses conseils, en peu de temps, je commençais à ressentir que mon cœur se détachait du monde attiré par l’appel de la Sainte Montagne. De plus, lorsqu’il me parlait de la vie de l’Ancien Joseph, quelque chose s’enflammait en moi, ma prière devenant aussi ardente que mon désir de le rencontrer.
Lorsque le moment fut venu, le 26 septembre 1947, un petit bateau nous emmena tout doucement, un beau matin, depuis le monde jusqu’à la Sainte Montagne ; on aurait dit que l’on quittait la rive de l’éphémère pour gagner celle de l’éternité.
À l’escale de Sainte-Anne un vénérable Ancien m’attendait, l’Ancien Arsène.
- Ne serais-tu pas Janot de Volos ? Me demanda-t-il
- Oui, l’Ancien, lui répondis-je, mais comment me connaissez-vous ?
- Ah, dit-il l’Ancien Joseph le tient du vénérable Précurseur. Il lui est apparu cette nuit et il lui a dit : « Je t’apporte un agnelet, mets-le dans ton enclos. »
Je m’appliquais à penser au vénérable Précurseur, qui est mon saint patron, car je suis né le jour de sa naissance. Je me sentais plein de reconnaissance pour sa sollicitude.
- Eh bien, Janot, allons-y, me dit l’Ancien Arsène, car l’Ancien nous attend.
Nous commençâmes à monter. Quelles sensations ! Personne ne pourrait les décrire.
Ce soir-là, dans la petite chapelle du vénérable précurseur, qui est creusée dans une caverne, je fis la prosternation de mon obéissance[1]. Là, dans la faible clarté de la chapelle, mon âme fit la connaissance à sa manière avec la lumineuse personnalité de mon saint Ancien.
J’étais le plus jeune de la communauté tant par l’âge que spirituellement. L’Ancien Joseph était l’une des plus grandes figures spirituelles de la Sainte Montagne de notre époque. Je demeurais auprès de lui pendant douze ans, car telle fut aussi la durée de sa vie par la suite. Dieu me jugea digne de le servir jusqu’à son dernier souffle saint. Et il était digne d’être servi, en raison de ses nombreux labeurs spirituels, et des saintes prières qu’il nous laissa comme un précieux héritage spirituel. Quand je le connus, c’était un authentique théophore, et un général spirituel de premier ordre. Bien aguerri dans la lutte contre les passions et les démons. On ne pouvait pas s’approcher de lui, quelque passionné que l’on fut, sans être guéri. Il suffisait seulement de lui faire obéissance.
Pour les moines, il plaçait l’obéissance au-dessus de tout, à l’imitation du Christ. Quant aux laïcs, il préférait mettre en avant la prière intérieure, mais toujours sous la direction d’un guide éprouvé. Car il avait vu beaucoup d’erreurs et il les redoutait. Il disait : « Si tu vois quelqu’un qui ne sollicite pas de conseils ou qui ne met pas en pratique les conseils qu’on lui donne, attends-toi à ce que d’ici peu il soit dans l’erreur. »
Quant à notre règle de vie ascétique, il était très rigoureux. De toute son âme, il aimait « les jeûnes, les veilles et les prières. » Son pain et sa nourriture étaient mesurés et il ne prenait pas de nourriture fraîche s’il savait qu’il en restait de la veille, ou même de l’avant-veille. Concernant le régime des jeunes, il était plus modéré. Car il voyait tant de faiblesses corporelles en nous, qu’il estimait qu’il fallait nous ménager. Mais cette indulgence semblait avoir épuisé toute sa condescendance ; au-delà de cela il était très exigeant. Non pas qu’il ne sache pas pardonner les fautes ou supporter les faiblesses, mais il voulait que nous mobilisions toutes nos forces tant mentales que physiques pour l’ascèse. Car il disait : « Tout ce que nous ne donnons pas à Dieu pour qu’il s’en serve, c’est l’autre qui l’utilise. C’est pour cette raison que Dieu nous a donné le commandement de l’aimer de toute notre âme et de tout notre cœur, afin que le malin ne trouve pas de lieu de repos pour demeurer en nous ».
Nous veillions chaque nuit. C’était notre règle. Il exigeait que nous combattions jusqu’à verser notre sang contre le sommeil et les mauvaises pensées. Lui veillait dans l’obscurité de sa petite cellule, pratiquant avec son inséparable compagnon la prière intérieure de façon ininterrompue.
Bien qu’enfermé dans sa cellule, il paraissait connaître ce qui se passait à l’extérieur : comment nous allions et comment nous nous tirions d’affaire. D’un simple coup d’œil, il lisait nos pensées, et quand il voyait que nous avions besoin d’un remontant spirituel, il nous racontait différents exploits accomplis par les Pères de la Sainte Montagne. Ses récits étaient pleins de charmes et quand il avait commencé de parler, on ne voulait plus qu’il s’arrête. Mais malgré son don inné pour la narration, lorsqu’il en venait à nous parler de l’illumination divine, et des différents états de grâce, il semblait souvent embarrassé, car le pauvre vocabulaire humain ne lui était d’aucun secours pour exprimer ces notions profondes. Il restait comme sans voix, loin de nous, incapable de parler de ce qui se trouve au-delà de l’inconnu, au-delà du lumineux, le sommet le plus élevé des paroles mystiques ; là où se trouvent les simples, absolus, immuables et indicibles mystères de la théologie.
Mon Ancien n’avait pas étudié la théologie, mais il parlait de théologie avec beaucoup de profondeur. Il a écrit dans une de ses lettres : « Lorsque le moine authentique, par l’obéissance et dans la quiétude* (hésychia), a purifié ses sens, apaisé son esprit (noûs), et purgé son cœur, alors il reçoit la grâce et l’illumination de la connaissance[2] en devenant tout entier lumière, tout entier esprit (noûs), tout entier limpidité[3]; alors jaillit la science divine (théologie)[4]. Au point que si trois personnes voulaient écrire ce qu’elles entendent, elles n’auraient pas le temps de décrire ce courant de la grâce qui sourd par vagues en répandant dans tout le corps la sérénité et l’extrême immobilité des passions. Le cœur est embrasé par la grâce divine et s’écrie :’Contient mon Jésus, les vagues de ta grâce, car je fonds comme de la cire’. Et de fait on fond, car on ne peut la supporter. Alors l’esprit (noûs) est ravi en contemplation, un mélange se produit, et la transsubstantiation de l’homme se fait, il ne fait plus qu’un avec Dieu, au point de ne plus pouvoir se connaître ou se distinguer lui-même, comme le fer dans la fournaise qui, une fois chauffé, ne fait plus qu’un avec le feu[5]. »
Selon ces paroles, il semble que la nuée divine, qui est illuminée par la lumière incréée, ne lui était ni inconnue ni inaccessible, mais il la connaissait comme un lieu et un mode de présence de Dieu ; comme un mystère indicible, comme une lumière resplendissante sur-lumineuse. Et tout cela parce que mon Ancien savait prier. Bien des fois, après plusieurs heures de prière du cœur, nous vîmes son visage transfiguré resplendir. Il n’y a rien d’étonnant à ce que la lumière dans laquelle son âme baignait continuellement puisse par moments aussi envelopper son corps. D’ailleurs, l’auréole des saints n’est rien d’autre que ce reflet de la lumière incréée de la grâce, qui resplendit et irradie comme de l’or au milieu d’eux.
La pureté de l’Ancien était remarquable. Je me souviens que lorsque j’entrais le soir dans sa petite cellule, tout embaumait. Je sentais que l’odeur de sa prière imprégnait tout ce qui l’entourait, affectant non seulement nos sens internes, mais aussi externes. Quand il nous parlait de la pureté de l’âme et du corps, il prenait toujours comme exemple notre Toute Sainte :
« Je ne peux vous décrire, disait-il, à quel point notre Toute Sainte aime la chasteté et la pureté. Elle-même est l’unique Vierge pure, c’est pourquoi elle veut et aime que l’on soit ainsi. En outre, il n’y a pas de sacrifice qui soit plus parfumé pour Dieu que la pureté du corps, qui s’acquiert dans le sang et au prix d’un terrible combat’. Et il concluait en disant :’Faites-vous donc violence en purifiant votre âme et votre corps, n’acceptez pas dans votre esprit (noûs) les mauvaises pensées’ ».
Quant au silence, il ne proférait pas une parole sans nécessité. Particulièrement durant le grand carême, alors que lui et le P. Arsène demeuraient seuls, ils gardaient le silence pendant toute la semaine. Ils ne parlaient qu’entre les vêpres du samedi et les complies du dimanche, puis derechef silence jusqu’à la fin de la semaine, se servant de gestes pour communiquer. Puis, ayant constaté la grande utilité spirituelle de l’ascèse du silence, il nous interdit aussi de parler entre nous, ne permettant que nous brisions le silence qu’en cas d’absolue nécessité. Quand il nous envoyait à l’extérieur de notre hésychastère* pour quelque diaconie*, il ne nous permettait de parler à personne. Je me souviens qu’à mon retour, il m’interrogea avec soin pour voir si j’étais resté dans l’obéissance et le silence. Pour une transgression de deux ou trois mots, ma première pénitence fut de deux cents prosternations.
Mais cet homme céleste savait avec tant d’habileté guérir les passions de ses disciples, que le simple fait de demeurer près de lui suffisait pour faire de nous des hommes nouveaux. Mais peu restèrent, alors que beaucoup ne firent que passer. Il n’était facile pour personne de rester près de lui. Sans doute beaucoup auront de la peine à croire que, pour mon humilité, son amour paternel eut recours à tant de rebuffades. Par exemple, pendant les douze années où nous vécûmes ensemble, je n’entendis que peu de fois mon nom dans sa bouche. Pour m’adresser la parole, ou m’appeler, il utilisait toutes les insultes et tous les adjectifs du monde qui les accompagnent. Mais quelle tendresse derrière ces railleries et ces abus ; quel pur intérêt derrière ces insultes ! Et combien mon âme lui est reconnaissante maintenant de ces interventions chirurgicales accomplies par sa langue pure !
Nous restâmes dans le désert pas mal d’années. Mais du fait des diverses privations nous tombâmes presque tous malades. L’Ancien fut informé dans sa prière qu’il fallait que nous descendions plus bas. Là, le climat était plus doux, et les peines moindres en sorte que nous recouvrîmes la santé, à l’exception de l’Ancien ; celui-ci fut malade toute sa vie. Que ce soit à cause du jeûne, ou à cause des souffrances causées par les veilles, ou de la sueur de la prière ou même des tentations, de toute façon il en arriva à ne plus être qu’une plaie. Un jour je lui demandais : « L’Ancien pourquoi après un tel épuisement jeûnez-vous tant encore maintenant ? » Il me répondit : « Maintenant, mon enfant, je jeûne pour que notre bon Dieu vous accorde sa grâce. »
Mais, malgré ses maladies et souffrances corporelles, il ressentait en lui-même une telle richesse et béatitude de l’âme, qu’il avait du mal à la décrire et il disait qu’il y avait en lui quelque chose comme le Paradis.
Finalement vint le moment pour lui de partir. Il avait attendu la mort pendant toute sa vie, car son séjour ici-bas ne fut que combat, peine et souffrance. Son âme désirait ardemment son repos ; et son corps également. Pour notre part, bien que depuis le début il ait solidement planté en nous le souvenir de la mort, sa familiarité avec le « redoutable mystère de la mort », nous impressionna beaucoup. Il semblait se préparer pour une fête, tant sa conscience l’avait informé de la miséricorde divine. Mais les derniers jours, il pleura plus que d’habitude. Alors l’Ancien Arsène lui dit pour le consoler : « L’Ancien, vous vous êtes donné tant de mal, vous avez tant prié durant toute votre existence, versé tant de larmes ; et pourtant vous pleurez ? » L’Ancien le regarda et soupira : « Eh, l’ancien Arsène ! Tout ce que tu as dit est vrai, mais je ne suis qu’un homme. Est-ce que je sais si tout ce que j’ai fait a plu à mon Dieu ? Lui il est Dieu ; il ne juge pas comme nous les hommes. Et est-ce que j’aurai l’occasion de pouvoir revenir pleurer ici ? c’est là ma dernière opportunité. Plus on porte le deuil et l’on pleure, et plus on sera consolé.
Son amour pour la Toute Sainte dépasse toute l’imagination. Il lui suffisait de mentionner son nom pour se mettre à pleurer. Depuis un certain temps, il la suppliait de le prendre pour qu’il puisse se reposer et la Toute pure l’entendit. Elle l’informa un mois avant de son départ. Alors l’Ancien m’appela et m’indiqua ce qu’il fallait préparer. Nous attendîmes.
La veille de sa dormition, le 14 août 1959, M. Schoinas de Volos vint le voir, c’étaient de vieilles connaissances :
- Comment allez-vous, l’Ancien, comment va votre santé ? Lui dit-il.
- Demain, Sotiris, je m’en vais pour la patrie céleste. Lorsque tu entendras les cloches, tu te souviendras de ce que je t’ai dit.
Le soir, lors de la veille de la Dormition de notre Toute Sainte l’Ancien chanta de concert avec les Pères autant qu’il put. Lors de la divine Liturgie, au moment de communier aux mystères très purs, il dit : « Provision pour la vie éternelle. » C’était l’aube du 15 août. L’Ancien était assis dans son petit fauteuil de martyr dans la cour de notre hésychastère, en attendant l’heure et le moment. Il était sûr de l’information que lui avait donnée notre Toute Sainte, mais en voyant le temps passer et le soleil se lever, il sembla être perplexe, ressentir comme une angoisse en raison du retard. C’était la dernière visite du malin. Il m’appela et me dit :
- Mon enfant, pourquoi Dieu tarde à me prendre ? Le soleil se lève et moi je suis encore là !
Voyant l’Ancien s’attrister et presque s’impatienter, je lui dis avec hardiesse :
- L’Ancien ne vous faites pas de souci, maintenant nous nous allons dire la prière et vous allez partir.
Ses larmes s’arrêtèrent. Les Pères, chacun son chapelet à la main, dirent la prière avec véhémence. Un quart d’heure à peine était passé qu’il me dit :
- Appelle les Pères pour qu’ils fassent leur prosternation parce que je m’en vais.
Nous fîmes notre dernière prosternation. Peu après, il leva ses yeux vers le ciel et regarda fixement pendant deux minutes environ. Puis il se tourna vers nous, et plein de sérénité et d’un indescriptible éblouissement spirituel, il nous dit :
- Tout est accompli, je m’en vais, je pars, bénissez !
En disant ces deniers mots il inclina sa tête sur la droite, ouvrit et ferma ses yeux et sa bouche calmement deux ou trois fois, et ce fut tout. Il rendit l’âme dans les mains de celui qu’il recherchait et qu’il servait depuis sa jeunesse.
Il eut une mort vraiment sainte. Elle répandit en nous un sentiment de résurrection. Nous étions en présence d’un mort, et le deuil aurait été approprié, mais en nous-mêmes nous vivions une résurrection, et cette impression ne me quitta plus, et il accompagne désormais le souvenir que je garde du saint Ancien d’éternelle mémoire.
Sa vie en elle-même fut pour nous un enseignement aussi bien écrit qu’oral, car nous connaissions au travers de son expérience la force de ses paroles, et aussi parce que nous avons été sollicités par beaucoup de mettre par écrit l’enseignement de notre saint Ancien, voici que grâce à ce présent ouvrage nous lui donnons désormais l’occasion de s’exprimer en personne au travers de ses lettres.
L’Ancien Joseph était illettré selon le monde, il n’avait à peine atteint la deuxième année de l’école communale. Mais il était un sage es sciences divines, car c’était un théo-didacte. L’Université du désert lui avait enseigné ce dont nous avons avant tout besoin : les réalités célestes.
Nous savons que les paroles de l’Ancien seront utiles aux moines, mais nous savons qu’elles seront aussi utiles pour tous ceux qui dans le monde mènent « le bon combat[6] ». Dieu seul sait à qui d’autres ces lettres pourront être utiles, qu’il en soit selon sa bonté. Cependant un tel enseignement ni ne s’entend facilement, il faut une pensée noble, ni ne se met facilement en pratique, sans combat spirituel et sans beaucoup de labeur.
Nous remercions tout le monde et sollicitons les bénédictions du bienheureux Ancien pour tous ceux qui ont contribué à la présente édition. Nous demandons humblement pardon pour toutes nos lacunes[7].
Archimandrite Éphrem
Ancien Higoumène du saint Monastère de Philothéou sur la Sainte Montagne[8].
PREMIERE LETTRE :
Un jeune pose des questions sur la Prière.
Mon bien-aimé frère en Christ, je prie pour que tu te portes bien. J’ai reçu aujourd’hui ta lettre et je réponds à tout ce que tu m’écris.
Il n’est nullement nécessaire de prendre du temps ou de la peine pour réfléchir à ce qu’il faut te répondre.
La prière mentale est pour moi comme le métier exercé par chacun, de fait je la pratique depuis plus de trente-six ans. À mon arrivée sur la Sainte Montagne, je me suis tout de suite mis à la recherche d’ermites pratiquant la Prière. Il y en avait beaucoup, il y a de cela quarante ans. C’étaient des hommes vertueux, des Anciens de jadis. J’en ai pris un comme Ancien et j’ai reçu des directives de plusieurs autres.
La pratique de la prière mentale consiste à se contraindre soi-même à dire sans cesse la Prière à voix haute et sans interruption. Au début rapidement ; pour ne pas laisser à l’esprit (noûs) le temps de concevoir (schématizô) une pensée qui le distraie[9]. Ne t’attache qu’aux seules paroles : « Seigneur Jésus-Christ aie pitié de moi ». Lorsque la Prière est dite oralement pendant longtemps, l’esprit (noûs) s’y habitue et la dit silencieusement. Tu y prends alors plaisir, comme si tu avais du miel dans la bouche. Tu veux la dire sans cesse. Si tu la délaisses, cela te fait beaucoup de peine.
Quand l’esprit (noûs) y est habitué et en est rassasié – lorsqu’il la connaît bien – il l’envoie alors dans le cœur.
Étant donné que l’esprit (noûs) approvisionne l’âme et que sa besogne consiste à faire descendre tout ce qu’il voit ou entend dans le cœur, qui est le centre de la capacité spirituelle et corporelle de l’homme, le trône de l’esprit (noûs). Lorsque l’orant contrôle son esprit et l’empêche de concevoir (schématizô) quoi que ce soit en faisant porter son attention uniquement sur les mots de la Prière, alors, en respirant légèrement, il le fait descendre dans son cœur en exerçant une certaine contrainte et par un acte de son vouloir. Il l’y maintient, comme en réclusion, en disant en rythme la Prière : Seigneur Jésus-Christ aie pitié de moi !
Au début, il dit plusieurs fois la Prière, et reprend son haleine. Par la suite, lorsque l’esprit a pris l’habitude de se tenir dans le cœur, à chaque souffle, il dit une prière.
Seigneur Jésus-Christ : il inspire, aie pitié de moi : il expire. Ceci jusqu’à ce que la grâce l’ombrage et commence à agir dans son âme. Au-delà, c’est le domaine de la contemplation.
Par conséquent, on peut dire la Prière partout : que l’on soit assis, allongé, et même en marchant ou encore debout.
« Priez sans cesse, rendez grâce en toute circonstance [10]», dit l’Apôtre.
Il ne s’agit pas de prier seulement avant d’aller dormir. Il faut lutter : debout comme assis. Quand tu es fatigué, assieds-toi puis relève-toi ; pour ne pas être pris par le sommeil.
C’est ce que l’on appelle la praxis (action)*. Tu montres ainsi ta disposition à te tourner vers Dieu ; mais il dépend de lui qu’il t’accorde quelque chose ou pas. Sa grâce est la force qui meut toute chose. C’est, elle la force motrice.
Comment se produit et agit l’amour, c’est ce que tu apprendras en observant les s. Lorsque toi tu te lèves la nuit pour prier, lorsque tu vois un malade et que tu le prends en compassion, lorsque tu vois une veuve avec ses enfants, ou des vieillards et que tu les prends en pitié, c’est alors que Dieu t’aime. C’est alors aussi que toi tu l’aimes. Lui t’aime le premier, et répand sa grâce[11]. Nous aussi nous lui retournons ce qui est à lui : « Ce qui est à Toi, le tenant de Toi[12] ». Nous Te le rendons.
Si donc tu cherches à le trouver uniquement au moyen de la Prière, ne laisse pas un souffle sans Prière. Veille uniquement à ne pas accueillir d’imaginations[13] (phantasies). Car le Divin est sans forme, dépourvu d’image mentale (phantastov), sans couleur ; il est au-delà de la perfection. Il ne répond pas aux syllogismes. Il agit dans notre intellect (dianoia) comme une brise légère[14].
La componction[15]* vient quand tu te rends compte combien tu as attristé Dieu. Lui qui est si obligeant, si doux, si compatissant, si bon, et tout entier plein d’amour. Lui qui a été crucifié et a tout subi pour nous. Quand tu médites sur cela et sur les autres choses que le Seigneur a subies pour nous, tu es porté à la componction.
Ainsi, si tu peux dire la Prière à haute voix et sans cesse, en deux ou trois mois tu peux en acquérir l’habitude. Alors la grâce t’ombragera et te rafraîchira. Seulement il faut que tu la dises à haute voix et sans interruption. Lorsque l’esprit (noûs) la recevra, alors tu cesseras de la dire à haute voix. À l’inverse, lorsque l’esprit la délaisse, la langue reprend son ouvrage. La contrainte est tout entière concentrée sur la parole, jusqu’à ce que la langue y soit habituée dans un premier temps, par la suite, durant toutes les années de ton existence, ton esprit la dira sans peine.
Si tu viens, comme tu me l’as dit sur la Sainte Montagne, viens donc nous voir. Mais nous parlerons alors d’autres choses. Tu n’auras pas de temps à consacrer à la Prière. Tu trouveras la Prière lorsque ton intellect est en repos. Mais puisque alors tu visiteras les Monastères, ton esprit sera occupé par tout ce qu’il entendra et verra.
Je suis certain que tu finiras par trouver la Prière. N’en doute pas. Tu n’as qu’à frapper directement à la porte de la miséricorde divine et le Christ t’ouvrira à coup sûr, le contraire est impossible. Aime-le beaucoup, pour recevoir beaucoup. L’importance de son don, grand ou petit, dépend de celle de ton amour pour Lui.
DEUXIEME LETTRE :
Au même, sur la Prière, et réponse aux questions.
Ton empressement à être utile à ton âme m’a grandement réjoui. Moi aussi, j’ai soif d’être utile à chaque frère qui recherche son salut.
Ainsi, cher frère bien-aimé, ouvre tes oreilles. Depuis sa naissance dans cette vie, l’homme est destiné à trouver Dieu. Cependant, il ne peut pas le trouver, si Dieu ne l’a pas trouvé auparavant : « Car c’est en lui que nous vivons et que nous nous mouvons. [16]» Mais les passions ont aveuglé les yeux de notre âme et nous ne voyons plus. Mais lorsque le Dieu très bon tourne vers nous son œil, c’est comme si nous nous réveillions du sommeil, et nous commençons à rechercher notre salut.
Ce qui répond à ta première question : Maintenant Dieu t’a vu, il t’a illuminé et il te guide. Continue à travailler là où tu te trouves. Dis la prière sans cesse, en te servant de ta langue et de ton esprit (noûs). Quand la langue est fatiguée, que l’esprit prenne le relais. Et réciproquement, lorsque l’esprit est fatigué, que la langue commence. Prends garde seulement à ne pas t’arrêter. Fais beaucoup de prosternations. Veille la nuit tant que tu peux. Et si une flamme s’allume dans ton cœur par amour pour Dieu, et que tu en viennes à rechercher la quiétude (hésychia*), alors que tu ne peux rester dans le monde parce qu’en toi brille la flamme de la Prière, alors écris-moi et je te dirai que faire.
Si en revanche la grâce n’agit pas ainsi, et que ton zèle se limite à pratiquer les préceptes du Seigneur à l’égard du prochain, alors vis tranquillement (hésychazo) tel que tu es, et tu t’en trouveras bien ; ne recherche rien d’autre. Tu découvriras la différence entre trente, soixante, cent[17], en lisant l’Évergétinos*. Tu y trouveras bien d’autres enseignements qui te seront utiles.
Donc, réponse à la deuxième question : la Prière doit être dite avec la parole intérieure. Mais puisque au début l’esprit n’y est pas habitué, il l’oublie. C’est pourquoi il l’a dit tantôt oralement et tantôt mentalement. Cela se produit jusqu’à ce que l’esprit en soit rassasié et devienne le lieu de l’action de la grâce.
Cette « énergie » de la grâce en toi se dit de ce que tu ressens en toi lorsque tu dis la Prière : la joie et l’allégresse, au point de vouloir la dire sans cesse. Lorsque l’esprit accueille la Prière et que la joie dont je te parle se manifeste, la prière se dira en toi sans cesse, sans effort de ta part. C’est ce que l’on appelle l’action sensible de la grâce ; puisque la grâce agit sans la volonté de l’homme. Il mange, marche, dort, se réveille alors qu’en lui la prière crie sans cesse. Et il éprouve de la paix, de la joie.
Maintenant pour ce qui est des temps de Prière ; puisque tu vis dans le monde et que tu as différentes préoccupations, quand tu en trouves le temps dis la Prière. Mais force toi sans cesse, pour ne pas être négligent. Quant à la « contemplation » dont tu parles, pour le moment c’est difficile, car cela requiert une quiétude (hésychia) parfaite.
La vie spirituelle se divise en trois phases, et la grâce agit dans l’homme corrélativement. La première étape est nommée purification*, durant cette période l’homme se purifie. Celle où tu te trouves en ce moment se nomme : « purification de la grâce ». Cette forme de grâce suscite le repentir. Toute l’appétence que tu éprouves pour les choses spirituelles est le fruit de la grâce. Rien ne vient de toi. Elle agit de façon cachée pour tout. Cette grâce donc, quant tu te donnes du mal, demeure en toi un nombre déterminé d’années. Et, si la personne progresse grâce à la prière mentale, elle reçoit une autre grâce très différente.
La première, comme on l’a dit, s’appelle : « sensation de l’action de la grâce », c’est cette purification que ressent l’orant lorsque l’énergie divine agit en lui.
La deuxième étape c’est la grâce illuminatrice. Pendant cette phase, on reçoit la lumière de la connaissance[18], c’est le domaine de la contemplation de Dieu. Cela ne veut pas dire voir des lumières, avoir des imaginations, des images mentales, mais plutôt la limpidité de l’esprit, la pureté des pensées, la profondeur des idées. Pour y parvenir, l’orant doit avoir beaucoup de quiétude (hésychia) et un guide sûr.
La troisième phase, l’ombrage de la grâce, c’est après ceux-ci la grâce de la perfection[19], c’est un grand don. Je ne t’écris pas à son sujet, puisque aussi cela ne s’impose pas. Si malgré tout tu désires lire quelque chose à ce sujet, j’ai écrit malgré mon manque d’instruction, une petite brochure manuscrite appelée « La trompette mue par la grâce[20] », alors que ces manifestations de la grâce se produisaient. Cherche à te la procurer.
Achète aussi l’ouvrage de S.Macaire auprès de M. Schoina, l’Abbé Isaac le Syrien te sera aussi très utile. De plus écris-moi au sujet de tout changement que tu subis, je te répondrai avec beaucoup d’empressement.
En ce moment je ne cesse d’écrire à ceux qui m’interrogent. Cette année des gens sont venus d’Allemagne seulement pour s’informer de la prière mentale. On m’écrit d’Amérique avec tant d’empressement. À Paris, il y en a aussi beaucoup qui cherchent avec ferveur. Mais nous qui avons tout à nos pieds, pourquoi sommes-nous si négligents ? Est-ce vraiment un travail accablant que de crier sans cesse le nom du Christ pour qu’il ait pitié de nous ?
Enfin, une idée ténébreuse de la tentation prévaut : selon laquelle si quelqu’un vient à dire la Prière, il risque d’errer ; c’est bien plutôt celui qui dit cela qui erre.
Celui qui le veut n’a qu’à essayer. Une fois que la prière a agi pendant une longue période, il sentira le Paradis en lui. Il sera libéré des passions, il deviendra un autre homme. Si de plus il se trouve au désert, Oh ! Oh ! Les bienfaits de la Prière sont indicibles !
TROISIEME LETTRE :
À un moine, qui entre dans l’arène du combat.
Réjouis-toi dans le Seigneur, mon enfant bien-aimé, toi que la grâce de Jésus a illuminé et qui t’est affranchi du monde. Toi qui t’es précipité dans le Désert, qui est rentré dans le bercail de la vie cénobitique, avec une sainte Communauté et qui désormais rend grâces et remercie Dieu du fond du cœur.
La grâce divine, mon enfant, est comme un appât qui entre dans le cœur, et sans violence attire l’homme vers des réalités supérieures plus élevées. Elle connaît la manière d’attraper les poissons rationnels, pour les soustraire à l’océan du monde. Mais qu’advient-il après ?
Une fois que Dieu a conduit l’aspirant à la vie monastique hors du monde et l’a mené au désert, il ne lui montre pas tout de suite quelles sont ses passions ou ses tentations, il attend qu’il devienne moine et que le Christ le lie de sa crainte. Alors seulement commence l’épreuve, le combat et la lutte.
Et, si un novice, dès le commencement, prend les devants, et se dépêche d’allumer par son combat la torche de l’ascèse, elle ne s’éteindra pas, lorsque la grâce se retire, et que viennent les tentations. Sinon, lorsque la grâce se retire, il reviendra à son état initial. Et, proportionnellement aux passions qu’il avait dans le monde, les passions se dresseront et raviveront les habitudes antérieures, qui l’asservissaient et il sera réduit en esclavage.
En premier lieu, mon enfant, sache qu’il y a beaucoup de différences entre un homme et un autre, et d’un moine à l’autre. Il y a des âmes qui ont un caractère doux et sont aisément convaincues. Mais il y a aussi des âmes qui ayant un caractère rude ne se soumettent pas facilement. Elles sont aussi différentes que le coton l’est du fer. Le coton a simplement besoin d’être enduit de paroles. Mais pour le fer, il faut du feu et la fournaise des tentations pour être apte à être travaillé. Une telle âme doit être patiente dans les tentations pour que la purification se produise. Lorsqu’un moine n’a pas de patience, il est semblable à une lampe sans huile, qui s’éteint rapidement et il s’égare.
Ainsi, lorsqu’une personne douée d’une nature dure comme le fer vient pour être moine, dès qu’il pénètre dans l’arène, il rejette l’obéissance. Aussitôt, il viole ses promesses et renonce au combat. Ainsi, tu vois que dès que la grâce se retire un peu pour éprouver sa disposition et sa patience, aussitôt celui-ci dépose les armes et se met à regretter d’être venu se faire moine. Il passe alors ses jours plein de désobéissance et d’amertume, il n’est plus que contradiction et suffisance.
Par les prières de son Ancien, la grâce disperse un peu les nuées des tentations, pour qu’il reprenne un peu ses esprits et qu’il se réveille. Mais tout de suite après il revient à sa volonté propre, à la désobéissance, à l’agitation, à la confusion.
Tu m’écris pour m’exprimer ta surprise car le frère que tu as vu là-bas a beau se donner beaucoup de mal pour effectuer son travail monastique (diakonia), derechef intérieurement son égoïsme le domine. Mais penses-tu qu’il soit facile pour un homme de vaincre une passion ?
Les bonnes actions et les aumônes ainsi que tous les actes bienfaisants extérieurement ne viennent pas à bout de l’arrogance du cœur ; mais l’occupation intellectuelle, la peine du repentir, la contrition et l’humilité, voilà ce qui rend humble l’esprit insoumis. Un homme insoumis est aussi insupportable que pénible. Il ne peut être dirigé qu’avec une patience extrême. Ce n’est que grâce à la plus extrême patience de leurs Anciens, la tolérance et l’amour de leurs frères que les disciples à la nuque raide peuvent reprendre leurs esprits. Note bien que ceux-ci aussi peuvent souvent être aussi utiles qu’une main droite. Car presque toujours de telles personnes, qui sont d’une certaine façon plus douées que les autres, s’humilient difficilement. Ils ont une haute opinion d’eux-mêmes, et une piètre opinion des autres.
Il faut donc beaucoup de peine et de patience jusqu’à ce que soit mis à jour le fondement de ce vieil orgueil, et qu’il soit remplacé par celui de l’humilité et de l’obéissance au Christ. Mais le Seigneur, en voyant leurs efforts et leurs bonnes volontés ainsi que celle des autres, octroi une autre tentation, qui contrebalance leur passion, et, dans sa miséricorde, il les sauve eux aussi, lui qui : « Veut que tout le monde soit sauvé[21] ». Quant à toi, considère à qui tu veux ressembler. Ce serait parfait si tout le monde avait un bon caractère, humble et obéissant. Mais s’il se trouve que la nature d’une personne est dure comme celle du fer, qu’il ne désespère pas. Il a besoin de combattre, mais avec la grâce de Dieu, il peut vaincre. De fait Dieu n’est pas injuste dans ce qu’il demande, mais il requiert un paiement qui soit équivalent aux dons qu’il a donnés.
Car depuis le début de la création, il a divisé les hommes en trois classes. Aux uns il a donné cinq talents, aux autres deux, et aux derniers un seul.
Les premiers ont les charismes les plus élevés : une grande amplitude d’esprit (noûs), et on les appelle : « théo-didactes », parce qu’ils reçoivent leur savoir directement de Dieu sans avoir besoin d’un maître. Comme étaient dans l’ancien temps S.Antoine le Grand, S. Onuphre, Ste. Marie l’Égyptienne, Cyrille Phileotes, Luc de Steirion, et des milliers d’autres qui autrefois devinrent parfaits sans recourir à un guide.
Aux seconds, il faut enseigner ce qui est bien pour qu’ils fassent. Quant aux troisièmes, qu’ils entendent ou qu’ils apprennent, c’est peine perdue, ils ne font rien.
C’est la raison pour laquelle il y a une telle différence entre les hommes comme entre les moines que tu vois. C’est pourquoi, avant tout : « Connais-toi toi-même ». C’est-à-dire connais-toi, tel que tu es. Qui tu es vraiment, non pas celui que tu t’imagines être. Pourvu d’une telle connaissance tu deviendras le plus sage des hommes. Pourvu d’une telle conscience, tu atteindras l’humilité et tu recevras la grâce de Dieu. Cependant si tu n’acquiers pas une telle connaissance de soi, mais que tu ne comptes que sur la peine que tu te donnes, sache que tu resteras toujours loin de la voie. Le prophète ne dit pas : « Seigneur, vois mon labeur », mais : « Vois mon humilité et mon labeur[22]. » Ce que le labeur est pour le corps, l’humilité l’est pour l’âme ; et en outre les deux ensemble, le labeur et l’humilité, sont pour l’homme dans sa totalité.
Qui a vaincu le diable ? Celui qui a pris connaissance de sa propre faiblesse, de ses passions et de ses défauts. Celui qui a peur de se connaître lui-même, celui-là reste loin de la connaissance ; et il n’aime rien d’autre que de voir des défauts chez les autres et les juger. Il ne voit pas les talents des autres, mais uniquement leurs défauts, et il ne voit pas chez lui de défauts mais que des qualités. Cela, c’est vraiment la plaie dont nous souffrons, nous les hommes du Huitième Millénaire[23] : personne ne reconnaît le talent de l’autre. Une personne peut être privé de beaucoup, mais beaucoup bénéficient de tous. Ce dont une personne manque, l’autre le possède. Et, si nous reconnaissons cela, cela suscitera beaucoup d’humilité. Car Dieu orna les hommes de bien des façons et manifesta de l’inégalité dans tout ce qu’il a créé est glorifié et honoré. Non pas comme les impies qui s’acharnent à apporter l’égalité en bouleversant la création divine. Dieu a tout fait avec sagesse[24]
C’est pourquoi mon enfant, dès lors que tu commences, prends soin de bien te connaître toi-même, afin de poser comme fondement solide l’humilité. Prends soin de t’appliquer à obéir, pour acquérir la Prière.
Que : « Seigneur Jésus-Christ aie pitié de moi. », soit ta respiration[25].
Ne laisse pas ton esprit (noûs) oisif, pour que des choses mauvaises ne te soient pas enseignées. Ne te laisse pas aller à considérer les défauts des autres, parce que, sans t’en rendre compte tu te retrouveras collaborateur du mauvais et incapable de faire le bien. Ne deviens pas l’allié par ignorance, de l’ennemi de ton âme.
L’ennemi ingénieux sait très bien se cacher derrière les passions et les faiblesses. Ainsi pour le frapper, il faut que tu luttes contre toi-même et que tu te mortifies – c’est-à-dire que tu mortifies toutes tes passions. Lorsque le : « vieil homme[26] » meurt, alors est abolie la puissance de l’ennemi et de l’adversaire.
Nous ne nous battons pas contre un homme, qui peut éventuellement être mis à mort de multiples façons, mais contre les puissances et les dominations des ténèbres. Nous ne nous battons pas avec des gâteaux et des loukoums, mais avec des flots de larmes, avec la souffrance de l’âme jusqu’à la mort, avec l’humilité extrême et la plus grande patience. Que le sang coule en raison de notre extrême épuisement à dire la Prière. Puisses-tu t’effondrer épuisé pendant des semaines, comme si tu étais gravement malade. Puisses-tu ne pas abandonner le combat, jusqu’à ce que les démons soient vaincus et se retirent. Alors tu recevras la libération des passions.
Donc, mon enfant, efforce-toi dès le début de rentrer par la porte étroite ; car elle seule conduit à l’étendue du Paradis. Retranche chaque jour et à chaque instant ta volonté propre et ne cherche pas d’autre issue que cette porte. Tel est le chemin que les pieds des Saints Pères ont foulé. Révèle toi aussi ton chemin au Seigneur et lui aussi te guidera. Dévoile tes pensées à ton Ancien, et il te guérira. Ne cache jamais ta pensée, car en elle se trouve dissimulée la ruse du diable ; elle disparaît lorsqu’on la révèle. Ne dénonce pas la faute de quelqu’un d’autre pour justifier la tienne, car aussitôt la grâce, qui ta recouverte jusqu’ici révélera les tiennes. Plus tu couvres ton frère par amour, plus la grâce te réchauffera et te protégera des calomnies des hommes.
Quant à l’autre frère que tu mentionnes, il semble qu’il a des péchés non confessés, parce qu’il a honte de les avouer à son Ancien. C’est pourquoi la tentation se produit. Mais il faut qu’il rectifie ce comportement incorrect, car sans confession franche, on ne peut être purifié. C’est péché que d’être ridiculisé par les démons. L’égoïsme se dissimule tout au fond. Puisse le Seigneur l’illuminer pour qu’il reprenne ses esprits. Toi, prie et aime le comme les autres, mais garde toi de tous.
De toute façon, maintenant que tu as pénétré sur l’arène, tu vas être éprouvé par toutes sortes de tentations, et prépares toi à prendre patience. Dis sans cesse la Prière et le Seigneur te viendra en aide avec sa grâce. Les tentations ne sont jamais plus fortes que la grâce[27].
Quatrième lettre :
Mon enfant si tu fais attention à tout ce que je t’écris.
Mon enfant, si tu fais attention à tout ce que je t’écris et si tu te fais violence à toi-même, tu en retireras un grand bénéfice. Tout cela t’arrive parce que tu n’es pas empressé à dire la Prière. Fais toi violence[28]. Dis sans cesse la Prière. Ne donne aucun repos à ta bouche. De cette façon, tu en acquérras l’habitude intérieurement et par la suite, l’esprit (noûs), la recueillera. Ne te risque pas à avoir des pensées, parce que tu t’amolliras et tu seras souillé.
Prie, fais continuellement violence à la nature[29], tu verras alors combien de grâce tu recevras.
La vie de l’homme, mon enfant, est un deuil, parce qu’il est en exil. Ne recherche pas le repos parfait. Notre Christ a porté la croix, et nous aussi nous aurons à la porter à notre tour. Si nous supportons patiemment toutes les afflictions, nous trouverons grâce auprès de Dieu. C’est pour cela que le Seigneur nous laisse être tenté, pour éprouver notre zèle et notre amour pour Lui. C’est pour cela qu’il faut de la patience. Sans patience, l’homme ne peut acquérir de l’expérience, prendre connaissance des choses spirituelles, ni avoir de l’opulence dans le domaine de la vertu et de la perfection.
Aime Jésus et dis sans cesse la Prière et elle t’illuminera sur Son chemin.
Veille à ne pas blâmer. Parce qu’alors Dieu permettra à la grâce de se retirer et le Seigneur te laissera chuter et être humilié, pour que tu voies tes propres fautes.
Tout ce que tu m’as écrit est bien. Ce que tu as ressenti en premier c’est la grâce de Dieu, qui, lorsqu’elle arrive, rend l’homme spirituel. Tout alors lui semble bel et bon. Alors, il aime tout le monde, il a de la componction, des larmes, des prières ferventes. Mais lorsque la grâce se retire pour éprouver l’homme, il n’est plus que charnel, et l’âme tombe. Mais toi cependant ne perd pas ton empressement, mais crie sans cesse la Prière ; avec violence, de force, au milieu de beaucoup de souffrance.
- Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi !
Encore et sans cesse la même chose. Et, comme si tu contemplais le Christ, dis lui : « Je te remercie, mon doux Christ, pour les bienfaits dont tu m’as gratifié et pour les maux dont je souffre. Gloire à toi, gloire à toi, mon Dieu. » En étant patient, à nouveau viendra la grâce, et derechef viendra la joie, mais aussi la tentation, le chagrin, l’agitation et l’irritabilité, tout comme aussi le combat, la victoire, l ‘action de grâces. Ceci advient jusqu’à ce que petit à petit tu sois purifié des passions et que tu deviennes spirituel. Et avec le temps, en vieillissant tu arrives à l’impassibilité (apatheia). Mais tu dois combattre. Ne t’attends pas à ce que les bienfaits arrivent d’eux-mêmes. On ne fait pas des moines avec des lits de plumes. Un moine doit être insulté, raillé, éprouvé. Il doit tomber pour se relever et devenir un homme. Non pas dans le giron de sa maman. Est-ce possible, a t’on jamais entendu dire que quelqu’un ait pu devenir moine en vivant auprès de sa mère ? Tu n’as pas le temps de dire ouf ! Qu’elle te dit : « Mange pour ne pas tomber malade ! »
L’ascèse, mon enfant, requiert des privations. On ne trouve pas la vertu dans le luxe et la facilité. Il faut beaucoup de combats et de peines. Il faut crier jour et nuit vers le Christ. Il faut de la patience dans toutes les épreuves et les afflictions. Il faut annihiler la partie irascible et la partie désirante de l’âme.
Tu te fatigueras beaucoup avant de comprendre que la prière sans attention[30] * (prosoché) et sans vigilance (népsis) est une perte de temps. Il faut que tu établisses l’attention comme une garde vigilante sur les sens tant internes qu’externes. Car sans elle aussi bien les puissances de l’esprit (noûs) comme celles de l’âme sont gaspillées en vain et vulgairement, comme l’eau inutilisée qui court dans les caniveaux. Personne n’est jamais arrivé à la Prière sans l’attention et la vigilance (népsis). Jamais personne n’a été jugé digne de s’élever vers les réalités supérieures, sans avoir au préalable méprisé celles d’ici-bas. Souvent, lorsque tu pries, ton esprit vagabonde là où cela lui plaît, c’est-à-dire vers tout ce qui l’attire habituellement. Il faut beaucoup de contrainte pour l’en détacher, pour se concentrer sur les mots de la Prière.
Souvent l’ennemi s’insinue perfidement dans ta pensée, ton ouie, ta vue, sans que tu t’en rendes compte. Par la suite tu t’en aperçois et tu veux combattre pour t’en purifier. Cependant ne cesse pas de lutter contre la malice des démons. Par la grâce du Christ tu vaincras et tu te réjouiras en proportion de ce que tu as souffert.
De plus, prends garde – et dis le aussi aux autres – de ne pas vous féliciter les uns les autres ouvertement, car si un compliment cause du tort au parfait, combien plus à vous qui êtes encore faibles.
Un Saint dit trois fois à un hôte qu’il était préoccupé par son travail manuel. La troisième fois, le Saint lui dit : « Depuis que tu es rentré ici, tu as chassé Dieu de ma présence ! »
Tu vois quelle acribie ont les saints ? C’est pourquoi pour tout cela il faut beaucoup d’attention. Seules les insultes et les injures servent spirituellement à l’homme. Parce que de là naît l’humilité. Il y gagne des couronnes. Une annihilation continuelle de l’égoïsme et de la vaine gloire. C’est pourquoi, quand on t’insulte en disant : « Égoïste, arrogant, hypocrite, impatient & », c’est le moment de prendre patience. Si tu argumentes, tu es perdu.
Aie donc constamment la crainte de Dieu. Aime tout le monde et prends garde de ne pas affliger ni de faire du tort à qui que ce soit, car alors au moment de la prière l’affliction de ton frère te sera un obstacle. Sois un bon exemple pour tous par tes paroles et tes actions et la grâce divine t’aidera et te protégera toujours.
Veille, mon enfant, à ne jamais oublier que, durant toute son existence, le moine se doit d’être un exemple pour les gens du monde et non un objet de scandale ; de même qu’à son tour il prend exemple des anges[31] Il relève en conséquence de son devoir d’être très vigilant pour que Satan ne le ravisse pas.
Est-il nécessaire à un moine d’aller dans le monde ? Qu’il y aille. Mais il se doit d’être tout œil et tout éclat : qu’il voie bien, pour qu’il ne subisse aucun dommage en tentant de venir en aide aux autres. Les jeunes moines et moniales qui sont dans la fleur de l’âge sont particulièrement en danger, car ils s’avancent au milieu de nombreux pièges. Quant à ceux qui ont atteint l’âge mûr et qui sont marqués par l’ascèse, ils sont beaucoup moins en danger. Ils sont moins lésés que bénéficiaires, s’ils ont de l’expérience et du savoir.
Mais en général, un moine ne retire aucun bénéfice du monde, seulement des louanges et de la gloire, qui le lessivent et il reste nu. Et malheur à lui, si la grâce divine ne le protège pas proportionnellement au besoin et à l’intention qu’il a poursuivi en sortant dans le monde.
Cinquième lettre :
Ne te revêts pas seulement de feuillage[32].
Mon enfant bien-aimé dans le Seigneur, fruit de l’Esprit Saint. Je me réjouis si tu te réjouis. Les Dominations et les Puissances se réjouissent comme les Chérubins et les Séraphins, les armées angéliques, les chœurs des Apôtres et des Prophètes, des Martyrs et des Justes, ainsi que notre Mère très pure, Reine et Dame de toutes choses.
Aujourd’hui tu as fait plaisir à mon âme avec ce que tu as écrit avec l’encre et le papier.
Je serai vraiment enchanté et je me réjouirai d’avantage, si tu confirmes ce que tu m’écris aujourd’hui en allant jusqu’au bout.
De fait, la guerre avec l’ennemi commence après trois ou quatre ans. Car la grâce alors se retire pour mettre à l’épreuve la personne. Et le cierge s’éteint. Et les belles apparences de maintenant - qui sont effectivement belles - alors semblent laides, noires et obscures. C’est pourquoi ne considère pas le moins du monde ce qui t’arrive comme étant des tentations. Car quelqu’un d’autre veille. Et, puisque, mon enfant bien aimé, tu requiers de mon humble personne un conseil écoute :
Ne te revêts pas seulement de feuillage, mais lance tes racines en profondeur pour trouver une source, comme le font les platanes, pour être irrigués en permanence par l’eau, et pour germer sans cesse. Ainsi lorsque la sécheresse surviendra, tu ne souffriras d’aucune altération. Puisque tu as trouvé ta propre source. Et lorsque le cierge que tu tiens maintenant s’éteint, tu en auras allumé un autre par tes œuvres. Et tu ne pâtiras nullement de l’obscurité. La méthode pour acquérir ces grâces consiste en cela :
En premier lieu à obéir parfaitement et sans discernement à tous. Cette obéissance suscite l’humilité. Le signe distinctif de l’humilité ce sont les larmes innombrables, qui au bout de trois ou quatre ans coulent à la façon d’une source. Les larmes engendrent la prière ininterrompue, nommée prière mentale. De sorte que dès que tu dis : « Mon très doux Jésus », les larmes coulent. À peine tu dis : « Ma toute Sainte ! », tu ne peux pas les contenir. Alors, de ces larmes sourd une sérénité dans tout le corps et une paix parfaite.
Un jour un frère voulu se contrôler lui-même - car les larmes avaient commencé et quelqu’un frappait à la porte – et il ne le pût pas jusqu’à ce qu’il s’en aille ; tellement leur force est grande.
Donc, si tu acquiers cela, ne crains pas de pâtir d’une altération. Car tu es devenu un homme d’une autre nature. Non pas que la nature change, mais la grâce modifie ses propriétés par les énergies divines de Dieu. Ce que l’on appelle les « typiques [33]», se doivent d’inclure une substance, comme le feuillage des arbres recouvre des fruits.
La psalmodie doit être faite humblement. L’esprit (noûs) se doit d’être à l’affût de la signification du tropaire. Que l’intellect (dianoia) soit fortifié par les productions de l’esprit et qu’il soit exhaussé par leur contemplation.
Que la lecture, de la même façon, soit faite avec beaucoup d’attention. En sorte qu’avec toutes ces choses l’âme croît. Le vieil homme s’efface, meurt et l’homme nouveau est renouvelé, et déborde d’amour pour le Christ. Alors l’homme ne trouve plus aucun plaisir dans ce qui est terrestre, mais sans cesse convoite les choses célestes.
Il en est de même pour le corps ; il faut qu’il combatte de toutes ses forces. Qu’il soit toujours asservi à l’esprit (pneuma). Ne le plaint en aucune façon. Et, que tu manges ou que tu travailles, ne cesse pas de dire la Prière.
Pendant toutes les prières, l’esprit (noûs) doit suivre et comprendre ce pourquoi tu pries et ce que tu dis. Car, si tu ne comprends pas ce que tu dis, comment pourrais-tu être en intelligence avec Dieu, afin qu’il t’accorde tout ce que tu demandes ?
Si tu observes tout cela, tu t’en trouveras bien. Sauvé pour toujours et moi remplis de joie ; mais si par négligence tu désobéis, tu deviendras une cause d’affliction pour beaucoup.
Sixième lettre :
Tu écris au sujet de la colère dans le cœur de l’insensé.
Ainsi, écoute moi derechef.
Établis un fondement solide. Construis-toi un beau petit palais aux cieux. Purifie l’intérieur de la coupe, ainsi que nous l’enseigne le Seigneur, pour que l’extérieur soit pur aussi. Car tout ce qui est accompli par le corps est comme un feuillage, qui orne l’homme extérieur. Tout cela est bel et bon, mais tout ce que je t’ai écrit auparavant traite de ce qui purifie l’homme intérieurement. C’est cela qui ouvrira les yeux de l’âme. C’est en partant de ces choses que le cœur sera purifié pour voir Dieu en ce jour. Car sans l’œuvre mentale, l’utilité des œuvres extérieures est faible.
Si tu ne vois pas les larmes couler à chaque fois que tu fais souvenir de Dieu, tu souffres d’ignorance, laquelle produit l’orgueil et la dureté du cœur.
Que l’humilité te soit donc un vêtement dans toutes tes actions, et deviens une éponge dans la fraternité qui nettoie toute injure et avilissement ; abreuve ton âme non pas d’honneur et de louanges, mais d’injures, de blâmes, comme un irresponsable.
Au grand jamais ne cherche à trouver ce qui est juste, car alors tu auras l’injuste. Mais apprends à supporter courageusement les tentations, quelque soient celles auxquelles le Seigneur te soumet. Sans beaucoup de justifications, dis : « Bénissez ! » et, sans avoir fauté, repents-toi parce que tu as failli. Agis ainsi en conscience et non pas extérieurement, pour la louange, alors qu’intérieurement tu condamnes.
Dans tes moments d’afflictions ne recherche pas de consolation auprès des hommes, afin d’être consolé par Dieu.
Le pont que nous devons tous traverser, c’est de pardonner aux fautifs, mais si tu ne pardonnes pas à celui qui a été injuste, tu détruits le pont par lequel tu voulais passer. Deviens donc un bon modèle et un exemple pour les autres par tes œuvres bonnes et agréables au Seigneur, et ne cherche pas à défaire sans cesse les autres avec ta langue.
Ne pense pas trouver le repos, quand tu parles, si tu cherches à trouver ce qui est juste. Le juste c’est de supporter courageusement la tentation qui survient pour sortir vainqueur, que tu sois ou non fautif. Mais si tu dis : « Mais pourquoi ? » tu combats contre Dieu, qui envoie les afflictions[34]à cause de ta condition d’être passionné. Dieu nous punit, pour que nous parvenions à l’apatheia. Et, si tu les supportes pas, tu batailles vraiment contre Dieu.
Tu m’écris au sujet de la colère dans le cœur de l’insensé. La colère par elle-même est naturelle. Comme les nerfs qui sont dans le corps. Elle aussi est le nerf de l’âme. Et il convient que chacun s’en serve contre les démons, les hérétiques, et quiconque nous détourne du chemin qui conduit à Dieu. Mais si tu te mets en colère contre les frères avec lesquels tu vis ou, si étant hors de toi-même tu détruis les œuvres de tes mains, sache que tu es atteint de vaine gloire et que tu mésuses du nerf de l’âme. On s’en délivre par l’amour à l’égard de tous et l’authentique humilité.
C’est pourquoi, lorsque tu sens que la colère monte, ferme la bouche fortement, et ne parle pas à celui qui t’insulte, te déshonore, te fait des reproches, ou qui te froisse de multiples façons sans raison. Alors ce serpent s’enroulera dans ton cœur, montera jusqu’à ta gorge, et comme tu ne lui donnes pas d’issue, il suffoquera et crèvera Et lorsque cela est répété plusieurs fois, ça diminuera et finira par disparaître complètement.
Du fait que l’homme est une créature rationnelle et paisible, on le met à la raison d’une façon incomparablement meilleure au moyen de l’amour et de la manière douce, plutôt que par la colère et la rudesse. Moi aussi j’ai trouvé cela après avoir traversé des épreuves nombreuses et considérables. Avec la bonté et l’amour, tu peux réussir à calmer beaucoup de gens. Et si quelqu’un est bien disposé, tu peux le faire fléchir rapidement, et devenir un ange de Dieu.
Donc je dis cela à ton intention et à celle de tous. Ne cherchez jamais à corriger quelqu’un avec la colère, car une tentation ne chasse pas une autre tentation, mais avec humilité et un amour sincère. Quand tu vois que la colère domine abandonne un instant l’idée de réparation. Mais quand tu constates que la colère a été remplacée par la sérénité, et que ta capacité de discernement fonctionne sans passion, c’est alors que tu dis ce qui est utile.
Je n’ai jamais constaté que l’on corrige quelqu’un avec colère, mais toujours avec amour. Alors même celui qui fait des remontrances fait un sacrifice. Comportez-vous donc ainsi. Prend exemple sur toi-même. Quand es-tu apaisé ? Avec les injures ou avec l’amour ?
Et ne t’émerveilles-tu pas de la parole que dit ce saint dans le Gerontiko[35] : « Un homme colérique et irritable, n’est pas reçu dans le Royaume de Dieu, quand bien même il ressusciterait les morts. » !
Tu dis que tu respectes mes paroles. Mets-les à l’épreuve pour voir si cela est vrai et étouffe la passion, quand elle vient pour t’étouffer. Conserve le serpent enfermé à l’intérieur une fois, deux fois et même souvent, et tu trouveras aussitôt le chemin de la joie et de la victoire. Et alors sans attendre, les prières que je fais pour toi agiront. Et après avoir vaincu la mère, tout l’essaim des sœurs sera mis à bas, lui qui génère la colère.
Car les principales passions, d’où naissent toutes les autres, sont la colère et la concupiscence.
Étouffe donc de toutes tes forces la colère, chaque fois qu’elle se manifeste, et la fois suivante tu trouveras qu’elle est plus faible. Et derechef continue à la frapper et à lui couper la tête – quand tu vois qu’elle redresse la tête ; et en peu de temps fleurira l’impassibilité, fruit de la longanimité. De là, viendront la paix et la grâce, et tous les biens s’en suivront.
L’autre mère des vices c’est l’appétibilité, qui désarçonne le cavalier[36]. Mais quand on applique à toutes choses la tempérance et qu’il n’y a pas d’adjonction de matière, le sang n’abonde pas. Et quand il n’abonde pas, il ne peut pas mettre l’homme à terre, mais il lutte pour lui.
Résiste donc en portant la contradiction. Ne laisse pas les pensées entrer, mais combat par la Prière. Combat courageusement et ne sois pas lâche, et les passions seront immédiatement paralysées. Et en agissant ainsi la fleur de la pureté et de l’innocence fleurira, qui donnera la joie à l’âme d’une joie indicible et l’assurance que dès lors on prépare pour toi un lieu de repos. C’est ainsi que l’on paralyse le vice de cette passion, ainsi que les vices de toutes ses sœurs.
Septième lettre :
Écoute ce qui m’est arrivé.
Je viens de recevoir à l’instant ta lettre et j’ai vu ce qu’elle contenait ; je me réjouis de te savoir en bonne santé, mais je m’attriste de tes chagrins. Tout ce dont tu me parles mon enfant, arrive parce que tu n’as pas de patience.
Toi, mon enfant, tu cherches le Christ ; tu cherches à rentrer dans le Royaume des Cieux. L’Ancien et les Pères prient pour cela, je prie moi aussi, le pauvre, ici dans les rochers. Certes, le Seigneur nous exauce tous, et pour briser ton âme orgueilleuse, pour que soit humiliée et combattue l’irritation, la colère, l’effervescence, l’égoïsme, il t’a envoyé une puce – cette petite tentation – te piquer, pour que tu te résignes ; te déranger, pour que tu fasses preuve de patience.
Et pour que progressivement s’apaisent l’irritation, la colère et l’agitation ; pour que les passions soient étouffées en toi, et que tu ne laisses pas échapper un mot dur. Et alors, une fois que cette puissance de Satan a été étouffée en toi, une première fois, une deuxième et bien des fois, elle s’en va et laisse l’homme doux et calme comme un petit agneau.
Écoute donc le récit d’un événement qui m’est arrivé. Quand j’étais dans le monde je m’en prenais à beaucoup. J’avais un cœur de lion et l’amour du Christ m’épuisait. Si je voulais raconter tout ce dont j’ai souffert quotidiennement à cause de cette passion[37], il faudrait que je rédige un livre. Car Dieu, voulant m’en délivrer, il m’occasionna tout ce qui était approprié : des gens pour me déranger sans raison, pour m’insulter, pour m’éprouver. Et pas des petites taquineries, mais des choses graves qui pousseraient quelqu’un au meurtre. Mais en prenant patience et en étouffant Satan en moi avec une constance extrême, je fus délivré du mal.
Alors, le tentateur garda ses coups les plus sévères pour une rude journée d’hiver, comme il sait le faire pour tenter quelqu’un et Dieu le laisse faire pour que cette personne soit mise à l’épreuve. Ainsi, après trois ou quatre essais pour me mettre à l’épreuve sans résultat, une bourrasque de vent s’engouffre par la porte si brusquement, qu’elle projette le toit avec tous ses soutiens, et sa couverture de pierres d’un poids de plusieurs tonnes – elle est soulevée en l’air comme un avion – et la rafale de vent la projeta en face sur les rochers dans la neige. Et nous nous restâmes en plein air, sous la neige.
Mais si tu entendais le genre de tentations que je dû subir de la part des hommes, tu ne pourrais pas le supporter sans en pâtir jusqu’à venir en blâmer les responsables. Mais cependant en supportant tes épreuves tu recevras tant de grâce en retour, proportionnellement aux épreuves, que tu ne pourras pas la mesurer. N’en vient pas à penser que si tu abdiques devant celle-ci, tu n’auras pas d’autres tentations. Elles viendront sans faute. Et si tu te montres lâche à l’égard de celle-ci, tu te comporteras de même à l’égard de toutes les autres.
Car le tentateur est en nous. Ne le vois-tu pas mon enfant ? Fais attention à lui ! Il monte du milieu du ventre jusque dans le cœur. Il l’enflamme. Il échauffe le sang et monte jusqu’à la gorge. Il atteint la tête. Il obscurcit l’esprit (noûs). Et il se tient dans la gorge comme un nœud en l’obstruant et en empêchant même la respiration, il étouffe l’homme.
Celui qui est à l’origine de la tentation peut être le pire des hommes, ou plutôt c’est ce même tentateur qui le pousse à te perturber et à t’importuner. Cependant, le Seigneur le laisse pour que tu deviennes à chaque fois plus éprouvé, et que tu atteignes ainsi l’apatheia. Car, quand tu es préparé et que tu t’y attends, tu n’es pas troublé, tu n’es pas déconcerté, tu ne perds pas le contrôle de toi-même.
Tu écris que si tu savais que tu allais recevoir de la grâce, tu supporterais milles tentations comme celle-là. Mais d’où sais-tu que, si tu prends patience, tu ne recevras pas de la grâce ? Moi je te dis, avec tous les frères, qu’il n’y pas de chemin plus rapide, que celui qui consiste à supporter les tentations lorsqu’elles se produisent, de quelque façon qu’elles se produisent. La patience d’un homme témoigne de son état spirituel et de la grâce qu’il possède. Comment l’Ancien fait pour vous supporter tous ? Il prend patience. C’est cela qui témoigne du fait qu’il possède la grâce. Il possède la vertu.
La vertu n’a pas de sonnette pour qu’on la reconnaisse quand elle sonne. La sonnette de la vertu, c’est la tolérance, la longanimité, la patience. Tels sont les ornements du moine et de tout chrétien.
Quand le combattant prévoit la récompense et la grâce qu’il va recevoir d’en haut de la part du Seigneur, il endure tout. Vois comment l’Ancien a assigné à ce frère qui est fort de supporter et d’endurer celui qui est mis à l’épreuve. À toi qui est faible il t’a donné cette très petite écharde. Prends donc patience pour être capable de supporter toi aussi un démoniaque. De le supporter, de le servir, d’être patient avec lui. Quelle grande vertu ! Sais-tu ce que c’est que de supporter et d’être patient avec un fou ?
Une fois un fou est venu chez nous et je n’ai pas eu le cœur de le chasser. On l’avait chassé de partout. Je l’ai donc gardé, pour qu’il se repose un peu, pour que son cœur se réchauffe, c’est aussi un homme. Et que se passa-t-il après ? Je lui avait fait observer un jeûne très rigoureux, conformément à la parole du seigneur : « Cette espèce là ne peut sortir que par la prière et par le jeûne[38] ».
Un jour, alors que nous étions tous sortis, il ferma toutes les portes et les fenêtres de la cabane et nous laissa dehors. Nous eûmes beau supplier, il n’ouvrit pas. Finalement, qu’avons-nous fait ? Nous avons trouvé un tournevis et nous avons dévissé les charnières de la porte et nous avons ouvert. Il est alors sorti.
- Dis donc ! lui ai-je dit ; pourquoi as-tu fermé la porte et tu nous a laissé dehors ?
- Parce que, a-t-il répondu, il y avait à l’intérieur des oignons et des patates et que je voulais mener une vie ascétique tout seul en mangeant les oignons et les patates !
Il se comporta bien pendant peu de temps, mais il s’enfuit, et fut à nouveau possédé. Il vint trois fois, et à peine se sentait-il bien, qu’il s’enfuyait et perdait la raison, et les démons le possédaient. Maintenant il est hospitalisé.
Toi, veille à ne pas mépriser un des plus humbles de ceux qui sont vilipendés et malades en ce monde. Car ce mépris et cet affront qui vient de toi ne s’arrêtent pas à ces malheureux, mais par eux il monte jusqu’au Créateur et Modeleur dont ils portent l’image. Et tu t’étonneras encore plus en ce jour, en voyant l’Esprit Saint de Dieu reposer davantage sur eux que dans ton propre cœur.
Je suis de plus en plus malade. Je suis comme un paralytique. Je suis incapable de faire dix pas. À cause de cela et du reste je suis devenu un cadavre. Je te prie avec insistance de prier pour moi, car j’ai beaucoup d’âmes qui sollicitent mon aide.
Et croyez-le bien, mes Pères et mes frères : j’éprouve le combat que mène chaque âme que j’aide.
C’est aussi la raison pour laquelle votre Ancien est sans cesse malade. Parce qu’il est complètement épuisé par un surmenage mental ainsi qu’à cause des tentations que je subis à travers chacun de vous. C’est pourquoi mon enfant ne répète pas ce que le diable te dit ; que l’Ancien ne se soucie pas de toi, qu’il ferme les yeux sur ta peine et tes besoins. Comment pourrait-il être indifférent, lui qui souffre pour vous tous ?
Sois attentif ! Laisse là cette pensée et prends patience, que Dieu voie ta disposition et qu’il allège ta peine. Accepte la tentation et ne blâme pas les autres. Car si tu ne prends pas patience dans la tentation et si tu en rejettes le grief sur les autres – puisque c’est le Seigneur qui nous les donne – c’est Lui-même qui nous châtiera, ce qui est beaucoup plus grave et beaucoup plus dur. Car personne parmi les hommes ne peut punir, comme punit le Tout Puissant. C’est pourquoi mon enfant : « Accueillez ses leçons, de peur que le Seigneur de l’univers ne s’irrite[39]. »
Aimez sa volonté et supportez ce qui vous arrive comme étant ce qui vous revient en propre, de peur que par malheur il ne vous livre à la pusillanimité et au blasphème.
Et quand derechef tu commets une faute et que tu chutes, fais à nouveau repentance. Donne-toi à toi-même du courage et de l’espoir. Dis : « Pardonne-moi, mon Christ, je me repens une fois de plus ! Ne dis pas : « La colère de Dieu est sur moi ! N’est-ce pas une honte ? Nous ne sommes que des hommes .»
Ne t’irrite pas contre tes frères. Supporte leurs manquements, pour qu’ils supportent les tiens. Aime pour qu’ils t’aiment et sois patient pour qu’ils te prennent en patience. Fais-toi bon et tous seront bons avec toi. Maîtrise tes passions et tu verras que tous respecteront non seulement tes paroles, mais même l’indication de ton regard.
Quant aux diaconies, dont tu parles, si elles sont nombreuses et que tu n’en viens pas à bout et que cela te trouble, je vais demander moi aussi à ton Ancien de les réduire, pour que tu ne les accomplisses pas en rechignant.
Par toutes les autres choses dont tu me parles tu témoignes que tu as beaucoup de vanité. C’est pourquoi deviens un cadavre que tous piétinent. Deviens de la poussière. Bats, frappe, hais-toi toi-même comme un ennemi implacable. Hais-toi d’une haine parfaite. Car si tu ne te le terrasse pas, il te terrassera. Sois ferme, n’ais pas pitié de lui ! Par la grâce de Dieu, je te viendrai en aide. Mais je te rappelle quand même les paroles des Pères qui disent : « Si tu ne verses pas de sang, tu ne recevras pas l’Esprit[40] ».
Tant que tu n’as pas reçu la grâce, ne te considère pas comme un homme. Et sans la grâce l’existence des hommes sur terre est vaine. Plus notre âme est purifiée et illuminée ici-bas, plus étroitement et plus nettement on verra le Christ là-bas, recevant sa senteur, on se réjouira et on sautera de joie plus que les autres.
Ainsi, ne t’estime pas un homme, tant que tu n’as pas reçu la grâce.
Huitième Lettre :
Ne supporteras-tu pas tout par amour pour moi ?
Il n’y a rien qui soit susceptible de venir en aide en l’apaisant à la colère ainsi qu’à toutes les passions, que l’amour pour Dieu et pour chaque compagnon. Avec l’amour tu vaincs plus facilement qu’avec les autres combats. De plus, lorsque l’amour régit l’esprit (noûs), on ne ressent pas la souffrance. C’est pourquoi : « L’amour jamais ne faillit[41] », tant que tu maintiens le gouvernail de l’âme dans sa direction. Et quoi qu’il arrive, crie le mot de passe : « Par amour pour toi, mon Jésus, mon doux amour ! Je supporte les insultes, les opprobres, les iniquités, les fatigues, et toutes les afflictions, tout ce qu’il a voulu[42] qu’il m’arrive. »
Et aussitôt, en disant cela, le fardeau de la souffrance est allégé et l’amertume du démon est adoucie.
Et crois à l’histoire que je vais te raconter. Un jour, en raison de mes tentations terribles et répétées, je fus envahi par le chagrin et le découragement, et je présentais mon cas à Dieu comme si j’avais été traité injustement ; parce qu’il me soumettait à un si grand nombre de tentations, sans les brider un tant soit peu, sans même me laisser reprendre mon souffle. Et dans cette amertume j’entendis très clairement une voix très douce en moi disant avec une compassion extrême disant : « Ne supporteras-tu pas tout par amour pour moi ? » Dès que j’eus entendu cette voix, j’éclatais en de nombreux sanglots, en me repentant de m’être laissé dominé par le découragement. Je n’oublierai jamais cette voix, si douce, qu’aussitôt disparu la tentation et toute trace de découragement.
- Ne supporteras-tu pas tout par amour pour moi ?
- Ô Amour véritablement doux ! Par amour pour toi nous sommes crucifiés et nous supportons tout !
À nouveau ce frère me raconta qu’un jour un autre frère lui causa du chagrin, bien qu’il lui en fit la remarque, celui-ci passa outre, il fut grandement chagriné à cause de lui. En priant, il connut un état spirituel[43]. Il vit le Seigneur, baigné de lumière, cloué sur la croix. Et levant la tête, le Seigneur se tourna vers lui pour lui dire : « Vois tout ce que j’ai souffert par amour pour toi ! Toi, qu’as-tu enduré ? ». A ces paroles, le chagrin disparu, il fut rempli de joie et de paix, et en versant des torrents de larmes il admira et continue d’admirer la condescendance du Seigneur. Lui qui laisse les afflictions se produire mais qui, derechef console, lorsqu’il voit que nous perdons courage.
C’est pourquoi, ne faiblit pas, ne t’alarmes pas à cause des afflictions et des tentations, mais avec l’amour de notre Jésus, atténue la colère et le découragement. Encourage-toi toi-même en disant : « Mon âme, ne faiblis pas ! » De fait, une petite affliction te purge d’une maladie chronique. Mais la vérité est qu’au bout de quelque temps elle serait partie de toute façon.
Quant aux passions, plus nous manquons de patience, plus elles nous semblent redoutables, et plus l’homme s’habitue à les supporter patiemment, plus elles diminuent et il les surmonte sans effort. Il devient alors solide comme un roc.
Donc, patience ! Après que bien des années aient passées, ce qui te semblait alors difficile à mener à bien, arrive désormais dans ta main comme une possession propre, sans que tu réalises comment cela s’est produit.
C’est pourquoi tu dois œuvrer maintenant dans ta jeunesse sans dire « pourquoi » et sans te décourager. Et dans ta vieillesse, tu moissonneras les gerbes de l’apatheia. Alors tu seras dans l’étonnement ; tu te demanderas d’où te viennent ces beaux épis, puisque toi tu n’as rien cultivé ! Et toi le vaurien tu es devenu riche ! Tu te demanderas comment tous tes murmures, tes désobéissances et tes découragements, ont pu germer pour produire de tels fruits et de telles fleurs au doux parfum !
Fais-toi donc violence.
Même si un juste chute une multitude de fois, il ne perd pas son assurance, mais en se relevant il rassemble ses forces et le Seigneur enregistre des victoires pour lui. Cependant, il ne lui montre pas ses victoires, pour qu’il ne s’exalte pas ; mais il lui met plutôt ses péchés devant les yeux, pour qu’à leur vue, il souffre, et qu’il se fasse humble. Mais une fois qu’il a dépassé les campements des ennemis, et qu’il a amassé des victoires invisibles partout, alors le Seigneur commence à lui montrer progressivement qu’il est vainqueur, qu’il est récompensé ; que ses mains touchent quelque chose qu’il cherchait précédemment sans que cela lui fut accordé. Et ainsi il est exercé, éprouvé, rendu parfait, dans la limite de la nature, de l’esprit (noûs), de l’intellect (dianoia), et du récipient de notre âme.
C’est pourquoi, sois courageux et fort dans le Seigneur et ne laisse pas ton empressement fléchir. Mais continue de chercher, de crier sans cesse, que tu reçoives quelque chose ou pas.
Neuvième Lettre.
Le créateur t’a insufflé un esprit de vie.
La grâce c’est, dit simplement, un petit ou un grand don de l’infinie, divine, abondance de dons de Dieu, que celui-ci distribue bénévolement comme venant de son infinie bonté. Et derechef, il accepte tout ce que nous restituons en remerciements à savoir : admiration, amour, adoration, hymne, doxologie, procédant d’une connaissance plénière de Dieu. Le dispensateur reçoit tout cela bénévolement, nous gratifiant derechef de ce qui est à lui, le tenant de lui : « Ce qui est à toi le tenant de toi.[44] ».
Ce qu’Il distribue, il le prend sur ce qui lui appartient en propre, et nous pauvres, aveugles et boiteux nous sommes rendus riches par lui, et la richesse en lui demeure la même ; elle ne décroît ni n’augmente. Ô quelle inconcevable grandeur ! Il les enrichit tous ! Des milliers de millions et de myriades furent ainsi enrichis et devinrent des saints, et la richesse en Dieu demeure la même.
Par conséquent, en premier lieu, mon enfant, que tout bien tient son principe de Dieu. Il ne se produit pas une bonne pensée qui ne vienne pas de Dieu, ni une mauvaise qui ne vienne pas du Diable. Tout ce que tu as pu penser, dire, réaliser de bon, tout est un don de Dieu : « Tout cadeau parfait descend d’en haut [45]». Tout est un don de Dieu, par nous-mêmes nous n’avons rien.
Quiconque désire et cherche à acquérir la grâce, pour que Dieu la lui donne gratuitement, doit en premier lieu connaître vraiment sa propre existence, « Connais-toi toi-même ». Ceci est effectivement vrai. Car chaque chose a un principe. Et celui qui ne connaît pas son principe ne peut pas avoir une bonne fin.
Ainsi le principe en vérité c’est que chacun sache qu’il est un zéro – 0 – et que tout est venu à l’existence à partir du néant. : « Car il a parlé et ils ont été faits, il a commandé et ils furent créés[46]. » Il a parlé et la terre vint à l’existence. En prenant de la boue, il façonna l’homme. Inanimé, sans esprit (noûs) ; un homme de boue. Voilà quelle est l’existence qui revient en propre à l’homme. Voilà ce que nous étions tous.- Poussière et boue.
Telle est la première leçon, pour celui qui veut non seulement recevoir la grâce, mais qu’elle reste pour toujours auprès de lui. De cette leçon, il acquiert la vraie connaissance et celle-ci engendre l’humilité. Non pas des paroles creuses, pour parler humblement, mais en s’appuyant sur une base solide il dit la vérité : « Je suis de la poussière, je suis de l’argile, je suis de la boue ». C’est elle qui est notre première mère.
Ainsi la poussière est foulée aux pieds, et toi en tant que poussière tu es tenu d’être foulé aux pieds. Tu es de la boue, tu n’as aucune valeur, tu es balotté çà et là, on te construit ; comme un matériau sans valeur tu es transformé d’une chose en une autre.
Et alors le Créateur a soufflé sur toi et qu’il t’a donné un souffle de vie. Et voilà qu’aussitôt tu es devenu un homme raisonnable. Tu parles, tu travailles, tu écris, tu enseignes ; tu es devenu une machine de Dieu. Cependant, n’oublie pas que ta racine c’est la poussière. Et que si on t’enlève ce souffle qui t’a été accordé, toi derechef on t’utilisera pour faire des briques. C’est pourquoi : « Souviens-toi de ta fin et tu ne pécheras jamais[47]. »
Telle est la première cause, qui non seulement attire la grâce, mais qui l’accroît et la conserve. La grâce élève l’esprit (noûs) à la première contemplation de la nature. Et sans ce début, on peut trouver un peu de grâce, mais avec le temps, on la perdra, parce qu’on ne construit pas sur un fondement solide, mais on essaye de l’obtenir en ayant recours à des moyens et des ruses.
Par exemple, si tu dis : « je suis un pécheur ! » mais qu’au fond de toi tu penses que tu es un juste, tu ne peux pas échapper à l’erreur. La grâce cherche à rester, mais comme dans les faits, tu n’as pas encore trouvé la vérité, elle doit nécessairement partir. Car, sans le moindre doute, tu en viendras à croire dans ta pensée que tu es ce que tu n’es pas, et sans tarder tu seras dans l’erreur. Par conséquent, la grâce ne reste pas.
Car nous avons affaire à un adversaire, qui est un expert puissant, un inventeur du mal, et créateur de toute erreur, qui veille et nous suit à la trace, qui de lumière devint ténèbres et connaît tout.
C’est un ennemi de Dieu et il cherche sans cesse à faire de nous aussi ses ennemis. Et finalement, c’est un esprit mauvais qui se mêle facilement à l’esprit que Dieu nous a accordé, alors il se saisit de notre petit moteur et le manœuvre comme il veut. Il observe d’où l’âme tire son inclinaison, et de quelle façon Dieu lui vient en aide., et aussitôt il manipule à son tour des choses semblables pour nous perdre.
Il y a des combats qu’un homme connaît et évite. Mais il y en a d’autres qu’il ne connaît pas, car ce sont des combats mentaux et on ne peut pas les discerner facilement. Ce sont des modifications psychiques, des mouvements de l’intellect, des maladies et des altérations somatiques.
Le Créateur, qui a façonné l’argile, l’a composé à partir des quatre éléments : le sec, l’humide, le chaud et le froid. Par conséquent, il est nécessaire qu’à chaque instant un homme pâtisse conformément à la modification de chacun d’entre eux. C’est-à-dire qu’il se dessèche, qu’il s’humidifie, qu’il s’échauffe, qu’il se refroidisse. Si les propriétés d’un élément dominent, le corps s’affaiblit nécessairement et par conséquent l’âme aussi pâtit. L’esprit ne peut pas produire ses mouvements noétiques du fait qu’il boite en même temps que le corps.
Le corps se dessèche-t-il à cause de l’ardeur du soleil ? L’esprit se dessèche aussi. Le corps s’humidifie-t-il, s’il pleut et se relâche t-il ? L’esprit se relâche aussi. Le corps se refroidit-il , si le vent souffle ? Alors la bile abonde, et l’esprit aussi est assombri, et seules les imaginations triomphent.
Au cours de toutes ces modifications d’une part, bien que la grâce soit présente, elle n’agit pas car les organes sont trop faibles, mais d’autre part notre ennemi le diable sait comment il doit combattre lors de chaque changement. Durant la sécheresse, il te rend dur pour que tu deviennes une pierre, que tu répondes, que tu désobéisses. Quand il fait froid, il sait comment refroidir ton zèle, pour que tu deviennes froid et de glace à l’égard de ce qui concerne Dieu. A partir de la chaleur, il t’échauffe et il provoque de l’agitation ; pour que tu ne discernes pas ce qui est vrai. Car, comme nous l’avons dit, le sang surabonde, et avec la chaleur il meut la partie désirante de l’âme – partie passionnée- et la partie irascible. Et quand le temps est humide, il suscite en toi la somnolence, le relâchement, les courbatures, et la paralysie de tout le corps.
Dans tout les cas le corps pâtit, et l’âme avec lui, bien qu’elle soit spirituelle et incorporelle.
La grâce est pareille. Quand elle s’approche de quelqu’un, elle ne transforme pas sa nature, mais elle remplit et en abondance, autant que les récipients de chacun peut contenir, les mêmes propriétés naturelles et bons attributs dont sa nature est pourvue, bien qu’elle puisse amoindrir et enlever les faiblesses naturelles.
De même que la formation de l’homme précède son animation, de même l’action (praxis) doit précéder la contemplation (théôria). Par « action (praxis) » on entend tout ce qui est accompli au moyen du corps, par la « contemplation » en revanche tout ce que l’intellect produit mentalement. Il est impossible d’arriver à la contemplation sans être passé par l’action. Combat désormais dans tout ce qui est requis par l’action, les choses plus élevées viendront d’elles-mêmes.
Voici que tu as appris que tu es de l’argile, pauvre et nu. Demande désormais à celui qui est capable de recréer la nature de te rendre riche. Et, qu’il t’est attribué beaucoup ou peu, aie pleine conscience de ton donateur. Et tu ne t’approprieras pas ce qui t’est étranger comme si cela t’appartenait. Avec peine et des larmes, tu recevras la grâce. Et à nouveau, avec des larmes de joie et de reconnaissance, avec crainte de Dieu tu la garderas. On l’attire par la chaleur et le zèle ; on la perd avec la froideur et l’incurie.
Le Christ n’en demande pas plus pour te donner ses saints charismes, à la condition seulement que tu reconnaisses que le moindre bien que tu possèdes lui appartient, et que tu compatisses avec celui qui n’en a pas. Ne le juge pas parce qu’il n’en a pas, en disant qu’il est un pécheur, paresseux, méchant, bavard, voleur, débauché et menteur. Si tu acquiers cette vraie connaissance, tu ne pourras jamais juger quelqu’un, même si tu le vois entrain de commettre un péché mortel ; parce que tu diras aussitôt :
« Il n’a pas reçu, Ô mon Christ, ta grâce, c’est la raison pour laquelle il commet un péché. Si tu me quittes aussi, j’en commettrai un encore pire. Si je me tiens debout, je suis debout, parce que tu me supportes. Ce frère agit à la mesure de ce qu’il voit. Il est aveugle. Comment veux-tu qu’il voie s’il n’a pas d’yeux ? Il est pauvre. Comment attendre de lui qu’il soit riche ? Donne-lui de la richesse à posséder, donne-lui des yeux pour qu’il voie. »
Si tu recherche la justice en toute chose - lorsque ton frère te lèse, te déshonore, t’injurie, te frappe, te persécute, ou même complote contre ta vie – tu es derechef injuste si tu le considères comme responsable ou si tu le condamne avec passion. Car tu es à la recherche de quelque chose que Dieu ne lui a pas donné. Si tu comprends bien ce que je te dis, tous te paraîtront dénués de la responsabilité de leurs fautes quelles qu’elles soient et toi seul tu seras responsable de tout.
Car trois ennemis font la guerre à la race humaine : les démons, notre propre nature et l’habitude. En dehors de ceux-là, il n’y en a pas d’autre. Si tu enlèves le diable qui tyrannise toute l’humanité, nous serons alors tous bons. Voilà celui auquel tu dois attribuer l’injustice. C’est lui que tu dois haïr, mépriser et tenir pour un ennemi jusqu’au bout.
Le second, avons-nous dit, c’est la nature. Dès que quelqu’un a compris ce qu’est vraiment le monde, celle-ci s’oppose à la loi de l’esprit, et s’emploie avec tous les moyens à sa disposition à rechercher la perte de l’âme. Voici quel est le second ennemi, qui mérite la haine pendant toute notre vie. C’est lui qu’il faut critiquer, condamner.
Nous avons aussi un troisième ennemi, l’habitude. Lorsque nous sommes habitués à accomplir toutes sortes de maux, cela devient chez nous une habitude qui tient lieu de seconde nature qui a pour loi celle du péché. Celle-ci requiert aussi le même combat pour que nous obtenions de Dieu un changement et une modification de cette loi. Voici donc le troisième ennemi, qui mérite une haine parfaite.
Si donc tu veux que ton frère soit bon en tout, comme il te plaît, débarrasse le de ces trois ennemis avec la grâce que tu possèdes. Voilà ce qui est juste, si tu es à sa recherche : prier Dieu qu’il le délivre de ces ennemis. Alors vous serez en harmonie.
Mais si tu es à la recherche de ce qui est juste d’une autre façon, tu seras toujours injuste, et par conséquent la grâce sera obligée d’aller et de venir, jusqu’à ce qu’elle trouve le repos dans ton âme. Car un homme reçoit une quantité de grâce équivalente à sa capacité à endurer de bonne grâce les tentations, ainsi qu’à son aptitude à supporter la charge du prochain sans se plaindre.
Les précédentes lettres que je t’ai envoyées traitaient de la « praxis ». Celle que je t’envoie maintenant traite de l’illumination. Un homme reçoit l’illumination de la connaissance à partir de la praxis Car la praxis en elle-même est aveugle et l’illumination ce sont les yeux aux moyens desquels l’esprit (noûs) voit ce qu’il ne voyait pas auparavant.
Or donc, maintenant qu’il a une lampe et des yeux, il voit les choses différemment. Tout d’abord, c’était le grâce de la praxis, mais désormais il a reçu une grâce dix fois supérieure. Maintenant l’esprit est devenu un ciel : il voit loin. Il a beaucoup plus de capacité qu’auparavant. Désormais, la contemplation lui manque. En tant que roi, il a trouvé le trône, il lui manque le théâtre, dont nous parlerons une autre fois. Toi, recopie les lettres avec de l’encre noire, pour qu’elles ne s’effacent pas - puisqu’elles sont écrites avec un crayon - afin de les étudier, pour corriger ta conduite.
Dixième Lettre :
La grâce précède toujours les tentations comme un avertissement préliminaire.
On appelle praxis non pas le fait d’essayer, puis de se retirer. Mais on appelle « praxis » le fait de pénétrer dans l’arène, de combattre en combat singulier ; de vaincre, d’être vaincu ; de gagner, de perdre ; de tomber, de se relever ; de tout briser, et d’accepter le combat et la lutte jusqu’à son dernier souffle.
En outre, il ne faut jamais faire confiance à ses propres forces jusqu’au départ de l’âme. Mais, quand on monte au ciel, il faut s’attendre ensuite à descendre dans l’Hadès. Sans compter que la descente peut se produire au même instant. Aussi il ne faut pas s’étonner des changements, mais avoir à l’esprit que les deux conditions sont les nôtres.
Sache que toujours la grâce précède les tentations, comme un avertissement préliminaire. Dès que tu vois la grâce, serre ta ceinture en disant : « La déclaration de guerre est venue ! Observe, homme d’argile, par où le malin va engager le combat. » Souvent il vient vite et souvent il vient deux ou trois jours plus tard. De toute façon, il va venir, il faut que tes fortifications soient solides : Confession chaque soir, obéissance à l’Ancien, humilité et amour à l’égard de tous. De cette façon tu allèges l’affliction.
Maintenant, si la grâce vient avant la purification et autres choses semblables – je te demande de faire attention et de garder un intellect pur.
La grâce se divise en trois degrés : purificatrice, illuminatrice, et de perfectionnement. La vie est aussi divisée en trois degrés : selon la nature, surnaturelle et contre-nature. L’homme monte ou descend selon ces trois degrés. Trois sont aussi les grands charismes que l’on reçoit : contemplation (theôria), amour (agapê), impassibilité (apatheia).
Ainsi, dans la « praxis », coopère la grâce purificatrice. Lorsqu’une personne quelconque se repent, c’est la grâce qui la protège lors de son repentir. Et quoiqu’elle fasse, elle le fait avec la grâce de Dieu, même si elle n’en a pas conscience. Cependant c’est la grâce qui la nourrit et qui la guide. Et selon le progrès qu’elle est aidée à faire, elle monte ou elle descend, ou elle demeure dans le même état spirituel (katastasis). Si elle est zélée et montre du reniement de soi, elle progresse jusqu’à la contemplation, qui est suivie par l’illumination de la connaissance divine et de l’impassibilité partielle. Si le zèle se refroidit, la bonne disposition, l’action de la grâce est abolie aussi.
Celui qui prie en connaissance de cause, ce qui veut dire, celui qui prie en sachant pourquoi il prie et ce qu’il demande à Dieu. Celui qui prie en connaissance ne bavarde pas, ne demande pas des choses superflues, au contraire, il connaît l’endroit, la méthode et le moment favorable ; et il demande ce qui convient et est utile à son âme. Il est en relation spirituellement avec le Christ. Il le prend et il le garde en lui disant : « Je ne te laisserai jamais partir. »
Ainsi, celui qui prie demande le pardon de ses péchés, il demande la miséricorde du Seigneur. Mais s’il demande avant leur temps de grandes choses, le Seigneur ne les lui accordera pas. Car Dieu les donne dans l’ordre. Mais s’il continue à accabler le Seigneur, il permet à l’esprit d’erreur de contrefaire la grâce et il t’induit en erreur en te faisant prendre des vessies pour des lanternes. C’est pourquoi il n’est pas utile de demander ce qui est excessif. Mais même si ses requêtes sont entendues avant qu’il ne soit purifié, si elles ne sont pas formulées en tant opportun, elles deviennent des serpents et lui nuisent. Toi, aie un repentir pur, obéis à tous, et la grâce viendra d’elle-même sans que tu la requières.
Comme un nourrisson balbutiant, l’homme demande à Dieu sa sainte volonté. Dieu, qui est Père plein de bonté, lui donne la grâce, mais il lui accorde aussi des tentations. S’il supporte sans broncher les tentations, il reçoit un surcroît de grâce. Plus il reçoit de grâce, plus il reçoit de tentations.
Quand les démons s’approchent, pour engager le combat, ils ne vont pas là où toi tu pourras les défaire sans broncher ; mais ils t’éprouvent là où tu es faible. Là où tu les attends le moins, c’est là qu’ils perceront le mur de la forteresse. Et, lorsqu’ils trouvent un homme avec une âme malade et un point faible, ils sont toujours vainqueurs, et le rendent responsable.
Tu demandes de la grâce à Dieu ? Au lieu de la grâce, il autorise une tentation. Tu ne supportes pas le combat et tu tombes ? Un surcroît de grâce ne t’est pas accordé. Tu la redemandes ? Derechef la tentation. Derechef une défaite ? Derechef une privation, pendant toute la vie. Il faut donc que tu sortes vainqueur. Résiste à la tentation jusqu’à la mort. Tombe à terre dans la bataille, en criant paralysé sur le sol : « Non je ne lâcherai pas, je ne t’abandonnerai pas[48] Je demeurerai inséparable de toi pour l’éternité et par amour pour toi, je rendrai l’âme dans le stade. » Alors brusquement, il apparaît dans le stade et il crie au sein d’un tourbillon : « Je suis là, ceins tes reins comme un homme et suis-moi ! [49]» Toi de répondre plein de lumière et de joie : « Malheur à moi misérable ! Malheur à moi mauvais et inutile ! Je t’ai entendu tout d’abord, maintenant mes yeux te voient ; aussi je me prends en dégoût, je me couvre de poussière et de cendres[50] ».
Alors tu es rempli d’amour divin et ton âme brûle comme le fit celle de Cleopas[51]. Et au moment de la tentation tu n’abandonnes plus la fine étoffe de drap pour t’enfuir nu[52], mais tu prends patience dans les afflictions en te disant que comme une tentation est passée l’une après l’autre, celle-ci passera de même.
Ce pendant quand tu te décourages et gémis et que tu ne supportes plus les tentations, alors au lieu de vaincre, tu dois te repentir sans cesse ; pour les fautes de la journée, l’incurie de la nuit. Alors, au lieu de recevoir grâce sur grâce, tes afflictions augmentent.
C’est pourquoi, ne sois pas intimidé ; ne crains pas les tentations. Même si tu tombes souvent, lèves-toi[53]. Ne perds pas ton sang-froid. Ne sois pas découragé. Ce ne sont que des nuages et ils passeront.
Et quand tu as dépassé tout ce qui constitue l’action (praxis), avec la synergie de la grâce qui te purifie de toutes les passions, alors ton esprit (noûs) goûte à l’illumination et il est mû vers la contemplation (theôria).
La première contemplation est celle des étants[54] : que Dieu a tout créé pour l’homme, même les Anges qui sont aussi à son service. Quelle valeur, quelle grandeur, quelle grande destinée a l’homme, ce souffle de Dieu ! Lui qui a été créé non pas pour vivre ici-bas les quelques jours de son exil, mais pour vivre éternellement avec son Créateur. Pour voir les Anges divins, et entendre leur ineffable mélodie. Quelle joie ! Quelle grandeur ! À peine cette vie terminée et nos yeux fermés, que les autres s’ouvrent et la vie nouvelle commence. La joie véritable, qui de plus n’a pas de fin.
En pensant à cela, l’esprit (noûs) est plongé dans une paix et une sérénité extrêmes, qui se répandent dans tout le corps et il oublie complètement qu’il se trouve dans cette vie. Ces contemplations se suivent l’une après l’autre. Non pas pour créer des illusions dans l’esprit (noûs), mais l’état spirituel est celui de l’action de la grâce, qui amène des intellections (noèmata) et entraîne[55]l’esprit (noûs) à la contemplation.
Ce n’est pas l’homme qui les crée, elles viennent d’elles-mêmes et ravissent l’esprit (noûs) en contemplation. Et alors l’esprit s’étend hors de lui-même. Il est illuminé. Tout lui est ouvert. Il est rempli de sagesse, et possède comme un fils ce qui est à son Père. Il découvre qu’il n’est rien, de l’argile, mais aussi un fils du Roi. Il n’a rien, mais il possède tout. Il est rempli de théologie. Il appelle insatiablement, en confessant en toute connaissance de cause que son existence est un néant. Son origine c’est l’argile ; mais sa force vitale c’est le souffle de Dieu - son âme, aussitôt son âme s’envole au ciel !
« Je suis l’insufflation, le souffle de Dieu ! Tout a été dissous et est resté sur la terre, dont j’ai aussi été tiré [56]! Je suis le fils d’un Roi éternel ! Je suis dieu par grâce ! Je suis immortel et éternel ! Je suis, en un instant, près de mon Père céleste ! »
Tel est vraiment le destin de l’homme ; c’est pour ce dessein qu’il a été créé, et il est tenu de revenir d’où il est venu. Telles sont les contemplations auxquelles se consacre l’homme spirituel. Et il attend l’heure où il quittera la terre et où l’âme volera vers les cieux.
Prends donc courage, mon enfant, et supporte chaque peine et affliction dans cet espoir, puisque d’ici peu de temps nous serons rendus dignes de cela. C’est la même chose pour tous. Nous sommes tous des enfants de Dieu. C’est lui que nous appelons jour et nuit avec notre bonne Mère, la Souveraine de l’Univers, qui n’abandonne jamais celui qui l’invoque.
ONZIEME LETTRE :
J’ai trouvé beaucoup des Pères dans l’action (praxis) et la contemplation (théôria).
Lorsque l’amour de Notre Seigneur embrase l’âme de l’homme, il n’est plus contenu par des limites, mais il transcende le fini. C’est pourquoi, il dit : « Jette dehors la crainte[57]. » ; et quoiqu’il puisse écrire ou dire, il tend vers l’infinité. Mais en cet instant de grâce, tout ce qu’il peut dire est étriqué , en comparaison de l’embrasement de la splendeur de l’amour divin. Puis, après que le cœur se soit contracté et la nuée dispersée, et qu’il ait repris ses sens, alors entre en scène le compas qui cherche à distinguer une mesure.
Eh bien, tout ce que je vous ai écrit, n’avait à dessein pour seul but que : échauffer le zèle de votre âme ; exciter votre désir et votre zèle pour notre très doux Jésus, comme des officiers le font pour leur troupe ; lorsqu’ils racontent les hauts faits des braves, et les obligent ainsi à combattre courageusement.
De même, les vies des saints et les sermons qu’ils ont écrits et qu’ils nous ont laissé, ont le même but. L’âme aussi, que Dieu a ainsi créée, si elle n’entend pas souvent ces hauts faits et ces prodiges, elle s’abandonne au sommeil et à l’indolence. Et c’est seulement de cette façon ; avec des lectures et des récits de valeur qu’elle dissipe l’oubli et restaure le vieil édifice.
Pour ma part, quand je sui venu au Mont Athos, j’ai trouvé beaucoup de Pères occupés à l’action (praxis) et à la contemplation (theoria), des hommes vénérables et saints.
Il y avait l’Ancien Kallinique, un ascète excellent, reclus depuis quarante ans. Pratiquant l’ouvre mentale et mangeant le miel de l’amour divin ; il devint aussi utile aux autres. Il goûta ainsi le ravissement de l’esprit (noûs).
Au-dessous de lui se trouvait un autre, L’Ancien Gerasime, un hésychaste complet. Il était originaire de Chios, un ascète admirable. Il pratiquait la prière mentale et était âgé de quatre-vingt-dix ans. Il passa soixante-dix ans au sommet du pic du Prophète Élie ; en luttant contre les démons au milieu de la foudre et des intempéries, il resta un pilier de persévérance inébranlable. Il était continuellement en larmes. Il menait sans vie sans souci rendue douce par la méditation de Jésus.
Plus haut demeurait l’Ancien Ignace. Il était aveugle depuis de nombreuses années, père spirituel depuis des années. Priant mentalement de façon ininterrompue ; et sa bouche exhalait le parfum de sa prière, au point que l’on prenait plaisir à lui parler près de sa bouche.
Il y avait un autre père plus admirable encore à la grotte de S. Pierre l’Athonite, le Père Daniel émule du grand Arsène. Un reclus au silence rigoureux ; il célébra la Liturgie quotidiennement jusqu’à la fin de sa vie. Pendant soixante ans, il n’envisagea pas un seul jour d’omettre la divine Liturgie. Même pendant le grand Carême il célébra quotidiennement la Liturgie des Présanctifiés. Il mourut à un âge très avancé sans avoir jamais été malade. Sa Liturgie durait toujours trois ou quatre heures, car il était incapable de dire les invocations (ekphonèses) à cause de sa componction. Toujours il détrempait la terre devant lui à cause de ses larmes. C’est pourquoi il ne voulait pas que quelqu’un d’extérieur assiste à sa Liturgie, pour que l’on ne voie pas la façon dont il s’y prenait. Mais pour ma part, après l’en avoir prié ardemment, il m’accepta. Chaque fois que je m’y rendis, après avoir marché de nuit pendant deux ou trois heures pour assister à ce spectacle vraiment redoutable de la manifestation divine, il me disait un ou deux mots en sortant du chœur , pour aller aussitôt se cacher jusqu’au lendemain. Il pratiqua la prière mentale et la vigile nocturne totale jusqu’à la fin de sa vie. Je pris cette habitude de lui et j’en retirais le plus grand bénéfice. Il mangeait seulement vingt-cinq grammes de pain par jour. Il était entièrement ravi pendant sa liturgie, et il ne l’achevait pas sans que le sol ne soit devenu de la boue à cause de ses larmes.
Il y avait aussi beaucoup d’autres contemplatifs que je ne fus pas jugé digne de voir, car ils étaient morts un ou deux ans auparavant. Mais on me raconta leurs merveilleux exploits, car je m’y consacrais à mon tour. Pas à pas, je m’approchais des montagnes et des grottes à leur recherche. Car mon Ancien était bon et simple, et après m’y être préparé avec sa nourriture, il me donna sa bénédiction pour que je parte à la recherche de telles personnes, utiles à mon âme. Lorsque je le portais en terre, j’avais exploré tout l’Athos.
Il y en avait un qui vivait dans une grotte qui devait pleurer sept fois par jour. Telle était sa tâche. Il passait toute la nuit en larmes, et son oreiller était complètement trempé. Et son aide, qui venait deux ou trois fois par jour, car il ne voulait pas l’avoir auprès de lui pour ne pas interrompre le deuil (penthos), lui demanda :
- L’Ancien pourquoi pleures-tu tant ?
- Quand, mon enfant, l’homme contemple Dieu, les larmes se mettent à ruisseler par amour pour lui et il ne peut pas les contenir.
Il y en avait d’autres moins de moindre importance comme le Père Cosmas & et d’autres plus importants, le papier manquerait si quelqu’un devait parler d’eux.
Tous ceux-là sont désormais morts ici-bas et vivent là-bas[58] (ekei) éternellement.
On entend plus parler de telles choses aujourd’hui. Car les gens sont si préoccupés par les tracas et les soucis matériels qu’ils ont un mépris presque total pour l’œuvre neptique, au point que beaucoup d’entre eux non seulement ne veulent pas se mettre à sa recherche, la connaître, la pratiquer, mais vont même jusqu’à s’irriter sans bienveillance contre la personne qui en parle. Ils la tiennent pour quelqu’un de déraisonnable et un imbécile, car leur vie est différente, et cela leur semble risible.
C’est semblable à l’époque de l’idolâtrie, où lorsque tu insultait les idoles on te lapidait et on te mettait à mort de misérable façon. Désormais, c’est chaque passion qui occupe la place d’une idole, et si tu en fais le reproche et si tu blâmes la passion qui subjugue chacun, tous se mettent à crier : « Lapidez-le, car il a insulté nos dieux ! ».
Enfin, puisque je ne reçois personne, sans aucune exception, et que je ne veux rien entendre sur la façon dont vivent ou sur ce que font les gens dans le monde ou les moines, je suis perpétuellement en but à la critique. Pourtant je ne cesse de prier jour et nuit pour les Pères, et de leur dire qu’ils ont raison. Sauf que je suis en tort dans la mesure où je suis un objet de scandale pour eux, car ils voient avec les yeux que Dieu leur a donnés. Serait-ce injuste et condamnable si je disais : « Pourquoi ne voient-ils pas comme je vois ? ».
Puisse le Dieu de l’univers les prendre tous en pitié, par les prières des saints Pères Théophores.
DOUZIEME LETTRE :
Ainsi l’esprit (noûs) devient tout entier lumière, tout entier clarté.
Mon enfant, dans la mesure où l’Ancien a une connaissance de la Prière, tu ne risques pas d’être dans l’erreur. Toi, fais comme te dit ton Ancien et ne sois pas triste si la grâce va et vient. Car c’est ainsi que l’homme s’entraîne à penser humblement et à ne pas devenir arrogant.
Au début, c’est ainsi qu’agit un petit enfant : « Malheur à la ville dont le prince est un enfant.[59] », dit l’Écriture Sainte ; « Malheur à l’âme, dont l’esprit (noûs) est un novice en la matière ! »
L’esprit (noûs), mon enfant, ne peut pas rester en place[60], surtout l’esprit de celui qui est faible spirituellement. Tantôt il veut lire, tantôt psalmodier, tantôt il recherche le silence. Lorsque quelqu’un est silencieux, l’esprit en profite pour réfléchir sur différents points de doctrines tirés de l’Écriture, qu’il a préalablement étudiés. Quand donc tu lui donnes tout ce qui est bon et susceptible de lui plaire, il prend des forces, comme le corps recouvre ses forces grâce à la nourriture saine qu’il reçoit. Mais quand tu lui donnes n’importe quoi, au lieu de devenir lumineux, il s’obscurcit. De même, quand il est fatigué, il a besoin de se reposer.
Ainsi, apprend à distinguer le bien du mal. C’est ainsi que l’esprit devient tout entier lumière, tout entier clarté. Il voit la pureté de l’âme. Il voit les échardes[61]. Il endure les tentations. La grâce abonde. Elle purifie le corps des passions. L’âme s’apaise. Et en fin de compte tout arrive à la suite comme un enchaînement, rapidement et sans beaucoup de mal ;tout cela est le résultat de l’obéissance parfaite. En outre note bien que celui qui observe une parfaite obéissance, a un esprit soulagé de toute préoccupation.
De fait l’esprit est l’intendant de l’âme, c’est lui qui lui procure sa nourriture – c’est-à-dire tout ce que toi tu lui donnes. Quand donc il est en paix et que tu lui donnes les bonnes choses qu’il désire, il les fait descendre dans le cœur. En premier lieu, il se purifie de toutes les préventions (prolèpsis)[62]qui l’abusaient dans le monde. Il se débarrasse des préoccupations de la vie, et en disant sans cesse la prière la distraction cesse totalement. On réalise qu’il s’est purifié car il n’incline plus au mal et à l’impur, qu’il a vu ou entendu dans le monde. Par la suite, au moyen de la prière, qui va et vient dans le cœur, il purifie la voie et expulse toute infamie, malignité et impureté de celui-ci. L’esprit (noûs) se dresse contre les passions et les démons, qui attisent les passions et qui pendant tant d’années se sont nichés en lui à l’insu de tout le monde.
Désormais, du fait que l’esprit a reçu la pureté, son ancien habit, il les voit et tel un chien de garde, il aboie, il grogne, il se bat contre elles en tant que seigneur et gardien de toute l’âme raisonnable. Tenant comme une arme le nom de Jésus, il fustige les ennemis, jusqu’à ce qu’il les expulse tous au-dehors, à la périphérie du cœur[63] ; alors elles se mettent à aboyer elles aussi comme des chiens sauvages. Alors l’esprit (noûs) commence à se nettoyer de la saleté et de toute l’impureté, dont les démons nous ont souillés à chaque fois que nous avons consenti à quelque chose de mal et de nocif. Il continue de combattre contre les démons pour les expulser, en les éloignant complètement pour qu’ils ne le perturbent plus du tout. Alors il ne cesse de lutter pour chasser les immondices, que ceux-ci ne cessent de jeter en lui. Ensuite, comme un économe avisé il fait venir des nourritures appropriées à l’illumination et à la santé de l’âme.
Lors de tout cela, la grâce purificatrice coopère. L’orant est recouvert de la protection de l’obéissance comme par une ombre. Il est gardé par la grâce de celui qui a assumé son âme devant Dieu[64]. Et peu à peu la mutation (alloiôsis)[65]du Très Haut se produit. En peu de temps, après que les démons aient été chassés au-dehors, et l’intérieur du cœur purifié, la souillure cesse. Le noûs est intronisé comme un Roi sur le cœur et il exulte comme un fiancé se réjouit de sa fiancée dans la chambre nuptiale. Il dirige avec une joie sainte, pure, irréprochable. Il dit la prière sans peine. Alors, la grâce agit librement et montre à l’esprit qu’il est appelé à recevoir en récompense, s’il remplit ses devoirs sans fléchir. Dès lors, rendu calme et paisible par la venue de la grâce, il l’élève à la contemplation, selon la capacité de sa fondation[66].
Ainsi, c’est en premier lieu la crainte[67] de Dieu, la foi, l’obéissance parfaite, le reniement de soi, qui apportent tout cela. Ensuite l’homme atteint le bienheureux amour et la parfaite apatheia. En sorte que l’esprit n’incline plus du tout au mal, mais s’écrie des profondeurs : « Mon âme est assoiffée de toi mon Dieu ! Quand donc viendrais-je et pourrais-je contempler ta sainte vision[68]? ». Alors il attend la mort comme étant la plus grande la joie ; il attend le moment où ces yeux se fermeront et où les autres s’ouvriront, par lesquelles il verra toute chose en se délectant pour toujours.
C’est pourquoi fais-toi violence, mon enfant, contrains-toi dans cette bienheureuse obéissance dans laquelle se trouvent tous les biens, et vivez comme une seule âme dans différents corps. Alors l’Ancien est soulagé et a du temps libre pour prier pour vous de toute son âme, rempli de joie et de jubilation. Alors que si vous désobéissez et gâchez tout cela, alors son âme est continuellement alourdie et affaiblie par le chagrin et petit à petit il s’avance vers la mort.
Tout cela, je l’ai expérimenté et j’en ai mangé les fruits qui en sont très doux. Personnellement, je n’ai jamais vu qui soit aussi délassant que l’obéissance parfaite. J’ai enterré mon cher Ancien ; et j’ai trouvé le repos par sa prière[69].
Ainsi, prenez de la peine maintenant que vous êtes jeunes, afin de moissonner le fruit de l’apatheia dans votre vieillesse. Non pas dans une vieillesse avancée, mais dans vingt ans, si vous vous donnez du mal, vous verrez ce dont je vous parle. Mais si vous ne vous contraignez pas, même si vous vivez aussi longtemps que Mathusalem[70], vous ne bénéficierez jamais de ces charismes.
Donnez vous donc du mal et enviez l’Ancien et qui que ce soit en matière de bien. Vous constaterez alors cette inertie des passions et paix de l’âme comme si vous étiez au Paradis.
Treizième lettre :
La grâce de Dieu ne dépend pas des années.
J’ai reçu ta lettre, mon enfant, et je réponds à tout ce que tu m’écris.
Tu m’as demandé lequel des deux reçoit la grâce plus rapidement : l’hésychaste ou le disciple. Sans aucun doute, le disciple obéissant non seulement reçoit la grâce rapidement, mais aussi il est constamment en sécurité, il ne craint ni de chuter, ni de se perdre ; il lui suffit de ne pas tomber dans la négligence. Lorsque le Christ est venu dans un homme, il est rasséréné qu’il soit seul ou avec beaucoup d’autres, et bénéficie de la paix en tout lieu.
La grâce de Dieu ne dépend pas des années, mais de la façon de combattre et de la miséricorde de Dieu.
L’expérience s’acquiert par les actions et avec le temps ; mais la grâce, c’est pourquoi on l’appelle grâce, c’est-à-dire un don, est un charisme qui dépend de Dieu ; et elle est accordée selon la ferveur de la foi, de l’humilité et de la bonne disposition.
Salomon a reçu la grâce à l’âge de douze ans. Daniel au même âge. David alors qu’il était un adolescent qui faisait paître les brebis de son père. Et il en va de même pour tous, les Anciens comme les Jeunes saints.
Dès qu’un homme se repent vraiment, la grâce l’approche, et augmente avec son zèle ; l’expérience en revanche requiert une ascèse de plusieurs années.
Avant tout, celui qui recherche la grâce du Seigneur, doit supporter les tentations et les afflictions, de quelque façon qu’elles se produisent. Mais si, au moment de la tentation, il les supporte difficilement et ne témoigne pas d’assez de patience ; ni la grâce ne se manifestera, ni la vertu ne sera parfaite, il ne sera pas non plus considéré comme étant digne d’un charisme.
Quiconque a appris que les afflictions, et en général tout ce que les tentations causent en nous, sont des dons de Dieu, celui-ci a vraiment trouvé la voie du Seigneur. Il attend alors qu’elles se produisent, car il est purifié par elles, et en les supportant il est illuminé et contemple Dieu.
On ne voit pas Dieu autrement, qu’au moyen de la connaissance. Cette connaissance, c’est la contemplation. C’est-à-dire que lorsque tu comprends que Dieu est près de toi et que tu tournoies, et à l’intérieur de Dieu et qu’il voie tout ce que tu fais, alors tu fais attention de ne pas le chagriner – car il voit tout que ce soit en toi ou à l’extérieur de toi – alors tu ne pèches pas, parce que tu le vois, tu l’aimes, et tu prends garde de ne pas lui causer de chagrin : « car il est à ta droite[71]. »
C’est pourquoi quiconque commet un péché ne voit pas Dieu, mais est aveugle.
Quatorzième lettre :
Il est vraiment grand le mystère de l’obéissance.
Réjouis-toi dans le Seigneur, enfant du Dieu céleste.
Tu m’écris, mon enfant, au sujet d’une pensée que tu as eu contre ton Ancien. Tu dois beaucoup redouter cette tienne pensée, fuis la comme un serpent venimeux. Car elle a une terrible puissance sur notre génération.
C’est une ruse du Malin. Il t’apporte des pensées contre l’Ancien pour te priver de sa grâce qui te protège, pour te rendre responsable, et ensuite te tourmenter impitoyablement. Observe donc mon propos et ne laisse jamais une telle pensée contre ton père spirituel se nicher dans ton cœur. Rejette-là tout de suite comme un serpent venimeux.
En outre, au sujet du livre que tu cherches, même si tu devais être sauvé par lui, ne te le procure pas sans une bénédiction. Car sans la bénédiction, il est considéré par Dieu comme un adultère. Tu dois observer une telle acribie dans les petites choses comme dans les grandes, que tu ne dois, sans la bénédiction de ton Père spirituel ni prier, ni faire l’aumône, ni faire quelque autre bonne action.
Écoute l’histoire de Saül que Dieu a élu d’entre toutes les tribus d’Israël et qu’il a oint roi ; mais, parce qu’il n’a pas manifesté une obéissance parfaite à l’égard de Samuel et a gardé les bons animaux destinés au sacrifice, Dieu l’a complètement détruit, en faisant dire au Prophète Samuel : « L’obéissance est plus qu’un bon sacrifice[72]. »
Il est vraiment grand le mystère de l’obéissance.
Puisque notre doux Jésus le premier a tracé la voie en devenant un modèle pour nous, à plus forte raison ne devons nous pas marcher à sa suite ?
Si seulement, mon enfant, j’étais parmi vous moi aussi, entrain de pratiquer mon obéissance vraiment bien-aimée !
Car je confesse sincèrement de toutes mes forces, en toute connaissance de cause, qu’il n’y a pas d’autre voie de salut que celle-ci, loin de toute illusion et action de l’ennemi. Et si quelqu’un désire vraiment être sauvé et trouver rapidement notre doux Jésus, il doit faire obéissance. Et il doit porter un tel amour à son Ancien qu’il le considère comme étant l’image du Christ.
Ainsi mon enfant, mon enfant, tient serrée toute l’armure que tu as reçue[73], et combats fermement ; lance tes flèches vigoureusement contre tes ennemis ; ayant un seul objectif en évitant la flèche qui vole : ne jamais désobéir à ton Père spirituel. Car si Dieu est attristé par toi, tu as ton ancien comme intercesseur pour le supplier humblement à ton sujet ; mais si tu l’as attristé lui, qui donc fléchira le Seigneur pour toi ?
Combat pour alléger dans la mesure du possible le fardeau de ton Ancien, afin que tu aies un allégement et de l’endurance lors de tes afflictions. Je sais d’expérience quelle grande responsabilité et quel poids assume un Ancien, combien il souffre jusqu’à ce qu’il ait transformé une âme inapte en une âme digne d’être introduite par lui dans le Paradis, surtout s’il se trouve avoir affaire à une nature peu maniable.
Car une lourde chaîne est placée autour du cou de l’Ancien, à chaque âme nouvelle dont il assume la responsabilité. Et il faut beaucoup de saintes prières pour en alléger le poids. Il faut beaucoup de pur amour ; et sans désobéissance ou répartie. Il faut que les lèvres de ses disciples ruissellent de dévotion et de grâce ; et non pas de fiel et d’amertume, de contestation et de querelle. Chaque mot dur que vous lui dites au moment de la tentation, puisqu’il provient du serpent diabolique, abreuve son âme de venin, et son âme flétrit comme une fleur battue par la grêle. Alors, il n’arrive plus à prier pour lui-même, jusqu’à ce que la souffrance soit passée. En revanche, lorsque les disciples sont obéissants en tout, alors l’Ancien aussi marche droit, il est soulevé vers le haut : il prie avec ferveur, il est abondamment illuminé, il parle sagement, il conseille judicieusement, il reçoit de la grâce par surcroît et il devient une source jaillissante prodiguant à chacun la grâce divine, qu’elle reçoit du Seigneur.
C’est pourquoi, mon enfant, si tu veux progresser rapidement et sans beaucoup de mal, apprends à renoncer à chaque avis personnel pour que celui-ci ne devienne pas ta volonté. Que ton oreille soit suspendu aux lèvres de ton Ancien et quoiqu’il te dise reçois-le comme une parole de Dieu ; mets la en acte sans hésitation, et tu seras toujours serein. En outre, souviens-toi toujours que l’obéissance ou la désobéissance ne s’arrête pas à l’Ancien, mais à travers lui remonte jusqu’à Dieu.
Ne dissimule jamais une pensée à ton Ancien et ne falsifie pas tes paroles en te confessant devant le Seigneur. Dis franchement tes pensées, et aussitôt ton cœur trouvera le repos. Brise ta nuque sous le joug de l’obéissance et sois suspendu au souffle de ton Ancien. Dès qu’une parole sort de sa bouche saisis-t’en, que tes ailes poussent, vole pour l’accomplir, sans examen, qu’il soit positif ou négatif.
Fais sans distinction et aveuglément tout ce que t’ordonne celui qui est responsable de toi, pour être toi déchargé de toute responsabilité dans tes actes. Celui qui ordonne devra se justifier : si oui ou non il l’a fait à juste titre. Toi tu devras rendre compte de ce que tu as ou non bien obéi. L’obéissance, ce n’est pas d’accomplir tel ou tel commandement, qui t’a été ordonné, tout en ayant intérieurement des objections. L’obéissance c’est subjuguer la façon de penser de l’âme, afin de te libérer de ton mauvais moi.
L’obéissance, c’est devenir esclave, pour se rendre libre. Acquiers ta liberté à bas prix. Départis-toi de toute responsabilité joyeusement.
N’écoute pas ta pensée, qui ,dans le moments difficiles, te conseille de quitter ton monastère.
Sache bien que celui qui ne se soumet pas à un seul se soumet à beaucoup[74], et au bout du compte reste insoumis.
Quinzième lettre :
Ainsi, tu ne m’écoutes pas et tu ne fais pas marche arrière ?
Dieu dit à Adam : « Qui t’a annoncé que tu étais nu, sinon que tu as mangé du seul arbre dont je t’ai ordonné de ne pas manger[75] ? »
À mon tour, je te dis : « Qui t’a mis dans la tête tout ce que tu écris ? Sinon que tu as ouvert la porte à l’ennemi qui en entrant avec toute sa fourche a avili ton âme ?
Mon enfant il fallait penser à ces choses avant de porter le saint habit. Maintenant que tu as revêtus l’Habit Angélique et que le Christ a scellé tout ce que tu lui a promis, toutes ces pensées n’ont plus leur place chez toi. Une fois le sacrement accompli famille, parents, et tout le reste est effacé.
Fais bien attention à mes paroles.
Si après cela un moine fléchit, devient nonchalant et quitte sans raison son Ancien ou sa communauté, malheur à lui, car il sera la proie de grandes épreuves et n’échappera pas à la rétribution. Il le payera jusqu’à la fin de sa vie pour se retrouver alors encore créancier. On le considérera comme quelqu’un qui a rompu ses vœux et transgressé le commandement divin. Car le Seigneur a dit : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi[76]. » Et encore : « Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est impropre au Royaume de Dieu[77]. » Et également : « Il vaut mieux que tu ne fasses pas de vœu, plutôt que présenter un vœu et ne pas t ‘en acquitter[78]. »
Quand donc le Christ dit cela explicitement, ton Maître, Dieu et Père, lui qui tient entre ses mains ton souffle et ta vie, quelle pertinence a ce que tu dis ? Que soi disant tu ne trouveras pas le repos, que ta conscience reprochera sans cesse les obligations que tu as abandonnées[79], etc. Que Dieu, qui a fixé les limites et les bornes, pense à tout cela, que ce soit lui qui rende des comptes à lui-même, s’il ne les a pas bien dites. Toi et moi ainsi que tous ceux qui ont revêtu le saint Habit, nous devrions à tout prix remplir les promesses que nous lui avons faites, afin de devenir des héritiers des biens qui nous ont été promis.
Ne crois pas que tes parents aussi en tireraient profit, si tu reviens sur tes pas. Tu causeras un grand dommage à leurs âmes, et ceux de ta maisonnée seront destinés à la perdition, s’ils se dressent contre la volonté divine. Ni je ne collaborerai jamais à ce péché, ni je ne suis d’accord avec la solution que vous proposez maintenant. Mais même si l’Ancien finalement par lassitude te laisse partir, il paiera très cher cet accommodement.
Efface donc totalement de ta mémoire ce mauvais souvenir, afin que cesse la guerre des pensées, et que ton cœur retrouve la sérénité. Mais si tu es vaincu et retourne en arrière, non seulement je ne t’écrirai plus d’autre lettre, mais je t’effacerai totalement de mon cœur. Je ne peux pas faire plus, dans la mesure où je me rends compte que, bien que tu comprennes que c’est une tentation diabolique, tu persistes à l’entendre. Donc, que t’écrire de plus ?
Mais écoute moi tant qu’il est encore temps. Car lorsqu’un homme en connaissance de cause cède à la tentation, viendra par la suite le moment où il sera incapable d’entendre ce qui est sain et profitable ; car déjà l’ouie de son âme s’est gâtée. Par la suite, il devient méprisant et court à sa perte.
Ne vois-tu pas que le Seigneur parlant pour tout le monde, a conclu à la fin : « Que celui qui a des oreilles entende ! » ?
Par conséquent, laisse ces tiennes pensées de côté et affermis ton intellect avec un « esprit directeur[80] ».
Tu n’as aucune charge à l’égard de quoi que ce soit que tu as laissé derrière toi, lorsque tu as quitté le monde et les tiens. Celui qui a créé le ciel et la terre a pour toute chose prévoyance et soin et il se préoccupe aussi de tous.
Écoute donc le récit d’un événement miraculeux qui s’est produit ici sur la Sainte Montagne et que tu n’as peut-être pas encore entendu jusqu’à maintenant.
Il y avait un moine ici à Katounakia que je n’ai pas eu le temps de connaître, car il mourut récemment. C’était le disciple d’un Ancien aveugle. Donc un jour arriva un pauvre laïc, qui passait devant son kellion, Le jeune moine de lui demander :
- D’où es-tu ?
Il était originaire du même village que lui. Le moine ne lui fit pas savoir, il se contenta de lui demander comment allait un tel, c’était son père. L’étranger lui répondit qu’il était mort en laissant sa femme et trois filles qui étaient sans père, à la rue et dans la misère. Il ajouta qu’il avait aussi un fils, qui étaient parti depuis des années sans que l’on sache ce qu’il était devenu.
Le moine fut choqué comme s’il avait été frappé par la foudre. Aussitôt il fut assailli par les pensées.
- Je vais partir, dit-il à son Ancien, je vais partir pour aller les protéger !
Il demande sa bénédiction, l’Ancien ne la lui donne pas. Lui d’insister sans discontinuer. L’Ancien lui donna des conseils en pleurant sur lui-même et son disciple. Mais il fut impossible de la convaincre, finalement il le laissa partir, et le disciple s’en alla.
Une fois qu’il eut quitté la Sainte Montagne, il s’assit à l’ombre d’un arbre. Le hasard voulu qu’un autre moine arrive en sueur, il s’assit à son tour sous le même arbre, et le nouvel arrivant lui dit :
- Je te vois préoccupé, mon frère, ne veux-tu pas me dire ce que tu as ?
- Laisse-moi, Père, il m’est arrivé un grand malheur.
Et de lui raconter en détail toute l’histoire, le bon voyageur lui dit alors :
- Si tu veux m’écouter, mon cher frère, retourne chez ton Ancien et Dieu protégera ta maison. Toi sers ton Ancien, puisque de plus il est aveugle.
Mais lui ne l’écouta pas. Il était envahi par les pensées et les paroles de l’autre lui semblaient absurdes. Bien qu’alors on lui ait donné beaucoup d’exemples comme je le fais maintenant pour toi, le moine désobéissant se leva pour poursuivre sa route vers le monde. Le passant lui dit finalement :
- Ainsi tu ne m’écoutes pas et ne retourne pas sur tes pas ?
- Non ! Dit-il avec entêtement.
- Eh bien alors, sache que je suis ange du Seigneur. Dès que ton père est mort, Dieu m’a ordonné d’aller chez les tiens pour les protéger et être leur gardien. Puisque maintenant toi tu viens à ma place, moi je vais les laisser et partir parce que tu ne m’écoutes pas.
Et il disparut de devant lui. Alors le moine reprit ses esprits et retourna aussitôt chez son Ancien qu’il trouva à genoux entrain de prier pour lui.
As-tu compris mon enfant ? C’est ce qui arrive quand nous nous quittons tout pour Dieu, puisqu’il régit tout très bien en tant qu’administrateur bienveillant et il n’y a rien d’erroné dans sa bonne volonté. Mais celui qui cherche le salut doit faire preuve de patience. Mais si nous exigeons que Dieu agisse comme cela nous arrange selon notre jugement, alors malheur à notre situation misérable.
Le diable ne pouvant pas pénétrer là où se trouvent la bénédiction de l’obéissance et le nœud de l’affection, s’efforce de multiples façons d’isoler l’homme par la rébellion, pour ensuite faire de lui le jouet de sa méchanceté et de sa fourberie. Mais lorsque le sage obéit à ses supérieurs, qui connaissent le chemin, le diable échoue lui qui dresse des pièges et le mal retombe sur sa tête.
Observe donc désormais l’obéissance à l’égard de ceux qui sont plus âgés que toi et avec le temps tu deviendras toi aussi quelqu’un d’expérimenté utile aux plus jeunes. Le temps viendra où tu acquérras ce que tu ne possèdes pas encore et ce qui te semble difficile à mener à bien, et alors tu t’étonneras de ce que tu l’as obtenu, puisqu’en plus tu avais cessé de le rechercher. Cela viendra, il te suffit seulement de rester patient et de rechercher la purification de l’âme. La colère aussi s’apaisera, et la paix viendra, tu obtiendras une apatheia* proportionnelle à ton ouvrage, tu obtiendras aussi la prière. Il te suffit de continuer à chercher et à te donner du mal autant que tu peux. Tout n’arrive pas d’un seul coup. De la même façon qu’enfant, tu n’as pas acquis le corps d’un homme tout d’un coup.
Désormais toutes ces chutes te sont autant de sages leçons d’humilité. C’est pourquoi, il n’y a pas de raison de s’affliger, mais il te faut être vigilant et te conforter pour affronter les combats qui vont venir les uns après les autres. Et la leçon que l’on tire de l’un est une préparation pour le suivant. Cette préparation consiste à se dire que quoiqu’il advienne, quoique les démons ici bas puissent me faire, je n’aurai pas recours à ma volonté propre, je ne donnerai pas mon avis, je n’engagerai pas de discussion. Que ce soit tordu, quelle que soit la façon souhaitée par celui qui l’ordonne, telle une croix ; pour ma part, je l’exécuterai sans discussion ; et que Dieu voie mon cœur pour en alléger le combat.
L’homme doit se dresser comme une cible et attendre de quel côté l’ennemi va le frapper. Alors, sans tarder, il doit tourner ses armes de ce côté. Durant toute sa vie, il ne doit pas chercher le repos, même si très souvent Dieu lui en accorde un. Mais il ne doit pas s’enhardir, mais veiller sans cesse comme un soldat au moment de la bataille, car chaque instant compte et peut amener dans l’âme autant de fruit que toute une année ; mais cela est vrai aussi du dommage, si l’homme n’est pas attentif.
Seizième lettre :
Tant que tu gravis le Golgotha, il est inévitable que tu tombes.
Bien-aimé sacré de mon âme, enfant chéri dans le Seigneur ; je viens de recevoir aujourd’hui ta lettre. Et vois, une fois de plus je pleure et me lamente, à nouveau je veux sacrifier mon âme pour toi[81].
Reviens donc à la vie[82]. Je vais te donner ma main tremblante. Ne sois pas effrayé. Une fois encore, je te supporte. Pleure sur mon épaule. Je suis auprès de toi. Je pleure avec toi. Je soupire, j’ai de la peine, mon âme souffre. Mon cœur palpite jusqu’à ce que je t’ai fait mon monter sur le Mont Thabor. Tant que tu gravis le Golgotha, il est inévitable que tu tombes. La croix est lourde. Maintes fois tu tomberas sur tes genoux. Mais toi, pourquoi prêtes-tu l’oreille au tentateur ? Au bout du compte, il sera vaincu.
Mais voilà, ton Ancien a raison. Ton Ancien t’a appelé deux fois et toi tu lui as désobéi ? Et à qui alors as-tu donc obéi ? Que disaient à cet instant tes pensées ? Eh bien, quoiqu’il advienne, nous ne désespèrerons pas. Nous supplierons notre Ancien de nous pardonner et nous accomplirons notre canon de pénitence. Moi aussi, je ferai pénitence avec toi. Toi, tu feras vingt-cinq prosternations supplémentaires quotidiennement. Et à l’avenir sois prudent. Remets-toi en route et prends garde à la désobéissance. Car si quelqu’un a été défait une fois par une passion, par la suite il faut qu’il fasse très attention en affrontant la tentation, pour ne pas rechuter.
Par conséquent, sois courageux. De quelque façon que le mauvais lance ses traits, nous les renverrons sur ses reins. Il faut que tu comprennes que tu n’es pas seul. Tu as un garde champêtre qui veille sur toi et qui évente les pièges qu’il tend sous tes pas. Non pas quarante jours, mais trois fois quarante jours je vais jeûner de bon cœur pour toi, je veillerai, je partagerai ta peine par affection pour toi. Toi, reviens à la vie et tiens-toi courageusement. Reçois de la vaillance de la part du Seigneur et n’aies pas peur du teigneux, que le Christ a mis hors de lui et qui désormais est privé de la vigueur et de la puissance qu’il avait. Il n’agite plus que des produits de l’imagination et des craintes ; il ne dit plus que des paroles effrontées et des bavardages. Reçois d’en haut la grâce de la piétiner, et que tes membres soient courageux, dis lui : « Cesse, ennemi, de me faire la guerre, car mon Père veille pour moi et supplée mes déficiences. Il souffre et jeûne pour moi. Dussé-je chuter soixante-dix-sept fois, tu seras quand même vaincu. »
Donne-toi du courage en te disant cela et aussitôt repens-toi de tout ce que tu commets comme erreur en tant qu’homme. Toutes ces imaginations et ces craintes viennent du malin, pour te désespérer et t’abattre ; pour te dépouiller de tout par le chagrin. Mais ne l’écoute pas.
Quant aux lettres qui ont eu du retard et les autres qui se sont perdus, c’est lui aussi qui fait obstacle. C’est lui qui fait que d’autres les ouvrent. C’est lui le responsable de tous les maux. Personne d’autre n’est fautif si ce n’est lui. Ainsi c’est lui que nous allons combattre durant toute notre existence. Non pas les frères, mais celui qui les pousse à penser et à accomplir toutes les mauvaises actions, visibles ou cachées.
Donc, puisque je t’ai dit que je suis à côté de toi, quand tu va te mettre en colère, quand tu es sur le point de perdre la mesure, dis toi : « Par amour pour mon Ancien, qui va pleurer lorsqu’il l’apprendra, je ne mettrai pas en colère, je ne veux pas désobéir. Qui a jamais tiré un bénéfice de la désobéissance, pour que moi j’en retire un maintenant ? »
Quant au livre de l’Aba Dorothée que tu recherches, on peut le trouver facilement, mais on n’autorise pas la sortie des livres de la Sainte Montagne, si ce sont de vieux exemplaires. L’Abba Dorothée est plein de componction, plein de grâce, très utile à l’âme. Je vais demander si on m’autorise à acheter l’Evergétinos ou la Philocalie pour te l’envoyer.
Quant au frère, dont tu as écrit qu’il souffre, nous prierons pour lui. De toute façon, il a dû commettre quelque péché récemment ou anciennement pour que Dieu autorise qu’il souffre ainsi. Très souvent, quelqu’un pèche sans que celui qui le commet réalise qu’il est entrain de commettre un péché. Il marche dans l’obscurité comme un aveugle, sans avoir le courage de se mettre dans la lumière pour dire : « j’ai péché mon Dieu ! ».
Plus le temps passe, plus le diable approche de sa fin, plus il combat et se démène avec une fureur extrême pour que nous allions tous en enfer.
Surtout maintenant avant le Grand Carême qui approche, les ennemis achevés que sont les démons suscitent nombre de tentations et de troubles contre nous. parce que nous aussi nous les affligeons davantage par nos jeûnes et nos prières, à leur tour ils sont plus violents contre nous.
Veille donc à gagner des couronnes dans l’arène de la lutte. Tu dois devenir plus courageux, pour engager la bataille, poitrine contre poitrine, contre ces ennemis incorporels. N’ais pas peur d’eux.
Tu ne vois pas à chaque prière que tu dis, tout ceux qui tombent, tout ceux qui s’enfuient. Tu vois seulement combien toi tu es blessé. Mais eux aussi sont frappés, eux aussi souffrent. À chaque fois que nous prenons patience, ils s’enfuient en faisant des bonds et, à chaque prière, ils sont gravement blessés. Tu ne veux quand même qu’en temps de guerre, alors que toi tu tires contre eux des balles et des flèches, ils te renvoient des bonbons et des chocolats.
Te souviens-tu de ce que tu écrivais alors au commencement ? Tu écrivais que tu avais revêtu le Saint Habit comme une armure, pour lutter contre les principautés et les puissances des ténèbres.
Ainsi combat, pour agir en accord avec tes paroles.
Dix-septième lettre :
Au moment de la tentation, n’abandonne pas ton poste.
Mon sympathique enfant, ainsi que toute la fraternité en Christ…
Réjouissez-vous de la sainte joie de notre Seigneur Jésus-Christ.
Aujourd’hui c’est la fête de S. Charalambos. Hier nous avons appris que le facteur était passé, et le frère qui jeûne depuis trois jours est allé à Daphni pour y chercher le mandat postal et la lettre recommandée. Je t’en prie, n’envoyez plus de lettre recommandée, car aller d’ici à Daphni nous cause beaucoup de fatigue. Et au train où vont les choses, la dépense pour nous est à chaque fois importante.
L’ouverture des lettres s’explique ainsi : il paraîtrait que j’écris les fautes commises par certains à leur Ancien, qui est confesseur, c’est pourquoi ils les ouvrent pour voir ce qui est écrit. Mais cela ne me préoccupe pas le moins du monde, vous aussi ne soyez pas préoccupés. Que chacun s’occupe de son âme. Car nous devrons rendre compte de chacun de nos actes, non seulement des actes licites et illicites, mais aussi pour une parole vaine et pour les pensées mal conçues.
Fais une prosternation à ton Ancien et remercie le pour la faveur qu’il nous a faite en levant ta pénitence. Fais bien attention, mon petit enfant, à la chose suivante, les fautes causent de la souffrance, et il faut se donner de la peine pour les redresser. C’est un grave témoignage de mépris que de pas lui répondre ou de ne pas aller le voir, lorsque ton Ancien te parle. C’est sans excuse pour quelqu’un qui peut revoir demain la face de son Père. Seul celui qui a décidé et est prêt de quitter son prochain pourrait agir ainsi. Sinon, s’il reste, avec quelle contenance pourra-t-il affronter encore son Père spirituel ? Comment pourra-t-il lui parler, lui demander sa bénédiction ?
Prends garde mon enfant, car ça c’est de l’égoïsme coriace et une façon de penser dépourvue d’humilité. Quand il arrive que comme un homme, tu es fatigué ou malade ou que ta tâche te pèse, dis le à ton Ancien avec humilité. Explique le loyalement avec une conscience sans détour. Lui sait comment exprimer sa condescendance. Il sait au moment opportun alléger le fardeau, pour que ton travail ne soit pas interrompu et que tu sois ainsi lésé au lieu que cela te soit profitable.
Mais apprends à obéir résolument sans marchander. Et n’accable pas l’Ancien avec des accommodements et des rabais ; car au bout du compte, d’une manière ou d’une autre, tu devras payer la facture de tous ces « accommodements ». N’alourdis pas le compte de ton âme avec des choses insignifiantes.
Et maintenant que tu as été vaincu et a chuté une fois, aies dorénavant cette passion à l’œil. Car le tentateur est toujours à côté de nous ; et quel que soit le combat où quelqu’un a été vaincu une fois, même si cent ans ont passé, dès que cette personne se heurte à nouveau à la tentation qui l’a vaincu, il est à nouveau terrassé.
C’est pourquoi je te dis comme à tous les frères qu’il faut que tu sortes vainqueur dans chaque combat que tu mènes contre l’ennemi. Meurs en combattant, ou sois vainqueur avec Dieu. Il n’y a pas d’autre issue.
Au moment de la tentation, n’abandonne pas ton poste ; ne déserte pas ; ne cherche pas à montrer l’erreur de l’autre ; ne cherche pas à te justifier ; mais en silence laisse passer la tentation et le trouble.
Et après que la tentation soit passée et que tu aies obtenu une paix parfaite – que tu sois un Ancien, ou un disciple – alors montre lui sans passion quel est le préjudice et l’utilité. C’est ainsi que la vertu se construit.
Toutes les tentations et les afflictions demandent de la patience, et celle-ci est l’instrument de leur défaite. Note les noms de ceux qui ont été endurant jusqu’à la mort au moment de la tentation au point que la salive de leur bouche, en devenant du sang, les a empêché de parler. Prends les en grande dévotion et honore les comme des Martyrs, comme des Confesseurs de la foi. Tels sont ceux que j’aime, tels sont ceux que j’embrasse, pour eux je suis tenu de verser chaque jour jusqu’à mon ultime goutte de sang dans l’amour du Christ. Comme tu le vois, ils auraient préféré subir mille morts plutôt que de laisser sortir de leur bouche une parole blessante. Et lorsque les hommes les hommes les prennent à la gorge, lorsque des pensées d’équité les assaillent, lorsque les pensées intérieures les oppressent ; alors ces Martyrs, tout en luttant, perdent connaissance et tombent comme morts ; et il continuent de lutter mentalement contre la tentation prenant tous les fardeaux sur eux en souffrant et en soupirant comme s’ils étaient fautifs.
Ainsi, je ne désire rien d’autre et il n’y a rien que j’affectionne autant que d’apprendre que vous prenez patience dans les tentations.
Car Dieu, en tant qu’Être auto glorifié, n’a pas besoin de l’œuvre de l’homme. Mais il se réjouit et apprécie, quand par amour pour lui nous témoignons[83]et souffrons. C’est pourquoi il nous couronne, et nous gratifie d’une grâce abondante.
J’aimerais prononcer trois homélies, ou même écrire trois livres. L’unique sujet du premier serait : l’homme n’est rien ; et je proclamerai sans cesse que je ne suis rien. Dans l’autre j’écrirai que Dieu auto glorifié est tout en tout et pour tout. Et dans le troisième : qu’en toute chose, il faut prendre patience jusqu’à la mort. Quand bien même tu serais jeune, quand bien tu aurais atteint un âge avancé, quand bien même tu aurais combattu pendant de nombreuses années, si tu ne prends pas patience jusqu’à ce que tu rendes l’âme, tes œuvres sont comme une guenille devant Dieu.
Ainsi, connais-toi toi-même parce que tu n’es rien. Voilà quelle est ton existence : zéro. Ton origine, c’est la boue, et ta puissance vitale c’est le souffle de Dieu. Tout est à Dieu. Sache toi-même que tu n’es rien et prend patience dans les tentations, pour se délivrer d’elles et devenir dieu par grâce ; car tu es le souffle, l’insufflation de Dieu.
Appelle souvent ton Père qui se trouve toujours près de toi et qui jamais ne s’absente. Il t’est plus proche que l’influence de ton esprit ; il est dans ton souffle, dans ton esprit, dans ta parole. Dieu contient l’univers. Nous vivons en lui ; nous sommes portés dans son sein ; nous sommes vils et sots. Ton Père est présent ; il te voit sans cesse ; toi pourquoi ne le vois-tu pas ? Pourquoi pèches-tu ? Pourquoi désobéis-tu ? Pourquoi causes-tu du chagrin à celui qui donne la vie ? Alors que Lui il te voit, il est chagriné, et il passe outre ; pourquoi es-tu aveugle ? Supplie-le, en prenant en patience les tentations qu’il t’envoie, alors tes yeux s’ouvriront et tu le verras, alors avec Job tu t’écrieras : « Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant je te vois et je me suis pris en dégoût et me couvre moi-même de poussière et de cendres.[84] »
Dix-huitième lettre :
M’étant relevé, j’ai engagé le combat contre tous les esprits.
Ce qui t’est arrivé, mon enfant, montre que tu as beaucoup de vaine gloire. Tu as une haute idée de toi-même. C’est la raison pour laquelle tu n’as pas un esprit de condescendance, d’humilité. Mais tu estimes que désormais tu ne pécheras plus, tu ne désobéiras plus, tu ne changeras plus, mais que tu vas vivre désormais une vie immuable, ce qui n’est pas de la nature de l’homme.
Mais on t’a déjà dit que tu souffres de beaucoup d’ignorance, ce qui engendre la suffisance. Prends donc garde mon enfant, fuis l’ignorance, mère de tous les vices. L’ignorance du bien c’est l’obscurité de l’âme. Et alors l’homme ne combat plus aux côtés du Christ, qui est la lumière, il ne peut pas se libérer du prince des ténèbres, le diable.
Voilà, que le Seigneur soit mon témoin, lui qui abat les menteurs avec leurs mensonges : pendant plus de vingt-cinq ans j’ai combattu dans ce monde les démons furieusement et en répandant le sang. Je suis descendu dans les profondeurs de l’océan, dépouillé de toute présomption et de volonté propre, pour trouver la perle précieuse[85]. J’ai dompté Satan lui-même avec toute son armée, sa science, et son habileté. Une fois terrassé grâce à l’humilité, je lui ai demandé :
- Pourquoi as-tu tant de fureur contre nous, et pourquoi nous combats-tu avec tant de colère ? Il me répondit :
- Pour avoir beaucoup de compagnons en enfer, et me vanter auprès du Nazaréen de ce que je ne suis pas le seul transgresseur, et qu’il y en a beaucoup d’autres avec moi !
Et une fois encore je suis monté aux cieux par grâce et contemplation spirituelle et j’ai vu l’indicible beauté du Paradis, que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment.
Par la suite, la grâce se retira un peu, et mes pieds ont presque chancelé[86] et je suis tombé dans une légère indolence, le sommeil m’envahit et je fus privé de beaucoup de biens. Et peu après je me suis à nouveau dressé et j’ai mené la guerre et une sanglante bataille ; à nouveau vainqueur et je suis de nouveau tombé en somnolence. Et derechef la mère de tous les vices l’indolence à commencer à me ronger les os. Pourtant encore une fois je me suis dressé et j’ai engagé le combat avec tous les esprits.
Au début pendant huit ans je me suis battu avec les passions de la chair. Je n’ai pas dormi allongé, mais debout dans un coin ou assis sur un tabouret. Je me suis battu deux ou trois fois par jour, en gémissant et en pleurant, pour que Dieu prenne pitié de moi, et écarte de moi la guerre. Jusqu’à ce que le Très Miséricordieux me prenne en pitié et abolit la furie de Satan. Et maintenant je te livre mes tribulations infinies comme en une rapide esquisse, une goutte ôtée à l’océan.
Pendant toutes ces nuits, des bataillons de démons avec des bâtons, des haches, et n’importe quoi d’autre susceptible de nuire, me torturèrent avec fureur pendant toutes ces huit années. L’un me saisit par la barbe qui était petite alors, l’autre par les cheveux, les pieds, les mains, ils m’infligèrent toutes sortes de maux et de tourments. Tous criaient : « Étranglez-le ! Massacrez-le ! » Et ce n’est que grâce au nom du Christ et de la Toute Sainte que tous devinrent invisibles, et leur puissance se dispersa comme de la fumée. Finalement le Seigneur prit en pitié et me fit sortir de la fosse du tourment[87]
Et maintenant, mon enfant, j’ai peut-être l’air stupide en te racontant tout cela, mais comme je pense que cela peut t’être utile, je vais poursuivre mon récit.
Mais désormais, j’ai vieilli comme si j’étais un centenaire, usé par les nombreuses souffrances et altérations que j’ai subies depuis ma jeunesse, alors que j’étais florissant. En premier lieu, par le travail de mes mains, comme tu as pu le voir d’après ce que je t’ai envoyé, je gagne mon pain à la sueur de mon front. Des moines viennent des différents monastères ou skites du Mont Athos et, par la grâce de Dieu, nous leur disons ce que Dieu veut bien nous révéler.
Je travaille aussi mentalement[88]et je remplis avec acribie mes devoirs monastiques. Pendant une partie non négligeable de la nuit, après que mon esprit se soit fatigué de la prière, je réponds à bon nombre de lettres, puisque des Chrétiens me demandent de plusieurs manières de leur être utile. Et après tout ce que tu as lu je tombe dans le désespoir parce que je ne fais pas la volonté de mon Seigneur. Je dis au milieu des larmes : « Qui sait si ce que je fais convient à mon Seigneur ou si je suis dans l’erreur, et bien que « je prêche aux autres, je suis moi-même disqualifié[89] » ? Car la volonté de Dieu m’est inconnue « Qui donc a connu l’esprit (noûs) du Tout Puissant[90] ? » Ou qui pourra subsister devant Lui, s’il tient compte des iniquités[91] ? »
Toi donc mon enfant, as-tu rejeté toutes tes armes pour une seule désobéissance ? Vas-tu abandonner le combat à cause des paroles d’un démon ? Et toi, as-tu jamais affronté l’hiver ? Où as-tu déjà vu des tempêtes de neige ? As-tu déjà vu des bataillons et des régiments de démons te menacer ? As-tu déjà été effrayé par les menaces des démons ? Mais ne croit jamais ce qu’ils dit. Car de tout temps ce fut un menteur ; et il n’a aucun pouvoir sur nous, à moins que nous nous trouvions dans un manque de jugement du à l’orgueil. Il ne peuvent que nous menacer et nous effrayer, mais ils ne peuvent pas passer à l’acte. Car s’ils n’avaient pas le pouvoir d’entrer dans les porcs[92], comment pourraient-ils nous éprouver sans la permission de Dieu ?
Ainsi, apprend à penser humblement et ne crains nullement les paroles d’un possédé. Nous avons le clair témoignage de Notre Seigneur : dés que le démon lui a dit : « Je sais qui tu es[93] », le Seigneur l’a fait taire, bien qu’il ait dit la vérité ; nous indiquant par là que nous ne devons pas écouter les paroles des possédés – même si elles sembles véridiques. Car c’est le démon qui parle par la bouche de l’homme, et s’il dit la vérité maintenant, plus tard derechef il mentira, car c’est un menteur depuis le début et il ne s’en tient jamais à la vérité. Et si quelqu’un se laisse aller à le croire, il deviendra rapidement la risée et la dérision des démons.
Reprends donc tes esprits et chasse ses paroles de ton esprit. L’homme humble dût-il tomber mille fois derechef se relève et sa chute lui est comptée comme une victoire. Mais l’homme orgueilleux, à peine est-il tombé dans le péché, qu’il tombe aussi dans le désespoir ; et endurcit, il ne veut plus se relever. Le désespoir est un péché mortel, le diable s’en réjouit plus que d’aucun autre. Mais il se dissipe immédiatement avec la confession.
Ainsi mon enfant contrains-toi à chaque bonne action. Et même si en contribuant au bien, nous tombons souvent, ne restons pas cependant à terre ; mais redressons nous pour demander pardon à Notre Seigneur. Puisqu’il a dit à ses disciples de pardonner au pécheur soixante-dix-sept fois par jour, comment pourrait-il, lui qui est le législateur en personne, ne pas nous pardonner.
C’est pourquoi n’ais pas peur. Mais redresse-toi autant de fois que tu es tombé et demande le pardon des prêtres. Et lui qui est plus que bon, il ne retiendra jamais quelque chose contre toi, ni ne fera subsisté sa colère : « Comme est loin l’Orient de l’Occident, il a éloigné de nous nos iniquités[94]. »
Dix-neuvième lettre :
Fais toujours une prosternation quand tu as fauté, sans perdre de temps.
J’ai reçu ta lettre, mon enfant, et j’ai vu en elle ton anxiété. Mais ne sois pas triste, mon enfant. Ne sois pas si inquiet. Bien que tu aies rechuté, relève-toi derechef. Tu as été appelé à une vocation céleste. Il n’est pas surprenant que celui qui court trébuche, Il faut seulement que tu prennes patience et que tu sois dans le repentir à chaque instant.
C’est pourquoi fais toujours une métanie, quand tu as commis une faute, sans perdre de temps. Car plus tu attends, plus tu permets au mal d’étendre ses racines en toi. Ne le laisse pas prendre racine à ton détriment.
C’est pourquoi ne désespère pas quand tu es tombé, mais t’étant redressé fais avec empressement une prosternation en disant : « Pardonne-moi, mon Jésus, je ne suis qu’un homme et je suis faible ». Le seigneur ne t’a pas abandonné, mais puisque tu as encore un grand orgueil mondain, beaucoup de vaine gloire, notre Christ te laisse faillir, pour que tu tombes. Afin que tu apprennes de façon sensible quotidiennement quelle est ta faiblesse et que tu prennes en patience les autres quand ils commettent des fautes. Ne méprises pas tes frères quand ils chutent, mais supportent les.
C’est pourquoi à chaque fois que tu tombes, relèves-toi encore, et demande aussitôt pardon.
Ne cache pas un chagrin dans ton cœur. Car la joie du Mauvais, c’est le chagrin, le découragement, qui engendre beaucoup d’autres choses, et qui remplissent de tristesse l’âme qui les contient. Alors que la disposition du pénitent lui fait dire : « J’ai péché, pardonne-moi Père ! » et chasse le chagrin. Il se dit : « Ne suis-je pas un faible homme ? Par conséquent, que faut-il que je fasse ? » c’est vraiment comme cela que ça se passe mon enfant, alors prend courage.
Il n’y a que la grâce de Dieu qui puisse lorsqu’elle vient remettre un homme sur ses pieds. Sinon, sans grâce, il chavire sur le côté à coup sur et tombe toujours. Sois donc un homme et n’aies aucune crainte.
Tu as vu comment le frère dont tu me parles a pris patience ? Toi fais donc de même. Acquiers un esprit bien trempé contre les tentations qui viennent. Elles viendront de toute façon Tu en as besoin. Car autrement tu ne seras pas purifié. Oublis ce que l’acédie* et ta nonchalance te disent. Ne les crains pas. Comme les tentations précédentes sont passées avec la grâce de Dieu, de même elles passeront elles aussi, après avoir fait leur travail.
Les tentations sont des médicaments et des simples[95] qui guérissent les passions apparentes et aussi nos blessures cachées.
Prend donc patience pour gagner quotidiennement, pour encaisser le salaire, le repos et la joie dans le Royaume des cieux. Car la nuit de la mort vient alors que l’on n’est plus capable de travailler[96]. C’est pourquoi dépêche-toi. Le temps passe vite
Que cela te soit aussi connu : il vaut mieux avoir une vie victorieuse d’une journée avec des prix et une couronne que de passer de nombreuses années dans la négligence. Car le combat qu’un homme mène pendant une journée, en connaissance de cause et avec une perception spirituelle, a la même valeur que le combat mené par un autre sans cette connaissance et avec négligence pendant cinquante ans.
Sans lutte et sans verser du sang ne t’attend pas à te libérer des passions. Après la chute, notre terre produit des épines et des ronces. Il nous a été ordonné de la nettoyer ; mais ce n’est qu’au prix de beaucoup de peine, des mains ensanglantées, et beaucoup de soupirs que les ronces sont arrachées. Pleure donc, verse des torrents de larmes, et rend meuble le terreau de ton cœur. Une fois que le sol est humide, on arrache facilement les ronces.
Vingtième lettre :
Ne désespère pas ! Cela arrive tout le monde.
Mon âme souffre et un lourd nuage recouvre mon cœur. Mon esprit se fige, ma langue s’engourdit, ma main s’ankylose à cause de toi. Je suis abasourdi de ce que tu ne puisses pas te contraindre un tant soit peu.
Ah si tu pouvais voir, mon petit, ma peine et les larmes que j’ai versées pour toi ! Et à quel point je me fais du souci depuis que j’ai appris que tu t’es dressé et tu as giflé l’adversaire ! Car ce n’est pas toi qui a fait cela, mais bien lui le Mauvais, le diable rebelle - que Dieu le détruise !
Ainsi prend courage, mon enfant, et relève-toi de ta chute. Debout. Sois en colère contre le tentateur, en sachant que c’est lui qui a tramé toute cette fourberie. Mais ne le laisse pas. Fais lui la guerre.
Lorsqu’il te fait souvenir de cette personne, prend un bâton et frappe fort sur tes cuisses, pour que le souvenir s’efface. Tu pleureras de souffrance, mais ton esprit sera purifié de ce souvenir. Les images disparaissent et l’illusion de l’imagination s’en va.
Cette tentation, mon enfant, redoute là beaucoup, car c’est une pollution de l’âme. Ce démon impur nécessite le bâton impitoyablement.
Ici tous mes jeunes ont un bâton dans leurs oreillers. Et, dès qu’une pensée charnelle te vient, frappe la avec le bâton ! C’est comme cela que le désir s’affaiblit et que l’âme est florissante. Car il n’est pas d’autre remède : prière, jeûne et bâton ! Alors l’esprit (noûs) se purifie ; l’âme est prise de componction facilement. Le cœur s’adoucit et on acquiert de l’assurance au moment de la prière.
Ne désespère pas, cela arrive à tout le monde. C’est une guerre menée par le tentateur et cela passera. Comme tu l’as combattu au début, comme désormais ton zèle s’est refroidi, il cherche à regagner sa dette. Mais toi aussi dresse-toi derechef, repens-toi et pleure.
Ne te souviens-tu pas de ce frère, qui disait au démon : « Cette cellule est une forge, tu donnes un coup de marteau et tu en reçois un » ? Ainsi, bats-toi vigoureusement contre la passion et rapidement, avec l’aide de Dieu, tu seras délivré.
Mais il faut que tu comprennes tout d’abord quelle est la cause de la tentation. Cela s’est produit parce que tu as laissé demeurer en toi des pensées contre l’Ancien et la fraternité.
Le diable, qui est spécialiste en mauvaise action, produit une haine contre l’Ancien et contre les frères, pour interrompre le lien de l’amour, il suscite une aversion contre tous ceux qui sont vertueux, pour faire cesser la prière. Car les prières d’un grand nombre le ligotent et le rendent impuissant.
C’est pourquoi il cherche de quelle façon et sous quel prétexte il peut isoler ceux qui sont convaincus par ses pensées, pour les séparer de l’assemblée des Pères. Pour ensuite les posséder et en faire des sous fifres.
Par conséquent comprend que tout cela ce ne sont que des artifices et des ruses du Malin. C’est pourquoi ne prête pas l’oreille à ce qu’il murmure dans les pensées.
Prends garde à ce qu’il ne te détourne pas de ta règle de prière, car alors tu serais perdu pour de bon. Puissent ses espoirs ne pas se réaliser.
J’attends que tu me réjouisses avec ce soufflet que tu vas infliger à son visage.
Pour ma part, je vais inciter tous les frères qui sont ici à prier afin que tu reçoives de la force d’en haut. Bien que moi aussi je ne cesse nullement de prier pour toi, désormais cela viendra de la communauté. Toi dorénavant ne sois plus négligeant et ne désespère pas.
Reçois aussi ce petit chapelet, prie et tu recevras de la force. Aime ton Ancien et tes frères et ne deviens pas injustement amer contre eux. Vraiment l’amour est puissant contre toute machination ou puissance de l’ennemi.
Quoiqu’il t’arrive, ne le considère pas comme rien, puisque ce n’est pas toi le responsable. Tu ne les a pas tracassés ni eux ne t’ont incommodés, mais le tentateur qui nous fait la guerre à tous, qui sans cesse nous combat et nous embrouille, car c’est son travail. Aujourd’hui toi tu as été mis à l’épreuve, demain ce sera un autre et après-demain un troisième, dans la mesure où le tentateur existera toujours dans cette vie.
Mais je répète, et écoute ma voix : ne désespère pas ! Nous irons ensemble au Paradis. Et si je ne t’y fais pas rentrer, alors je ne veux pas y prendre place non plus. De mes paroles apprends l’excès de mon amour en Jésus Christ Notre Seigneur.
Vingt et unième lettre :
Un péché qu’il soit petit ou grand est anéanti par le repentir authentique.
Tu m’écris pour me demander si ton péché est pardonné. Autre est le point de vue des Pères. Chaque péché commis par quelqu’un est pardonné dans la mesure où il se repent ; mais son image subsiste dans l’imagination jusqu’à son dernier souffle.
Mais quand il somnole, quand il est un peu négligent, le diable le lui représente qu’il soit éveillé ou endormi ; pour souiller sa pensée, pour qu’il se sente responsable d’un ancien péché ou même pour que son esprit erre.
Ne vois-tu pas comment le Prophète David s’est écrié lorsque Natân l’a blâmé au sujet de Bethsabée : « J’ai péché contre le Seigneur ! » et le Prophète de lui dire : « Et le Seigneur enlèvera ton péché[97] ». Ainsi, il fut tout de suite pardonné, mais il fut puni tout au long de sa vie. Tout d’abord, le petit enfant de Bethsabée mourut. Puis son fils pécha contre sa sœur Thamar. Par la suite son fils Absalom le poursuivit… Et il subit tout cela après le pardon. Ne vois-tu pas, que, bien qu’il ait été pardonné, le canon de pénitence subsiste en proportion de la faute ?
Ne vois-tu pas S. Théodora d’Alexandrie qui vivait déguisé en moine ? Elle a péché, elle est partie, elle s’est repentie, elle a été sanctifiée. Mais cependant, elle n’avait pas accompli le canon de pénitence* pour son adultère. Quand on l’a calomniée et chassée et a dû élever seule un enfant étranger, alors seulement elle a su pourquoi elle avait été calomniée.
Même le grand Éphrem le Syrien ; ne l’ont-ils pas mis en prison parce qu’il aurait volé un veau, alors qu’il était un saint ?
« Certes, lui dit le Seigneur, tu ne l’as pas volé maintenant, mais quand tu étais jeune n’en as-tu pas détaché un qui fut dévoré par les bêtes sauvages ? » Ainsi même lorsque quelqu’un a été pardonné pour son péché, le souvenir de la faute demeure, ainsi que l’effet de son opération (ergasia).
Quant à toi, comme tu as été négligent récemment, Dieu a consenti à ce que le tentateur se dresse contre toi, pour que tu te réveilles. Par conséquent, dresse-toi et crie : « Fils de David, je veux retrouver la vue [98]! » Et voici que Jésus qui donne la lumière est présent, faisant jaillir la lumière du repentir et de la connaissance divine.
Ainsi, je ne regrette pas ce qui est passé, mon enfant, mais je me réjouis de ce qui va venir. L’inférieur est béni par le supérieur[99], et le péché qu ‘il soit petit ou grand est effacé par le repentir.
Donc, ne te préoccupe pas de ce qui est derrière toi, mais sois tendu vers ce qui est devant toi[100].
Je me réjouis beaucoup, mon enfant, de ce que tu cherches à t’instruire. C’est un très bon signe ; lorsque quelqu’un cherche à apprendre, il est impossible qu’il n’arrive pas à quelque chose. Mais même s’il n’arrive pas à réaliser quelque chose, il a l’idée que d’autres sont à l’œuvre. En outre, en se blâmant lui-même, il s’humilie et demande à Dieu de lui envoyer sa miséricorde pour le conforter. Ainsi, il atteint le degré de ceux qui ont réussi à atteindre la vertu.
Vingt deuxième lettre :
Ainsi tu ne veux pas souffrir ? Alors, ne t’attends pas à t’élever.
Bien-aimé de mon âme ! Pourquoi es-tu découragé ? Pourquoi perds-tu espoir ? Pourquoi es-tu exténué ? Vas-tu abandonner si facilement le combat ?
Voici que Dieu a laissé les démons te passer un peu au crible[101], pour que tu comprennes où tu en es. Pour que se manifeste l’orgueil, afin que ton cœur soit humilié. Pour que tu apprennes que tu n’es qu’un homme, et le « connais-toi toi-même ». Pour que tu éprouves de la compassion envers les pêcheurs et que tu ne les critiques en rien.
Comment vas-tu apprendre la faiblesse de la nature humaine, si les corbeaux ne te réveillent pas ? Si notre doux Jésus ne retire pas sa grâce, comment toi pourras-tu apprendre l’art de tous les arts, la science de toutes les sciences ?
C’est maintenant que tu apprends le savoir-faire. C’est maintenant que tu reçois ta solde. C’est maintenant que tu montres que tu aimes le Christ, pas quand la grâce est là. De quel talent fais-tu preuve quand la grâce est là ? Alors c’est la grâce qui crie pour elle-même avec des gémissements inexprimables[102] : « Abba, Père ! [103]» La grâce crie au donateur de la grâce : « Qui peut me séparer de ton amour, mon Jésus ? » C’est la grâce qui crie cela, la puissance habitant en nous, par le moyen de l’organe de la parole, pas la chair. De la même façon qu’un possédé insulte et blasphème par la bouche de l’homme.
Car la chair sans la grâce ne peut rien faire. La chair privée de la grâce renie Jésus. Le coq chante ; Pierre se souvient. Il pleure amèrement et s’écriant : « J ‘ai péché ! » Mais il se cache quand même dans la chambre haute[104]. Il a peur des Juifs. Comme une souris se cache le cœur battant en entendant le chat à l’extérieur. « Je suis avec toi jusqu’à la mort [105]! » Dit-il, « je ne te renierai pas », dit-il, lorsque le Christ est là. Mais il le reniera trois fois, en son absence.
Alors tu comprends ? Tu saisis quel grand mystère se cache dans ce récit ? Le Christ intercède pour nous dans l’Esprit Saint[106]. C’est pour cette raison que lorsqu’il vient nous devenons des orateurs ; les pêcheurs deviennent des enseignants ; les débauchés des sages. Les voleurs ne volent plus ; et tous se repentent. Et qui donc a réalisé tout cela ? Le seul sage, le bon capitaine, le doux Jésus. Le seul Amour.
Quand un homme peut-il comprendre la souffrance de l’homme ? Lorsque lui aussi compatit. Quand il traverse les mêmes épreuves, alors il apprend, il a la pleine compréhension de la souffrance de l’autre. Dans le cas contraire, il est dur, il ne s’attriste pas, sauf dans le cas où il a une bonne nature. Mais ce qui relève de la nature ne mérite en tout cas ni d’être jugé digne ni indigne ; les succès et les échecs dépendent de notre libre choix[107].
Ainsi, comment allons nous apprendre cette science de toute connaissance, si le tentateur ne nous passe pas au crible ? Puisque, lorsque la grâce s’en va, non seulement toi ou moi, mais même les saints apôtres ne seraient pas des apôtres ! Comment un pot d’argile pourrait-t-il contenir de l’eau, sans avoir été cuit au feu au préalable ? C’est comme cela que Dieu veut agir avec nous, comme le lutteur au spectacle ou comme le ballon que l’on frappe.
Il te fait monter jusqu’aux cieux, en te montrant tout ce que l’œil d’un homme soumis aux passions n’a jamais vu, ni une oreille qui s’occupe du matériel n’a jamais entendu[108]. Puis sans que tu aies commis la moindre faute, il tourne la page et te précipite dans les profondeurs infernales. Et il se réjouit en te voyant lutter comme un athlète avec tous les bataillons des démons. Prends en considération ce que dit Paul, et laisse mes paroles. Après qu’il soit monté jusqu’au troisième ciel, et après avoir vu et entendu des choses indicibles, il s’écrie cependant : « Il a été mis une écharde dans ma chair ![109]»
Voilà comment agit le maître de la puissance, jusqu’à ce qu’un homme acquiert un état spirituel durable : il l’élève et le fait contempler ; le fait choir et lutter. Afin qu’il considère l’un et l’autre état comme quelque chose d’ordinaire. Sans que les modifications habituelles ne l’affectent ; les deux sont pour moi, se dit-il.
Donc, tu ne veux pas souffrir ? Alors ne t’attends pas à t’élever. Celui qui ne veut pas endurer les afflictions ne doit pas non plus Lui demander la grâce. C’est pour cela qu’il t’a enlevé la grâce, pour que tu deviennes sage. Mais il reviendra. Il ne t’abandonne pas. C’est une loi de Dieu. Mais il repartira, mais là aussi il reviendra. Il suffit que tu n’arrêtes pas de la lui demander, jusqu’à ce que tu sois arrivé à un état spirituel accompli.
Il est bien connu que lorsqu’un homme soumis aux passions enseigne à quelqu’un qui est souffrant spirituellement, aussitôt la grâce se retire du premier qui tombe dans le même état que le second. Car avant d’être passé par la praxis*, on ne lui confie pas cette responsabilité.
Mais ce n’est pas là la raison plénière pour laquelle Dieu t’a abandonné. Même si cela ne s’était pas produit, la grâce inévitablement t’aurait quitté pendant cette période. Ne te souviens-tu pas de ce que je t’ai dit au début : « Ce que tu me dis maintenant je veux que tu me le dises dans quatre ans ? » Feuillette les premières lettres et tu verras.
C’est une loi inviolable de Dieu, qu’après trois ou quatre ans, et plus rarement cinq, la grâce se retire, pour exercer celui qui la possède et, si c’est là sa volonté, il le rendra sage.
Ne sois pas affligé, c’est une coupe commune. Médite la vie de S. André – le fou pour le Christ- pour voir ce qu’il a dit lorsque le Christ lui a donné cette pomme amère[110]. Cela est valable pour chacun de nous, selon notre mesure propre.
Donc supporte la chaîne de ton Christ. Clos ta bouche hermétiquement, sans laisser sortir une parole. Encourage-toi toi-même en disant : « Pourquoi es-tu triste ô mon âme, et pourquoi es-tu abattue ? Rien de mal t’est arrivé. Le Christ est parti pour quelque temps, mais il reviendra. Il tarde un peu parce qu’il veut t’enseigner la patience et l’humilité. Les Saints ont supporté tant de choses ; mais toi tu n’es pas capable de supporter l’économie de la grâce ? » Voilà ce que tu dois dire à ton âme sans être attristé. Car c’est cela qui réjouit les tentations ; de voir que tu t’attristes et que tu te décourages.
Mais, lorsque la grâce vient et s’en va, et revient pour repartir, alors tu apprends à combattre ; et cela ne t’impressionne pas, mais en te réjouissant tu diras : « Éprouve-moi, mon Christ, et épure-moi comme l’argent[111]. Alors te viendront des racines profondes, comme les arbres : plus le vent souffle, plus ils s’enracinent profondément. Dieu m’est témoin que c’est lors de mes plus grandes tentations que j’ai trouvé le plus grand réconfort.
Sois donc courageux et fort dans le Seigneur en endurant les tentations et la grâce reviendra.
Vingt troisième lettre :
Le bâton est le remède à toutes les passions.
La grâce précède toujours la tentation, comme pour t’avertir en te disant : « Prépare-toi et ferme ta porte. » Quand tu constates que la consolation est dans ton cœur, l’illumination dans ton esprit (noûs) avec la contemplation (theoria), prépare-toi sans tarder. Ne te dis pas que le repos t’a été accordé, mais rassemble tes armes – les larmes, le jeûne, la veille et la prière – et donne pour but à tes sens de garder ton esprit (noûs) : de quel côté viendra l’assaut ? Des démons ? Des hommes ? Ou de ta nature propre ? Et ne somnole pas jusqu’à ce que retentisse la trompette du combat. Alors une fois la bataille engagée, tu mèneras ton combat et ta victoire à ta guise.
Là où il y a lieu de craindre à coup sûr, c’est lorsque la grâce agit en toi. En revanche, lorsque tu vois que les tentations et les afflictions te prennent à la gorge de toute part, tu dois te réjouir. Ne t’afflige pas, ne gémis pas, ne sois pas triste. Prends ton courage à deux mains, car la joie et le réconfort vont venir. Dis alors : « Sois courageuse, ô mon âme, ce n’est qu’une tentation, une épreuve, une affliction ; après tu jouiras de la paix, de la joie et de la grâce. Je te remercie, ô mon Christ, parce que dans la tribulation, tu as mis au large mon âme[112], et tu m’as châtié pour m’éduquer[113], puis tu as conduit mon âme au lieu du rafraîchissement[114].
Le bâton est le remède à toutes les passions. Au point que même les démons en ont peur et frémissent en voyant l’homme se châtier comme un Martyr par amour pour le Christ. De temps à autre, lorsque les passions se dressent contre l’âme et cherchent à désarçonner l’esprit (noûs), le cavalier de l’âme[115]. Lorsque chaque passion dresse la tête, dis lui l’ordre convenu : Silence, tais-toi[116]! Sinon la baguette va rentrer en action !
Par exemple, la pensée te vient en t’affligeant dans l’Église : « Pourquoi est-ce encore mon frère qui va chanter, et non pas moi, alors que c’est mon tour ? » Dis lui alors : « Il vaut mieux que mon frère soit content plutôt que moi ». La pensée d’insister : « Mais pourquoi, puisque c’est juste et normal ? » Dis lui : « Diable, laisse-moi ! » Et place ton esprit (noûs) dans la Prière. Le tentateur se révolte, et sur le point d’exploser te dit : « Mais non, pourquoi ? » Dis lui alors : « Attends un peu et je vais te dire pourquoi ! »
Alors, quitte aussitôt l’église en invoquant un prétexte, et cours dans ta cellule. Là, prends ta baguette et dis avec emportement : « Voilà ton ‘pourquoi’, diable ! c’est lui, voilà le ‘juste’, que tu me demandes. Prends-le donc ! » Et après l’avoir blessé dans ton corps, plains-toi de lui au Christ, comme étant la cause de ta souffrance. Le démon part en tremblant, le Christ vient qui te remplit de consolation, allège la passion, et tu apprends ainsi l’art de vaincre.
Le sommeil t’envahit-il ? Foule aux pieds l’indolence. La colère t’agite ? Brise l’égoïsme. La rancune et la jalousie t’affligent-elles ? Agis de même. La nourriture ne te plaît pas ? De même. La guerre de la chair se déclare-t-elle ? Dresse-toi comme un homme fort et combats tes ennemis. Et en général, lorsque le corps et les pensées requièrent le « droit » et le « pourquoi », la solution c’est la baguette.
« Plutôt renoncer à cette existence que renoncer à vivre une heure selon ta volonté, mon Christ ». Ainsi tu pleures, tu te lamentes, mais la miséricorde du Seigneur vient. Les passions s’apaisent et tu es en paix avec toi-même, avec Dieu et avec toute la création. Le corps s’effondre avec toutes ses façons de penser, et alors il n’a plus besoin du bâton, puisqu’il a appris à se soumettre à l’esprit (pneuma).
Pour ma part, j’ai brisé bien des bâtons sur mes cuisses avant que mon corps ne soit maté. Je me suis comporté comme un bourreau à l’égard de moi-même. Tout mon corps tremblait en voyant que j’allais m’emparer du bâton. Les démons s’enfuyaient, les passions se calmaient, la consolation venait, et l’âme se réjouissait. Car c’est une loi de Dieu : Tout ce qui cause un plaisir sensuel (édoné) est guéri par la douleur (oduné)[117].
En voilà assez sur ce sujet. Si tu veux en savoir d’avantage, lis les vies des saints. Lis-les et tu verras à combien de tourments ils se eurent recours contre le : « vieil homme[118] », à quel point ils s’affligèrent eux-mêmes volontairement et involontairement, jusqu’à ce que fleurisse en eux la fleur de la pureté (agnotétos), la bonne odeur de la sainteté (agiotitos). C’est pour cela que les saintes reliques de ces martyrs et de ces saints exhalent une huile odoriférante[119].
Vingt quatrième lettre :
Ce soir-là, Dieu me montra la perversité de Satan.
Ne sois pas surpris mon enfant. Tel est le moine. La vie du moine est un perpétuel martyr. On connaît le doux Jésus dans les afflictions. À peine t’es-tu mis à sa recherche qu’il te propose des afflictions. Son amour est dans les souffrances. Il te montre un peu de miel, mais dessous se cache toute une resserre d’amertume. Le miel de la grâce précède l’amertume des tentations.
Lorsqu’il veut t’envoyer des tourments il t’avertit en t’envoyant comme un messager la quantité de grâce correspondante. Comme pour te dire : « Prépare-toi ! Surveille l’endroit par où l’ennemi va t’attaquer et te frapper ». Ainsi commence ton combat et la lutte.
Fais attention, n’aies pas peur. Ne sois pas surpris lorsque les boulets de canons commencent à tomber. Comporte-toi bravement comme un soldat du Christ, comme un athlète éprouvé, comme un guerrier courageux. Car l’existence ici-bas est une arène de combat. Le délassement est pour l’autre monde. Ici c’est l’exil, là-bas se trouve notre vraie patrie.
Ne t’ai-je pas déjà raconté cette histoire ? Pendant huit ans au début j’eus un terrible combat avec les démons. Chaque nuit était un combat acharné ; et chaque jour était plein de pensées et de passions. Ils arrivaient avec des épées, des piques, des haches et des pelles.
« Tous contre lui », criaient-ils, j’endurais le martyr. « Hâte-toi, ma Bonne Mère ! » m’écriais-je ; et je me saisissais de l’un d’eux, et en avant ! Je frappais les autres, j’ai rompu mes mains sur les murs.
Et par hasard une de nos connaissances vint du monde pour nous voir. Pour la nuit, je l’installais dans une petite cabane pour qu’il y dorme. Lorsque les démons vinrent à ma recherche comme ils en avaient l’habitude, ils se mirent à le frapper, et il se mit à crier ! L’homme était terrifié. Il était sur le point de perdre l’esprit. J’accourus aussitôt.
- Qu’est ce qui se passe ? Lui demandai-je
- Un peu plus et les démons m’étranglaient ! Répondit-il, ils m’ont battu à mort !
- N’aie pas peur, lui dis-je, ceux-là c’étaient les miens, mais ce soir c’est toi qui a tout pris par erreur ! Mais ne t’inquiète pas.
Je lui ai dit aussi d’autres plaisanteries du même genre pour le calmer, mais ce fut impossible. Il ne pouvait plus rester dans ce lieu de martyre. Il était terrifié et ne cessait de regarder à droite et à gauche et il me supplia de le laisser partir. Ainsi en pleine nuit, je le conduisis jusqu’à Sainte Anne et je revins. Nous demeurions alors à Saint-Basile.
Ainsi après huit années de ce genre, avec tous les coups de bâton dont je frappais mon corps chaque jour à cause de la guerre de la chair, avec tous les jeûnes que je m’infligeais, toutes les veilles et autres combats, j’étais devenu un cadavre. Je tombais malade et je perdis l’espoir de vaincre les démons ainsi que les passions.
Alors une nuit, alors que j’étais assis, la porte s’ouvrit. Moi, penché, je priais mentalement et je n’y prêtais pas attention, je me dis que le P. Arsène avait ouvert la porte. Puis je sentis une main sous moi qui m’excitait au plaisir charnel, je vis alors le démon de la luxure, ce galeux. Je me jetais sur lui comme un chien ; j’étais vraiment furieux contre lui, et je me saisis de lui. Ses poils au toucher ressemblaient à ceux d’un porc et il disparut. Tout l’endroit se remplit de puanteur. Dès lors, la guerre de la chair disparut avec lui. Et désormais j’étais totalement dépourvu de passions comme un enfant.
Ce soir-là Dieu me montra la perversité de Satan. J’étais dans un bel endroit très en hauteur, et en bas s’étendait une grande plaine jouxtant la mer. Les démons y avaient disposés une multitude de pièges. Les moines qui passaient par là étaient pris aux pièges, les uns par la tête, d’autres par le pied, d’autres encore par la main ou les vêtements, chacun à sa façon. Le dragon des abysses tenait sa tête hors de la mer et – tout en crachant du feu par la gueule, les yeux et le nez – il se réjouissait et exultait à la chute des moines. Pour ma part en voyant cela, je l’insultais : « Ô dragon des abysses ! Lui dis-je, c’est ainsi que tu nous trompes et nous prends au piège ! »
Et je poursuivis en ressentant à la fois de la joie et de la tristesse. De la joie, parce que j’avais vu les pièges du diable. De la tristesse à cause de notre chute et du danger qui nous menace durant toute notre existence.
Dès lors, je connus une longue période de paix et de prière. Mais le diable ne s’arrêta pas. Il revint à la charge par l’intermédiaire des hommes. La raison pour laquelle je t’écris cela, c’est pour que toi et les autres frères vous preniez patience.
C’est le combat d’une vie, si tu veux triompher ; ce n’est pas une plaisanterie ! Tu fais la guerre aux esprits impurs, ils ne nous jettent pas des bonbons et des loukoums, mais des balles perforantes qui tuent l’âme, pas le corps.
Néanmoins ne sois pas affligé. Ne sois pas timoré. Tu as de l’aide. Moi je te soutiens. En vérité, je t’ai vu hier dans mon sommeil, nous montions ensemble vers le Christ. Alors, debout, cours derrière moi !
Sois juste prudent, maintenant que tu as vu les pièges des pervers ; et malheur à ceux qu’ils attrapent, on ne sort pas facilement de leurs griffes. Bien sûr le diable seul ne peut pas – quel qu’en soit son désir – nous damner, si nous de notre côté nous ne collaborons pas à sa perversité ; mais en revanche Dieu non plus ne peut pas nous sauver tout seul, si à notre tour nous ne devenons pas des collaborateurs de sa grâce pour notre salut.
Dieu nous aide sans cesse, il arrive toujours à temps, mais il veut que nous aussi nous nous en préoccupions, que nous fassions ce que nous pouvons.
C’est pourquoi, ne dis pas que tu n’as pas fait de progrès, et ne te demande pas non plus pourquoi tu n’as pas progressé, etc.. Car le progrès ne dépend pas seulement de l’homme, quelle que soit sa volonté ou la peine qu’il se donne. Le pouvoir de Dieu, sa grâce bénie, c’est elle qui fait tout, lorsqu’elle reçoit notre contribution. C’est sa grâce qui relève celui qui est tombé, qui redresse celui qui est brisé[120].
Supplions de tout notre cœur notre Dieu et Sauveur de venir pour guérir le paralysé, pour ressusciter Lazare mort depuis quatre jours, pour donner des yeux aux aveugles, pour nourrir l’affamé.
Vingt cinquième lettre :
Les sens s’arrêtent et l’orant est ravi en contemplation.
Ce que tu as goûté, mon enfant, lors de ta prière cette nuit c’est l’action de la grâce. Demande au Seigneur de te l’accorder à nouveau quand il le voudra. Je connais un frère bien connu qui se heurta un jour à de nombreuses tentations ; et il passa toute la journée dans les larmes sans rien manger.
Au coucher du soleil, assis sur une pierre, il regardait au sommet du Mont-Athos la chapelle de la Transfiguration ; Au milieu des larmes et de la souffrance, il implorait le Seigneur en disant : « Seigneur, comme tu as été transfiguré pour tes disciples, transfigure-toi aussi dans mon âme ! Fais cesser les passions, pacifie mon cœur ! Donne la prière à l’orant, et contient mon esprit (noûs) incontinent ! »
Alors qu’il s’exprimait ainsi avec peine, un souffle vint de la chapelle telle une brise légère, remplie de fragrance ; à ce qu’il m’a dit, qui remplissait son âme de joie, d’illumination, d’amour divin ; et en lui commença à sourdre avec suavité la Prière ininterrompue.
Lorsqu’il se leva, il entra là où il demeurait, car il faisait déjà nuit, et inclinant la tête sur la poitrine et commença à déguster la douceur, qui s’écoulait de la Prière qui lui avait été accordée. Au point qu’il fut immédiatement ravi en contemplation, complètement hors de lui-même. Il n’était plus contenu par les murs ou les rochers. Hors de toute volition. Sans corps, dans une amplitude illimitée, dans la sérénité et une éblouissante lumière. Son esprit était hanté par cette seule pensée : ne plus jamais revenir dans son corps ; rester là pour toujours.
Ce fût là la première contemplation (theoria), que vit ce frère, et il revint à lui, mais il savait comment être sauvé.
Je m’assis et repris un peu mes esprits ; et me souvenant des biens futurs, je resserrai la corde du labeur. Et portant ma lyre, j’extrayais le miel des collections d’épineuses que je cueille dans le désert. Aussi viens, et je t’abriterai à nouveau sous mon ombre. Et à mon tour, je recueillerai pour toi une résine parfumée des épines. Quand par hasard l’affliction t’envahit, souviens-toi de ce que je t’ai dit, et mes paroles te sembleront plus douces que le miel.
Ainsi les deux façons de prier sont bonnes. Bien que la deuxième, avec des paroles, soit dangereuse, elle est plus fructueuse. Pour ma part, j’emploie les deux chaque soir. Tout d’abord avec des paroles ; puis lorsque je suis fatigué et que cela ne porte plus de fruit, j’enferme mon esprit (noûs) dans mon cœur.
J’ai vu personnellement ce frère, alors qu’il était jeune, environ 28-30 ans, qui faisait descendre son esprit dans son cœur pendant huit heures, sans le laisser sortir depuis neuf heures du soir jusqu’à trois heures du matin ; il avait un réveil qui sonnait les heures. Il était trempé de sueur. Ensuite, il se levait pour se livrer à ses autres obligations.
En bref ; pour que l’homme gagne sa liberté, il faut que son corps pourrisse, et qu’il ne tienne pas compte de la mort.
La prière qui est faite avec des mots peut aussi être dite mentalement, sans son vocal, on l’appelle demande, supplication. Donc celui qui commence la prière de demande doit commencer ainsi : « Dieu invisible, incompréhensible ; Père, Fils et Saint Esprit, seule puissance et aide de toute âme ; le seul bon et qui aime l’humanité ; ma vie, joie et paix… » Et il doit continuer un certain temps avec une prière improvisée de cette sorte.
Et, si la grâce agit, une porte s’ouvre aussitôt et il arrive au porche du ciel ; et sa prière s’élève comme une colonne ou la flamme d’un feu. ; et à cet instant se produit la mutation[121]. Mais si au contraire la grâce ne coopère pas, et que l’esprit se disperse, alors qu’il l’enferme dans le cœur en formant un cercle[122] ; alors il s’apaise comme dans un nid et il n’est plus distrait. Comme si le cœur constituait un lieu de confinement et de garde de l’esprit (noûs).
Alors, lorsque le changement arrive, il se produit pendant la demande. Alors la grâce déborde et on est rempli d’illumination et plein d’une joie infinie. Et comme qui est saisi n’est pas capable de contenir le feu de l’amour, les sens cessent et il est ravi en contemplation (theoria*).
Jusqu’ici l’homme agir conformément à sa volonté. Au-delà, il ne se contrôle et ne se reconnaît plus. Car il est désormais uni au feu, il est tout entier transfiguré, fait dieu par la grâce.
Telle est la divine entrevue, au point que les murs s’écartent et qu’il respire un autre air, celui de l’intellect (dianoia), libre, et plein du parfum du paradis. Ensuite, petit à petit, le nuage de la grâce se contracte et l’homme d’argile se durcit comme de la cire, et il revient à lui comme s’il venait de sortir du bain ; propre, léger, limpide, très aimable, doux, souple comme du coton et rempli de sagesse et de connaissance.
Mais celui qui veut de telles choses doit marcher vers la mort à chaque instant.
Vingt sixième lettre :
Ma sœur dans le Seigneur et très pieuse Abbesse.
Ma sœur dans le Seigneur et très pieuse abbesse…Je prie pour ta santé qui est précieuse pour ta fraternité.
Ancienne bénie, j’ai reçu ta lettre aujourd’hui et j’en ai pris connaissance. Puisque tu m’écris que cela te sera utile, j’acquiesce à mon tour à tes paroles et je laisse là ma volonté, en priant que chaque mot soit utile au salut de ton âme.
Donc, ouvre tes oreilles et reçois mes paroles.
Quant à nous, ma sœur, lorsque nous sommes venus sur la Sainte Montagne nous ne nous sommes pas enfermés dans une maison, comme beaucoup le font. Mais nous avons cherché, crié, pleuré ; il n’y a pas de hauteur ou de crevasse que nous n’ayons pas examiné à la recherche d’un guide sûr dont nous puissions entendre des paroles de vie, et non pas vides et creuses. Il n’y a pas un seul Ancien ermite dont nous n’ayons pas tiré, ne serait ce qu’un peu, de profit.
L’un, âgé de quatre-vingt-dix ans, nous racontait qu’il était resté pendant quinze ans au sommet d’une montagne, et qu’en tombant les éclairs avaient déchiré ses vêtements ; il avait fait preuve d’une extrême patience. Un autre nous raconta comment il avait donné de l’antidoron* à des saints ascètes qui vivaient nus et invisibles. Un autre leur avait donné la communion alors qu’il célébrait la Liturgie à minuit. Un autre était Russe et était resté des années au sommet de la montagne, et tous les dix ans un autre ermite venait lui rendre visite. Et il ajouta, alors que nous étions présents, qu’il l’attendait et que nous pourrions le voir aussi. Mais apparemment il était mort dans le désert.
Tous ceux-ci embaumaient comme les saintes reliques.
En entendant de telles paroles le feu en moi ne faisait que croître. Je ne cessais de les interroger sur la façon dont ils mangeaient, comment ils priaient, ce qu’ils avaient vu, ce qu’ils pensaient, ce qu’ils voyaient en mourant.
L’un avait vu la Toute Sainte, l’autre les anges, en sortant de leurs âmes. Même maintenant de telles choses se produisent. Juste avant de mourir ils avaient des visions, de sorte que Dieu les recevait dans la sérénité.
En entendant de telles paroles, j’accourrais assoiffé lorsqu’ils étaient sur le point de mourir, pour voir et entendre ce qu’ils disaient.
De ces saints, j’ai reçu un « ordre » et un typikon* concernant la façon de conduire mon existence. Je ne dis rien qui vienne de moi.
J’ai connu aussi la maison de l’Ancien dont vous parlez ; le rétameur, le boulanger qui péchait, le Papa-Néophyte qui faisait des croix pectorales, et beaucoup d’autres. Mais je recherchais là où se trouvait la vie où je pouvais trouver quelque chose d’utile à mon âme. Car les trésors retourneront dans la caisse de Dieu, puis la faim frappera et on n’écoutera plus la parole de Dieu. Les lampes s’éteignent, et nous marchons à tâtons dans l’obscurité. On entend rarement une parole salvatrice. Que de la médisance et de la critique. Chacun veut donner des leçons à l’autre ; et rarement quelqu’un donne sa vie pour l’accomplissement de l’évangile – à la suite de la vie des Pères. Tout ce qui reste, c’est une peur des tentations et une vantardise inconsidérée en paroles.
Mais cela suffit pour ce qui nous concerne, Abbesse bénie. Ils parlent comme ils vivent. C’est comme cela qu’ils voient les choses, c’est comme cela qu’ils parlent. Tous ont raison.
Lorsque quelqu’un s’est perdu – puisqu’il a suivi un autre chemin et n’en connaît pas d’autre – Il veut que tous suivent le même chemin que lui. Si quelqu’un lui dit qu’il y a un autre chemin, un raccourci il lui dira : « Tu es dans l’erreur, il n’y a pas d’autre chemin » ; parce que lui ne le connaît pas. C’est pourquoi il a raison. Il parle et il juge en fonction de ce qu’il voit et de ce qu’il pense.
Pour notre part désormais puisque nous nous sommes enfermés pour pratiquer l’hésychia – car c’est ainsi que l’on nous a appris à vivre depuis le début – tous sont contre moi. Ou plutôt, le tentateur les manipule parce qu’il ne lui plaît pas de voir que quelqu’un dans notre génération se préoccupe de son salut. Ainsi puisse le Seigneur nous débarrasser de lui, et avoir pitié de tout ce que les frères ont dit et pensé.
Pour ma part, je laisse tout cela à Dieu et j’apprends à endurer sans murmurer ce qui arrive.
Mais venons en maintenant à la « prière » sur laquelle tu m’interroges.
Je pense, ma bonne Ancienne, que tu as été grandement induite en erreur. Tu n’as pas été faite pour t’occuper de beaucoup de choses, mais tu as été faite pour l’hésychia. Ainsi, si tu veux m’écouter, je pense qu’il est bon d’être modéré et de combiner les deux : praxis et hésychia. Car sans hésychia la grâce ne reste pas, et sans la grâce l’homme n’est rien.
En conséquence, prie ton Ancien de te donner une petite cellule à part, pour que tu puisses y observer l’hésychia. Accepte de parler aux gens jusqu’à midi. Ensuite, après avoir mangé, dors jusqu’au soir. Ne permets pas que l’on te dérange jusqu’au lendemain matin, le monastère dût il être en flammes. Et après t’être réveillé – s’il fait encore jour ou au coucher du soleil – lis seule, fais ta règle de prière, quand la nuit tombe, bois un café et entame ta veille en commençant la prière.
Le but est de mettre la grâce en mouvement, de l’activer. Et lorsque la grâce agit, c’est là le plus important.
Je commence d’abord par les Complies et les Salutations. Lorsque c’est terminé, je commence à prier avec mes mots le Christ ou la Toute sainte, comme ils se présentent à mon esprit : « Mon très doux Jésus, lumière de mon âme, le seul amour, la seule joie, la paix… » Je dis beaucoup de choses avec contrition. Puis je m’adresse à la Toute Sainte. Notre douce Bonne Mère témoigne de beaucoup d’amour ; puissiez-vous avoir toujours son nom sur vos lèvres.
Après que l’esprit se soit apaisé, l’âme s’adoucit, dis alors la prière mentalement, comme tu l’as écris, jusqu’à ce que le sommeil se fasse sentir. Alors à nouveau chante très doucement et loue le Christ Maître, sa Mère toute immaculée. En disant lentement et clairement : « Lumière joyeuse… », « Qui es grand comme notre Dieu », « Saint Dieu… » Et tout ce que tu peux connaître d’autre.
Ensuite, adresse-toi à la Souveraine de l’univers : « Réjouis-toi ô Reine… », « En toi se réjouit, ô pleine de grâces… », « Il est digne en vérité… », « Sur la Mer Rouge… » Et d’autres de ce genre. Si le sommeil persiste, insiste : « Ton accolade paternelle… », « J’ai voulu effacer avec des larmes… », « Ballotté par la tempête et cherchant refuge… », « Je suis une brebis… » Et tout ce dont tu peux te souvenir d’autre.
Dis cela avec componction, assise sur ton lit, attendant la miséricorde et la compassion de Dieu. Et alors, si la grâce n’agit pas pendant que tu dis ces paroles, elle agira dans la Prière, et si ce n’est pas le cas lorsque tu chantes.
Ne néglige jamais la lecture du mois, car elle est très utile. Car on prend exemple sur les Saints. On voit comme dans un miroir ses erreurs et ses manquements, et on corrige sa vie. La lecture c’est une lumière dans les ténèbres.
Ainsi tu seras encore plus utile à tes sœurs, plutôt que de te fatiguer toute la journée.
Ensuite, lève-toi. Si tu le veux, descends à l’église, sinon reste toute seule, en disant l’office sur le chapelet et repose-toi.
De cette façon et tu garderas aussi la santé, et tu seras utile à ton âme, et tu seras un luminaire brillant pour tes sœurs. Sinon, en vieillissant au milieu du bruit, tu perdras complètement ta prière ; car tu es habituée à la vie solitaire (hésychia).
Ainsi, mon authentique sœur, après avoir expérimenté et la solitude (hésychia) et la vie en commun, tu as appris l’utilité de chacune. Par conséquent, combine les deux et tu t’en trouveras bien. Applique-toi à vivre dans l’hésychia autant que tu le peux ; et puisses-tu quitter cette vie dans le repos.
Vingt septième lettre :
Je cours pour Dieu ; peu importe ce que les gens disent.
Tu me dis que ton Ancien veut faire un pèlerinage à la Sainte Montagne. Il accomplira une œuvre bonne et sainte. Mais il ne devrait pas prendre en considération qu’il me connaît ou que j’existe dans cette vie. Car je dans une solitude (hésychia) absolue ; j’observe une règle (taxis) différente de celle que l’on suit habituellement, ce qui fait qu’il est difficile de me rencontrer. Car ma porte est habituellement fermée et je n’ouvre qu’à des moments précis e la journée.
Avec l’aide des frères, je peux l’aider quoiqu’il désire. Mais il m’est impossible de transgresser la règle que j’observe, en ouvrant la porte, en parlant, en renonçant à ma quiétude (hésychia) et à ma prière, en dehors du moment fixé par moi, car mes heures sont comptées. Car il me faut être un peu négligent, que je perde du temps, pour parler pendant la nuit avec des frères une heure ou deux.
J’écris cela pour me faire comprendre pour prévenir tout malentendu. Pour ma part, lors de toutes mes entreprises, j’ai l’habitude de tout et de tout faire clairement ; comme dans un miroir ; pour ne donner à personne matière à suspicion que se soit en parole, en pensée ou en action.
Car beaucoup de gens sont venus de différentes régions pour étudier la règle que nus observons, sans prévenir. Et comme je les ais pas reçus, ils furent scandalisés. Mais ici aussi, tous mes voisins sont contre moi, parce que je ne leur ouvre pas. Mais moi je ne ferme pas ma porte pour scandaliser les Pères. Mais plutôt parce que m’étant exercé pendant tant d’années, j’ai vu que rien de bon pour moi ne sortait de telles actions charitables – J’y perds simplement mon âme inutilement – c’est pourquoi j’ai fermé ma porte à tous une bonne fois pour toute et j’ai trouvé la quiétude (hésychia). Maintenant je n’ouvre à personne. Je n’ai même pas de pièce supplémentaire pour recevoir quelqu’un de l’extérieur. Et lorsque quelqu’un vient de loin, il faut qu’il arrive au moment où les Pères travaillent, le matin. Et, si cela est nécessaire, il reste dans la pièce de mon prêtre. Car tous les samedis, dimanches et jours de fêtes, nous avons une Liturgie. Notre prêtre arrive, il célèbre la Liturgie et nous communions.
Ainsi, j’ai expliqué tout cela pour qu’il n’y ait pas de scandale. Je cours pour Dieu ; peu importe ce que les gens disent. Même s’ils m’insultent, même s’ils me font des reproches, même s’ils me calomnient, même s’ils déshonorent mon nom, même si toute la création devait se concerter pour être contre moi.
Car j’ai vu et expérimenté de nombreuses façons que si la grâce de Dieu n’illumine pas l’homme, quelques soient les paroles que tu lui dises, il n’en tire aucun profit. Il prête l’oreille un instant et dès l’instant suivant il est à nouveau captif de ses anciennes habitudes. Mais si la grâce agit aussitôt avec la parole, alors il se produit instantanément un changement avec l’aide de la bonne disposition de l’homme. Et sa vie change de façon spectaculaire à partir de ce moment. Mais cela ne se produit que chez ceux dans lesquelles l’ouie et la conscience ne sont pas sclérosées. Quant à ceux qui écoutent mais qui continuent de désobéir à cause de leurs mauvaises volontés, ; même si tu leur parles jour et nuit, même si tu verses la sagesse des Pères dans leur oreille, même si tu fais des miracles sous leurs yeux, même si tu détournes le cours du Nil vers eux, ils n’en retirent pas le plus petit profit, ils ne veulent venir que pour parler, pour passer le temps, à cause de l’ennui (acédie). C’est pourquoi moi aussi je ferme ma
Porte, au moins je me rends service à moi-même, par la Prière et l’hésychia. Car Dieu écoute toujours la Prière plus que tout autre chose, et qu’il abhorre toujours les propos oiseux, qui semblent spirituels., parce que selon les Pères, les propos oiseux c’est avant tout passer son temps à parler, sans faire de tes paroles des actes.
Ainsi lorsque des hommes inexpérimentés disent de telles choses ne les écoutez pas. Celui qui n’a pas essayé, les nécessaire qu’il essaye ; et avec l’expérience il apprendra et il trouvera tout ce qui lui manque. L’expérience ne s’achète pas. C’est le bien propre de chacun, conformément à la peine qu’il s’est donné, au sang qu’il a versé tout seul pour l’acquérir.
Croyez-moi, mes sœurs, il y a beaucoup de souffrance dans le mode de vie monastique. Je n’ai pas cessé, et je ne cesse pas de crier jour et nuit, en demandant la miséricorde du Seigneur ; j’ai frôlé le désespoir, comme si je n’avais rien fait, comme si je n ‘avais pas même commencé. Mais recommençant chaque jour au point de départ, je me trouve être un menteur et un pêcheur. Mais vous imitez les vierges sages et veillez en criant dans les gémissements, en invoquant la miséricorde divine. Car la fin pour nous est venue, peut-être la paix est-elle terminée, ainsi nous aussi sommes avec les morts . Donc, dépêchez-vous.
Ce que j’ai dit suffit pour l’instant. Je vous enverrai une autre lettre, si cela porte ses fruits et que vous témoignez de votre disposition. Maintenant je suis triste pour la mère de la petite moniale qui grogne et médit, comme vous me l’écrivez. Beaucoup de mères malheureusement ont perdu leurs enfants à cause de gémissements, parce qu’ils ne les consacraient pas au Christ de toute leur âme. Mais les enfants sont sauvés par la grâce du Christ, mais ces mères demeurent loin d’eux.
Mais vous, prenez patience, ne tenez pas compte de leurs paroles. Le temps, avec la grâce de Dieu, les guérira ; Et avec le temps elle se repentira, et elle regrettera tout ce qu’elle dit et fait maintenant. Mais pour l’instant il faut de la tolérance, de l’amour non altéré et un profond silence. Quoiqu’elles disent, que vos paroles soient mesurées. Et, quand vous parles, priez mentalement, afin que vos paroles soient revêtues de la puissance d’En haut.
Toi, Ancienne bénie, combine toute chose avec beaucoup de discernement et de longanimité.
Vingt huitième lettre :
À une moniale, qui va recevoir l’habit monastique.
J’ai reçu ta lettre, brebis de mon Jésus ; et en progressant dans sa lecture, j’ai atteint ce que mon âme désirait. Et aussitôt, j’ai sauté comme fou de joie. Puis, j’ai fléchi les genoux et tendu mes bras. Et que te dirais-je ! Ma langue s’est mise à parler, mes lèvres murmuraient sans cesse, mon esprit (noûs) théologisait sans cesse, alors que de mes yeux s’écoulaient continuellement des larmes, alors que je disais : « Je te remercie, douce brise, vie de mon âme, lumière de mon esprit (noûs), consolation de mon cœur, mon doux Jésus. Je te remercie, mon très doux amour, Jésus le très désirable, parce que tu n’as pas méprisé mes humbles supplications, mais tu as entendu mon appel et tu as pris en miséricorde ma petite enfant. »
Voici que dans deux jours, après l’épreuve passée, elle va recevoir le saint habit. Elle va devenir un nouvel être, le vieil homme est mort. Elle va changer de nom, porter un habit de noce, ses péchés sont pardonnés. Elle va prononcer ses vœux devant les anges, être inscrite aux cieux.
Elle cesse désormais d’avoir des parents et des proches dans le monde. Elle laisse les choses d’en bas, pense aux choses d’en haut. Elle va s’unir aux réalités célestes, c’est celles-là quelle entend. Elle n’a plus de volonté propre, ou de fatuité, ou de pouvoir sur son propre corps. Elle renonce à tout et dépend de la parole de son Ancienne jusqu’à son dernier souffle.
Désormais elle cesse de se demander se que fait son prochain, mais mène une vie d’hésychia perpétuel. Elle se livre désormais à l’œuvre mentale. Elle a sans cesse des larmes dans les yeux, une langue douce comme le miel, une voix mesurée, un corps chaste, un esprit (noûs) pur et dépourvu d’images mentales, une prière sans distraction, une paix perpétuelle, une obéissance parfaite. Un amour enflammé pour le Christ Sauveur, qui brûle continuellement sans s’éteindre, sans jamais s’éteindre. Par conséquent, si elle vient à entendre le son du nom du Christ, son âme bondit immédiatement, ses lèvres sont adoucies, et toute sa personne noétique s’éveille. Il est en effet habituel que par amour, par un privilège divin, le cour bondisse en entendant le nom bien-aimé ; qu’elle soit physique ou spirituelle, la douceur de l’amour s’écoule du même cœur.
Lorsque la grâce rend limpide la lumière de la divine radiance de l’Esprit, l’homme tout entier est hors de lui, et comme le divin David, il bondit et danse[123] mentalement devant l’image divine, comme celui-ci devant l’arche symbolique.
Ainsi, fille de mon Jésus, voilà pourquoi dès que j’ai lu ta lettre, et après avoir prié pour toi, je t’ai écris cette réponse pleine de joie et d’allégresse. Dimanche, car maintenant nous sommes à l’aube de vendredi, au moment où tu prononceras tes vœux et lorsque que tu recevras l’habit angélique, je serai là moi aussi en pensée pour chanter en chœur : « Ton accolade paternelle… » Et pendant toute la veille je prierai pour toi et toutes les Sœurs.
Dès que tu auras reçu cette lettre écris-moi pour me dire ton vrai nom céleste ; pour que nous effacions immédiatement l’ancien, et mettions le nouveau à sa place. Aie soin à l’avenir à ce que ta vie soit angélique, car dorénavant tu as été rangée parmi les chœurs des ordres angéliques pour chanter et louer Dieu avec ton corps et ton esprit.
Vingt neuvième lettre :
Bénis est Dieu toi qui élève des mortels encore pourvus d’un corps jusqu’au mode de vie des anges incorporels.
Dieu, lorsqu’il le veut, vainc l’ordre de la nature ; et celui qui veut porter la croix du Christ vainc sa nature propre. Elle est vraiment très grande la puissance et la grâce du saint et angélique habit des moines.
Réjouis-toi et délecte-toi, mon enfant bien-aimé , avec toute la sainte communauté ou plutôt parfum spirituel. Réjouissez-vous, vous les vierges sages dans le Seigneur, parce que vous avez été jugées dignes sur terre d’un tel mode de vie. Bénis est Dieu qui fait de ses anges des esprits[124] ; bénis est Dieu qui élève des mortels encore pourvus d’un corps au mode de vie des anges incorporels jusqu’au mode de vie des anges incorporels. Je prie, mes enfants, et je supplie Dieu des profondeurs de mon cœur pour que la divine grâce au doux parfum, comme une brise légère, comme un souffle divin chargé de myrrhe, souffle à travers vos âmes saintes faisant d’elles de doux parfums et en sanctifiant vos corps ascétiques.
Mais, je vous prie avec insistance, prenez soin de vos âmes. Pour qu’aucune d’entre vous ne ressemble à notre mère ancestrale Ève, mais que toutes vous ressembliez à Marie la Théotokos, la Vierge Marie. Elle qui a dit : « Voici la servante du Seigneur ! », elle qui devint la Mère de Dieu et la Dame des Anges. Le fruit de ses entrailles, le doux Jésus, par obéissance monta sur la croix et descendit jusqu’aux enfers pour guérir la grande blessure de la désobéissance. C’est pourquoi apprenez de là, la puissance du mystère.
L’habit des moines est une croix, en place de la croix que le Christ a portée pour nous sauver. Quand nous, nous revêtons le saint habit, nous revêtons la sainte obéissance ; et nous nous appliquons à obéir marchant à la ressemblance du Christ.
Laissez-moi vous dire aussi ceci :le fardeau de l’obéissance est considéré comme étant un résumé des autres vertus, comme l’est la Croix de la Passion du Seigneur. Et comme le larron est entré au Paradis par la Croix, nous aussi nous entrerons au Royaume par l’obéissance comme pat la Croix. Ainsi, il est évident que ceux qui désobéissent resteront en dehors du Royaume.
Ainsi, bienheureuse est la voie ; hâtez-vous. Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation[125]. Quiconque n’a pas l’humilité, ne fais pas ce qui lui est demandé, devient l’esclave des démons. Sa fin se fera dans l’affliction et l’opprobre des hommes.
J’ai écris cela en peu de mots, pour que vous acquériez la crainte de Dieu, et que vous ne désobéissiez pas à votre Ancienne. Car ce n’est pas à elle que vous avez à faire mais à Dieu, lui qui requiert l’obéissance pour le salut de votre âme.
Ainsi, quant à l’habit dont tu parles, c’est un ange qui l’a révélé au divin Pachôme.
En premier lieu, aux débuts du christianisme, toutes celles qui avaient choisi la virginité – comme vous maintenant – étaient mises à l’épreuve pendant trois ans et ensuite on leur préparait une couronne de fleurs odoriférantes. Puis l’évêque lisait des prières sur elles, comme maintenant pour la prise d’habit, comme étant les épouses du Christ. Lorsqu’elles mouraient les couronnes étaient placés avec elles dans la tombe.
En voici assez pour ce sujet.
Maintenant l’habit est un sacrement comme les couronnes du mariage. Toi tu portes un habit au lieu des couronnes. Quiconque épouse le Christ, s’engage à la virginité jusqu’à la fin de sa vie. Lors des mariages des mortes, les époux portent des couronnes[126] et se promettent réciproquement fidélité jusqu’à la fin de leur vie. Peuvent-ils donner leurs couronnes pour qu’elles servent au mariage de quelqu’un d’autre ? Non. Mais, après leur mort on les jette dans la tombe.
Ainsi toi, comment pourrais-tu donner ta couronne pour couronner quelqu’un d’autre ou pour la donner à un autre ? Comment pourrais-tu donner ton habit pour qu’une autre devienne moniale ? Ce n’est pas correct. Mais comme vous ne le saviez pas, vous avez raison. Mais ne recommencez pas.
J’en viens à un autre sujet.
Tu m’écris pour me dire que tu dois me casser la tête avec tes questions. Mais je te réponds que puisque tu es rentré dabs ce saint et bienheureux monastère, , tu deviendras sainte, si tu prends patience jusqu’au bout et si tu observes une obéissance parfaite. C’est pourquoi, écrase ton arrogance, ton égoïsme, ton orgueil sous le joug du Christ, et je serai toujours à tes côtés.
Depuis que tu t’es voué à ce monastère, je suis tes progrès. Je participe aux afflictions et aux joies de tes Sœurs. Puisque je m’occupe de tant et tant de personnes en priant sans cesse pour elles et en leur écrivant, comment pourrais-je ne pas m’occuper de vous qui êtes mes authentiques filles. Surtout depuis que mon Ancien m’a donné sa bénédiction pour effectuer cette diaconie.
Il me suffit que vous éprouviez de la confiance et de l’affection pour moi comme à l’égard de votre frère spirituel, puissiez-vous en retirer un profit spirituel. Vous ne verrez jamais mon visage. Je ne vous léserai pas par des paroles. Je vais m’employer de toute mon âme à vous être utile. Lorsque que vous n’arriverez pas à faire quelque chose, je réduirai mes exigences, Je vais me tenir là où vous pourrez arriver, pour que vous puissiez me rejoindre.
Mais vous aussi vous devez prier pour moi. Car beaucoup me demandent de l’aide, j’assume les tentations de tous ceux que j’aide. Que Dieu doit glorifié pour tout.
Quant à vous si vous entendez des paroles blessantes contre moi ; ne les croyez pas, mais interrogez-moi avec une affection fraternelle : « Voilà ce que l’on nous a dit, voilà ce que nous avons entendu ». Et moi en toute sincérité, avec crainte de Dieu, je vous dirai la vérité, Dieu m’en est témoin. Je ne vous dirai jamais de mensonge.
Je vous en prie instamment ne soyez pas convaincus par l’opinion du Père dont vous me parlez. Car je sais bien que ce n’est pas selon Dieu. Et ne répétez pas ce que je vais vous dire à sa mère ou à sa sœur pour ne pas les affliger.
Un jour, il y a des années de cela, j’ai vu que les Pères avaient tracé deux routes ; celle de la vie cénobitique et celle de la vie ascétique. Et j’ai vu que ce frère ne prenait ni l’une ni l’autre, mais a dit : « Je vais aller ici !» Et il dévala une pente à travers un petit-bois qui descendait jusqu’à la mer. Il y avait quelqu’un à côté de lui qui me dit : « tu vois celui-là, le chemin qu’il a pri le conduit tout droit à l’abîme ! »
Au même moment je vis aussi que j’étais à Saint-Basile, haut dans la skite. J’étais au sommet, et je vis un feu terrible qui brûlait toute la skite. Je me dis attristé : « Qui donc a allumé ce feu qui va ravager toute la skite ? » et quelqu’un me dit : « C’est un tel qui l’a fait, en voulant conforter son point de vue ! »
C’est pourquoi je vous dis que ce n’est pas selon Dieu, mais un piège de l’ennemi de droite.
Pour ma part, je ne vous demande rien de matériel, je n’ai pas besoin de vos biens matériels, vous ne pouvez pas dire que mon affection est intéressée. Mais je vous dis cela pour le bien de votre âme que j’aime sincèrement. J’aime tout le monde. Au point que, bien qu’il y ait beaucoup de façons de penser, il suffit que je m’adresse à quelqu’un, pour qu’il croie que je suis à es côtés. Je ne désespère personne, même sachant qu’il est dans l’erreur. Dans la mesure où je sais par avance que quoique je lui dise, il ne l’écoutera pas, alors pourquoi le troubler et m’affliger moi aussi ?
Je vous en prie, ne dites ceci à personne, pour qu’en entendant ces mots, il n’en vienne pas à pécher davantage au lieu qu’ils lui soient utiles. Car ils diront là-dessus tout ce que leur langue pourra. Et alors, sur qui sera le péché, lors que nous serons la cause qu’ils médisent et qu’ils nous critiquent ? Pour ma part, cela ne me dérange pas, ils peuvent dire ce qu’ils veulent, même des louanges ! Mais pour eux c’est un grand péché qui pèse sur leur conscience.
C’est pourquoi il faut faire attention, pour que nous ne devenions pas la cause du mal d’un autre. Si nous ne pouvons pas le détourner de son erreur, nous pouvons nous garder nous-mêmes, pour ne pas être dans l’erreur.
En voilà assez pour les conseils spirituels. Je vous prie de prier avec charité pour les frères afin qu’ils se repentent. Il y a de l’espoir pour qu’un jour ils se portent bien, et une fois leurs âmes guéries, qu’ils entrent au Paradis et qu’ils pulvérisent les démons qui les tentent sans cesse et de multiples façons.
Trentième lettre :
Sans la volonté du Seigneur, nous ne pouvons ni tomber malade, ni mourir.
« La crainte du Seigneur est le commencement, de la sagesse[127] », dit le sage Salomon et les Pères l’approuvent. Et moi je dis : « Bienheureux et trois fois bienheureux est l’homme qui craint le Seigneur[128]. »
C’est de cette même crainte de Dieu que naît la foi en Dieu. Alors l’homme croit de tout son cœur que, puisqu’il s’est totalement consacré à Dieu, celui-ci lui manifeste pleinement sa providence. Et, en dehors de la nourriture et du vêtement – dont Dieu de son côté l’incite à se préoccuper – il n’a pas d’autre souci. Mais en toute simplicité, il se soumet durablement à la volonté de Dieu.
Ainsi, lorsque cette foi s’enracine, cette sorte de connaissance est abolie ; celle qui génère le doute sur tout, amoindrit la foi, et souvent la supprime ; car la foi acquiert une force naturelle, du fait que nous avons été éduqués avec elle. Mais après que la foi à son tour soit sortie vainqueur de nombreuses tentations, alors elle se retourne et donne naissance à, ou plutôt il lui est accordé gratuitement, la connaissance spirituelle, qui ne s’oppose pas à la foi, mais qui vole de ses ailes en explorant les profondeurs des mystères ; et désormais toutes les deux, la foi et la connaissance – la connaissance et la foi, des sœurs inséparables.
Examinons maintenant si nous, qui nous sommes consacrés à Dieu, si c’est cette foi qui domine en nous où si c’est la connaissance humaine[129]. Et, si tu laisses tout à Dieu, considère que tu as acquis la foi, alors sûrement, sans le moindre doute tu trouveras Son aide. Alors, même si tu es mis à l’épreuve des milliers de foi et si Satan t’incommode, pour émousser ta foi, toi choisis un millier de fois la mort et refuse d’obéir à la connaissance. De cette façon, la porte des mystères s’ouvrira, et tu t’étonneras de ce que, bien qu’auparavant tu aies été lié par les chaînes de la connaissance, malgré tout tu voles désormais avec des ailes divines au-dessus de la terre en respirant un autre air de liberté, dont les autres sont privés.
À l’inverse, si tu vois que la connaissance humaine domine en toi, et si à la moindre alerte tu perds tes moyens et désespère, sache que tu es encore privé de la foi, et qu’en conséquence tu ne place pas toute ton espérance dans le Seigneur, tu ne crois pas qu’il peut te sauver de tout mal.
Veille alors à te corriger, comme on l’a dit, pour ne pas être privé d’un si grand bien.
Fais maintenant bien attention à ce que je vais dire : Un jour quelqu’un est venu me voir de Suisse où il avait été moine pendant de longues années. Il était affligé de trois maladies graves et épouvantables et de plus incurables. Il dépensait une fortune en médicaments, car c’était un homme riche. Et, puisque quelqu’un lui avait recommandé de venir me voir, pour me dire sa pensée ; j’étais bien affligé pour lui. Alors je lui dis qu’il irait tout de suite mieux, seulement en croyant que Dieu pouvait le guérir. Au bout du compte, si je devais t’écrire toute l’histoire, et quel mal j’ai eu à le persuader, il faudrait que je t ‘écrive quatre pages. Car ni il voulait me quitter pour partir, ni il voulait me croire, jusqu’à ce qu’en définitive Dieu intervienne sensiblement et il entendit une voix lui dire : « Pourquoi n’écoutes-tu pas, pour aller bien ? »
Et de cette façon, il fut délivré. Je lui demandais de manger le contraire de ce qu’on lui recommandait - on lui avait dit qu’il en mourrait s’il agissait ainsi – et de s’en remettre entièrement à Dieu, en laissant la connaissance de côté et en suivant la foi. Et au lieu de manger dix fois par jour comme il le faisait auparavant de ne plus manger qu’une seuls fois. Trois jours seulement suffirent à Dieu pour le mettre à l’épreuve. Je priais ardemment pour lui. La nuit je fis un rêve et vis deux vautours terrifiants, qui s’étaient emparés de lui pour le dévorer, en plus un serpent était lové autour de sa gorge. Lui me criait d’une voix farouche de le sauver. Alors je me mos à lutter avec toutes ces bêtes et je les tuais, puis je me suis réveillé.
Il vint me dire : « Je vais parfaitement bien, comme lorsque je suis venu au monde ! »
Et vraiment sa chair avait été renouvelée comme celle d’un petit enfant. Il avait bien sûr des médicaments et deux boîtes de seringues. Je lui dis de tout jeter par-dessus la falaise jusqu’aux rochers, ce qu’il fit. Désormais il vécut en bonne santé, en mangeant une fois par jour.
Vous voyez ce que la foi peut accomplir ? Ne pensez pas que c’est moi qui l’ai fait. Non. Je ne suis pas à un tel état spirituel (katastasis). C’est la foi, qui a le pouvoir d’accomplir de telles choses.
Voici une autre histoire. Un jour une moniale m’écrivit pour me dire qu’elle était malade, et que si on ne l’opérait pas elle allait mourir. Je lui répondis en lui disant tout à fait le contraire. Celle-ci à nouveau m’écrivit que le médecin lui avait dit que s’il n’était pas opérée dans tant de jours, elle aurait une perforation mortelle. À mon tour je lui répondis : « Aie foi, laisse tout à Dieu ; préfère la mort. »Plus tard elle me répondit que la maladie avait disparu.
Vous voyez ? Des milliers de fois j’ai été confronté à des choses de ce genre. Quant tu places devant toi la mort et que tu l’attends à tout moment, elle s’enfuit loin de toi. Quand tu as peur de la mort, elle te poursuis sans cesse.
J’ai enterré trois tuberculeux en nourrissant l’espoir de l’attraper moi aussi. Quand j’avais déshabillé un mort, je portais ses vêtements, mais la mort s’enfuit vers ceux qui la craignent. Je fus malade pendant toute ma vie. Je n’ai jamais suivi de traitement. Je mange obstinément ce qu’il ne faut pas. Mais où est donc la mort !
Je vous écris cela parce que vous aimez la perfection. Les gens dans le monde ne pêchent pas en suivant ce qui relève de la connaissance humaine, parce qu’ils ne connaissent pas d’autre voie.
Ce que j’essaye de vous dire, c’est que sans la volonté du Seigneur, nous ne pouvons ni tomber malade ni mourir. Fuis donc loin de nous incrédulité.
Et après avoir tout d’abord reconnu Dieu que Dieu en tant que créateur de tout bien, Père, provéditeur, et notre garde, il faut que nous croyons en lui de toute notre âme et de tout notre cœur. Et que nous n’espérions qu’en lui, et après avoir perçu tous ses bienfaits nous en viendront à l’aimer. Et lorsque nous aimons Dieu de tout notre cœur en tant que Créateur, alors nous aimerons aussi notre prochain comme nous-mêmes, sachant que nous sommes tous frères en Adam selon la nature et en Christ selon la grâce. Et c’est pourquoi l’homme spirituel ne doit pas prendre en considération la parenté selon la chair, puisqu’il s’est consacré à Dieu, mais la parenté selon l’esprit. Car la chair est mâle et femelle selon la reproduction, ce à quoi nous avons renoncé en nous élevant plus haut. C’est pourquoi en tant que spirituels que nous sommes il faut aussi que nous voyons les choses spirituellement. Selon l’âme, il n’y a pas d’âme mâle ou femelle, ni d’âme jeune ou vieille ; il n’y a que la grâce du Christ sur tout.
C’est pourquoi, je vous en prie, gardez votre esprit (noûs) libre pour qu’il considère quel grand mystère se cache dans mes paroles – ne le courbez pas sous la loi, puisque nous sommes sous la grâce. Pour qu’il goûte l’amour innocent, et s’envole à la contemplation (theoria) du seul Dieu, de notre Père qui est bon.
Puisque nous sommes tous frères, le souffle de Dieu, la divine insufflation, et puisque notre Père qui donne la vie est au milieu de nous, toutes nos actions, nos mouvements, nos mouvements et nos pensées, sont jugés avec acuité par son œil. Et avant que toi tu aies bougé ou pensé quelque chose de bien ou de mal, aussitôt le souffle, l’âme en tant qu’insufflation affecte Dieu. Il sait à l’avance ce que tu vas faire, et ce n’est qu’après que toi tu fais un mouvement de l’âme ou du corps.
Maintenant fais attention à ce que le Prophète a dit : « Je mets le Seigneur constamment sous mes yeux[130] ». Est-ce que les yeux de ton âme sont constamment ouverts, ou penses-tu que puisque tu ne vois pas constamment Dieu, qu’à son tour, il ne voit pas ? Ou penses-tu que tu puisses faire quelque chose à son insu, puisque ton esprit (noûs) est limité ? Mais lui te voit, il est attristé et il n’en tient pas compte ; il te reproche ton manque de foi et l’obscurcissement de ton esprit.
Ne sais-tu pas que Jésus devient pour chacun sa thérapie particulière selon ses besoins ? C’est-à-dire qu’il se fait pain pour l’affamé, eau pour l’assoiffé, santé pour le malade, vêtement pour celui qui est nu, voix pour celui qui chante, plénitude[131] intérieure (plérophoria) pour celui qui prie, tout pour le salut de chacun.
Crois-moi mon enfant, quel que soit l’objet de notre souffrance, pour tout le Christ est un excellent médecin du corps comme de l’âme. Il suffit que tu aies une totale abnégation, une foi et un dévouement absolu pour lui, dépourvu d’hésitation.
Puisque notre doux Jésus est si bon, compatissant, bienfaisant, pourquoi te désespérerais-tu ? Nous recherchons une petite chose pour lui, et lui nous donne tant et plus. Nous cherchons un rayon de lumière pour lui, et lui nous fait don de toute la lumière, de la vérité, de l’amour. Ainsi humilies-toi et place toute ton espérance en lui.
Crois-moi, car je dis la vérité : jamais depuis que je suis moine, lorsque j’ai été malade, je n’ai pris soin de moi ; je n’ai laissé personne non plus se préoccuper de ma santé physique, mais j’ai placé tout mon espoir dans le médecin qui ne reçoit pas de salaire.[132]
J’ai été si éprouvé au début, que tout mon dos jusqu’en bas était couvert de boutons gros comme des citrons. Je devins raide comme une planche, incapable de me pencher. Mais j’ai continué de combattre l’affection, sans même changer de tricot de peau ou d’un autre vêtement. Mais j’ai chargé un sac sur mon dos et j’ai parcouru toute la sainte Montagne, jusqu’à ce que tous ces furoncles éclatent et que le pus coule tout du long jusqu’aux pieds. Et je n’ai jamais changé de vêtement comme je l’ai dit, mais j’ai continué à combattre en souffrant terriblement, et mon tricot et mes vêtements se sont épaissis d’une grosseur d’un doigt à cause des sanies qui s’écoulaient. On pouvait mettre un doigt dans les trous des plaies. Mais rien de mal ne m’arriva. Et jusqu’à aujourd’hui, quelque soit la maladie qui vienne, je l’accueille avec beaucoup de joie, en me demandant si elle m’apporte le sommeil éternel, pour que je me retrouve avec le Seigneur Jésus. Mais mon heure n’est pas venue. En tout cas elle viendra bientôt.
La mort, qui pour la plupart des gens est impressionnante et effrayante, pour moi est un repos, quelque chose de très doux, qui ne vient que pour me reposer des afflictions du monde. Et je l’attends à chaque instant. Elle est bien sûr redoutable ; mais bien plus redoutable est le combat qu’il faut mener aujourd’hui pour soulever tous les fardeaux du monde, alors que chacun demande à l’autre d’observer tous les commandements.
Telle est notre époque. C’est pour cette raison qu’il faut de la patience jusqu’à ce que nous rendions l’âme debout. C’est pourquoi, soyez courageux et puisse ton âme être fortifiée pour affronter tout ce qui peut t’arriver.
À cause de cela et de tout le reste, je suis devenu un cadavre. Je supplie Dieu de me prendre pour que je puisse trouver le repos. J’invoque instamment votre affection pour que vous priiez pour moi. Car beaucoup d’âmes viennent me demander secours.
Croyez bien, que pour chaque âme qui reçoit un secours je dois endurer le combat qu’elle mène.
J’écris à nouveau ces lignes pour vous donner courage, afin que vous ne craigniez pas la maladie, dussions-nous souffrir jusqu’à la fin de l’existence.
Puisque Dieu est continuellement présent, pourquoi s’inquiéter ? Nous vivons, et nous nous mouvons en lui[133]. Nous sommes portés par son étreinte, nous respirons Dieu, nous sommes entourés par Dieu ; nous touchons Dieu ; nous mangeons Dieu lors du sacrement de la communion. Où que l’on se tourne, où que l’on regarde, partout se trouve Dieu ; aux cieux, sur terre, dans les abysses, dans les arbres, dans les pierres, dans ton esprit (noûs), dans ton cœur.
Ainsi ne voit-il pas que tu souffres ? Ce que tu endures ? Dis lui tes plaintes et tu verras la consolation, tu verras la guérison qui guérira non seulement ton corps, mais surtout les passions de ton âme.
Tu m’écris que tu participes encore de ton « vieil homme [134]», et moi je te dis que tu n’as pas encore la moindre trace du nouvel Adam ; tu es intégralement vieux. Et, lorsque le nouvel Adam commencera à prendre forme en toi, moi seul je t’écrirai les formes de la transformation du nouvel homme, si je suis encore en vie.
Tente et unième lettre :
Désormais le monde est mort pour toi et toi tu es mort au monde.
Fille de mon Jésus, mon enfant bien-aimé, je pris pour que tu te portes bien ainsi que ta très sainte Ancienne et toute la sainte fraternité.
J’ai reçu ta lettre et après en avoir pris connaissance, je me suis réjouis que tu ailles bien, mais pas de tout ce que tu m’as écris.
Le Zèle dont tu me parles, n’est pas celui de la grâce. Dieu ne demande pas que tu fasses maintenant une confession de foi telle que tu l’as mentionnée. Ta propre façon de vivre, là où tues actuellement, et un million de fois supérieure. Car si tu endures l’ascèse quotidienne, à chaque fois que tu contraints ton âme à supporter une parole blessante, une raillerie, un reproche, tu deviens un confesseur. À chaque fois que tu prends patience, tu reçois une couronne, et Dieu considère cela comme un martyr quotidien. Que la vérité m’en soit témoin. Tout ce que tu m’as écris n’est qu’artifice du malin pour démanteler les monastères, pour qu’ils le laissent tranquille !
Soyons sérieux ! Si le salut nous était extérieur, alors pourquoi avons-nous tout quitté ? Pourquoi avoir tout renié avec des serments terribles, en portant le saint habit ? Lis les promesses que tu fis alors, sont-elles en accord avec les mots que tu m’écris ?
N’as-tu pas promis, mon enfant, que tu reniais le monde et toutes les choses du monde ? N’as-tu pas dit que tu allais chasser le « vieil homme[135] » pour que Dieu à son tour, puisse abolir ta vie antérieure ? Lorsque le prêtre te l’a demandé, n’as-tu pas dit que tu demeurerais au monastère jusqu’à ton dernier souffle ? Où sont maintenant tes paroles ? Où peut-être que ton esprit (noûs) étant perturbé par les pensées tu ne t’en souviens pas, penses-tu que le Christ les ais aussi oubliées ? Mais les anges ont mis par écrit chaque parole que tu as dite en cet instant, et tu devras en rendre compte au jour du Jugement.
Ainsi, imite les saintes âmes qui supportèrent autour de toi le joug du Christ, supporte l’enfermement au monastère. Vois, le fruit est en toi.
L’abeille dans l’obscurité produit du miel, sans que personne ne la voie. Si on le met à la lumière, on la détruit. Si on la met dans une bouteille, elle la salit et l’obscurcit. Voilà un exemple pour notre vie monastique. Ne vois-tu pas à quel point l’Ancienne et les autres sœurs ont progressé ? Vois, moi aussi le plus humble, je me suis enfermé dans un tombeau sans vouloir savoir si les autres vivent et comment ils vivent[136].
Je considère que mon âme est morte, et je gémis sur elle. Je souffre, en m’inquiétant de neuf âmes qui m’obstruent le chemin, car je suis responsable de ces âmes, et je me lamente. Au temps jadis c’était différent, les moines étaient aidés et encouragés, car ils avaient abondance de grâce et d’exemples.
Mais toi, tu as tout ce dont tu as besoin pour devenir bon. Rivalise avec elles et sois tranquille. Rivalise avec leurs vertus, cela est suffisant pour toi.
Mais si tu veux les surpasser, la solution consiste à devenir un zéro. Car c’est là le sommet de la vertu et de l’ascension spirituelle ; de déchoir jusqu’à zéro. Ce n’est pas de te faire des ailes, de voler, de t’enfuir du monastère ; mais de la poussière que tous piétinent. Car de rien tu es devenue de la poussière[137]. Voilà quelle est ton origine. N’oublie pas d’où tu es tirée. Tu es de l’argile, ne t’enorgueillis pas, tu es de la boue. Tu es bonne à être utilisée comme enduit pour les cabinets. Ne hais pas, ne grogne pas, ne médis pas de l’argile de l’autre. Car tous nous sommes bons pour être de l’enduit.
Si tu supportes cette vérité, tu t’en porteras bien. Si tu connaissais ta destinée, le monastère dût il être plein de serpents, tu te serais dite : « Plutôt être dévorée par les serpents que de quitter mon monastère, ma mère désormais est la Toute Sainte, et ensuite l’Ancienne bénie. Mes frères et sœurs ce sont les saints et les sœurs du monastère. »
Le monastère c’est le paradis sur terre et vous devez toutes devenir des fleurs douées de raison dégageant un parfum spirituel. Si vous vous faites violence, vous serez sauvées éternellement. Vous deviendrez une huile odoriférante, de l’encens parfumé ; et qu’est-ce qui est le plus précieux et le plus acceptable devant la Sainte Trinité ?
Ainsi, ma fille, désormais le monde est mort pour toi, et toi pour le monde[138]. Ne cherche pas à devenir une colonne de sel[139]comme la femme de Lot qui s’est retournée. Ne cherche pas d’excuses à tes péchés[140], car alors tu subiras tout ce dont ont souffert les moines du monastère de S. Serve, dont parle S. Nil. Je ne sais pas si tu as lu cela. De toute façon, ce n’est pas le moment de te le raconter.
Tu m’écris au sujet de la mère qui éprouve un chagrin mortel. Mais je n’ai pas bien compris ce que tu veux dire. Qui a fait le serment ; est-ce la mère qui s’est engagée à ce que sa fille devienne une moniale ou la fille qui s’est engagée elle-même ? De toute façon, quel que soit le cas, il n’y pas de quoi s’affliger. Dieu ne lui demandera pas des comptes du fait que c’est lui qui, en tant que Seigneur de la vie et de la mort, l’a prise si soudainement et si tôt. Le Seigneur pourrait demander des comptes, si la jeune fille avait vécu sans remplir la promesse qu’elle lui avait faite. Dans le cas présent, le Christ qui donne les couronnes récompensera la bonne intention.
Mais qu’ils fassent célébrer une quarantaine de Liturgies au nom de la jeune fille, et qu’ils distribuent des aumônes autant qu’ils le peuvent.
Également, la mère du hiéromoine ne devrait pas se désespérer. Certes, c’est un mal que son fils ait quitté son lieu de Repentance[141]et qu’il se trouve maintenant dans le monde sans bénédiction, mais les prières et les larmes de sa mère comptent beaucoup pour le Seigneur. Au lieu de se plaindre, qu’elle prie et Dieu avec le temps l’éclairera[142].
Les actions de Dieu ne sont pas comparables avec celles des hommes. Lui progressivement avec beaucoup de patience ouvre aux saluts de tous ceux qui veulent être sauvés. Je crois que là aussi il ne laissera pas les soupirs et les larmes de la mère être vains. Celui qui a vu et connu la connaissance et la grâce de Dieu, celui-là seul a compris combien les pensées des hommes sont éloignées de la façon dont Dieu juge le monde. Si celui qui aime l’homme reçoit seulement entre ses mains le repentir de la personne, il sait comment tout arranger avec beaucoup de sagesse pour le salut de l’âme.
Quant à l’Abbé Isaac dont tu parles, il ne dit pas seulement qu’il mettra celui qui lutte en se faisant violence, mais sans réussir à atteindre la perfection, avec celui qui est parfait - s’il n’en a pas eu le temps à cause de la mort[143] - mais il dit aussi qu’il le placera ses reliques avec celles des martyrs, s’il tombe et meurt en combattant[144].
Quant au père qui remercie son fils pour la lumière qu’il lui envoit avec la lampe de l’habit monastique ; c’est la vérité. Les parents sont bénis par leurs enfants, s’ils sont sauvés. Et la vie lumineuse des enfants devient un luminaire pour les parents, la grâce leur est donnée. Et pendant sept générations successives de la même famille, on peut essayer de recevoir de l’aide de ceux qui ce sont faits moines, et beaucoup sont sauvés grâce à nous, si nous menons une vie qui plaît au Seigneur.
C’est pourquoi, il faut que nous combattions jusqu’à la mort ; avec patience et obéissance.
Ainsi, aie une confiance absolue dans l’Ancienne bénie et fais preuve de patience durant les afflictions sans gémissement, pour être rendue digne des biens du Seigneur, et pour que les autres soient sauvés à cause de toi en devenant conformes à la volonté du Christ qui attribue la récompense.
Quant à moi j’ai vu un jour le prêtre qui nous avait tous baptisé revenir chez nous. C’était un saint homme qui vivait dans la virginité et distribuait des aumônes. Pendant mon sommeil il m’a dit : « Quand j’étais en vie je pensais que seules les Liturgies pouvaient faire sortir un âme de l’enfer, mais maintenant que je suis mort, j’ai vu concrètement que les prières que vous faites peuvent racheter des âmes condamnées. Ainsi, ne cessez pas de prier pour les âmes. Car Dieu miséricordieux cherche sans cesse une raison et un motif pour sauver une âme. »
Trente deuxième lettre :
La pusillanimité est la mère de l’impatience.
Voici qu’à nouveau moi, ton humble Père, je viens éveiller ton empressement par mes paroles.
Lève-toi mon enfant, du sommeil de ton indolence. Écoute-moi, ne dors plus. Éveille-toi et secoue la somnolence de ton acédie.
Revêts l’armure et porte-toi courageusement contre les ennemis. Combats avec patience, ne tourne pas le dos, lutte poitrine contre poitrine. Il vaut mieux tomber victorieux en combattant plutôt que d’être vaincu.
Ô miracle des miracles ! les gens du monde luttent toute une nuit pour sortir de l’eau deux petits poissons, puis ils les mangent ou ils les vendent sans en espérer rien d’autre. Puis leur vie s’achève, tourmentée par cette tâche jusqu’à la fin.
Nous les malheureux,, nous sommes pitoyables en raison de notre grande ignorance, puisque le Christ nous nourrit gratuitement et nous récompense au centuple. Nous travaillons un jour, et il nous en paye cent ; pour que nous nous réjouissions éternellement et que nous soyons dans l’allégresse dans son royaume ; pour que nous soyons avec la Toute Sainte comme ses authentiques enfants, semblables aux saints anges dans une lumière extraordinaire et une joie irrépressible !
Mais étant donné que dépourvus de connaissance nous ne voyons pas les gains visibles, les quelques petits poissons, ou quoique ce soit d’autre de temporaire, nous perdons patience.
Si nous étions nés esclaves nous recevrions quotidiennement des bastonnades et des gifles. Mais maintenant nous ne supportons même pas la parole blessante dite par un frère malade.
Ô insensés et incirconcis de cœurs ! Pour une petite tentation, le reniement immédiat. Nous préférons la séparation éternelle d’avec le Christ et l’union éternelle avec Satan, plutôt que d’endurer humblement la tentation d’un instant !
Qu’est ce que ces paroles, ô âme indolente et bien-aimée, que tu as proféré dans un moment de découragement : « Je vais trouver un moyen pour me tuer, pour mettre fin à ma vie » ! Ô aveuglement et obscurité palpable! Tu vas te tuer et t’unir éternellement avec le diable ? Tu vas mettre fin à tes jours et tu descendras dans l’Hadès pour toujours ? Ne crains-tu pas, âme pusillanime, la damnation éternelle, la séparation d’avec le très doux Jésus qui est la Vie et la Lumière ?
Comme le Christ souverain s’attriste, comme le Fiancée des âmes est amer, lorsque pour la moindre tentation nous lui imposons la couronne d’épines de notre désespoir !
À peine venons nous de le nommer « fiancée » lors de la cérémonie de notre tonsure, que nous lui demandons le divorce ! N’est pas le fiel du reniement mélangé le vinaigre acide de notre impatience ?
Soyons prudents , mon enfant, car de cette façon noue attristons grandement le très doux Jésus et nous faisons inopinément la joie du diable qui se réjouit du malheur d’autrui.
Ô ! Qui me donnera des fontaines de larmes et un deuil inconsolable, pour pleurer jour et nuit sur la pusillanimité de lmes sœurs !
Je pris mon enfant pour qu’à l’avenir tu sois sur le bon chemin, et que tu fasses bien attention à ce que de telles tentations ne t’assaillent plus, toi ou une autre sœur. Soyez prudentes, enfants du Christ, car cela arrive à tout le monde. Ne soyez pas rétives ; mais ayez une obéissance et une affection parfaites pour votre Ancienne bénie ; afin que sa bénédiction vous protège au moment de la tentation.
Là où il y a de la dureté, et de l’orgueil ; là se trouvent aussi la désobéissance et les scandales. Là où se trouve l’obéissance et l’humilité, là Dieu se repose. Les saints Pères disent : « Avant la chute , l’orgueil domine, et avant la grâce, l’humilité. » La pusillanimité est la mère de l’impatience. As-tu vu un homme et particulièrement un moine sans patience ? C’est une lampe sans huile, dont la lumière s’éteindra rapidement.
De la pusillanimité naissent beaucoup de rejetons ; gémissement, désobéissance, obscénité, doléances, blasphèmes, désespoir etc. L’orgueil et la dureté sont d’authentiques sœurs, l’une ne va pas sans l’autre, d’elles sont nées de multiples enfants, qui tous contribuent à la perdition de l’âme. Mais l’humilité et la parfaite obéissance les annihilent tous d’un seul coup.
Ainsi mon enfant prend soin de la bienheureuse obéissance. Soumets-toi entièrement. Car, maintenant que l’ennemi a compris qu’il peut te vaincre facilement, il ne s’en ira que pour mieux revenir. Mais qu’il ne te trouve pas imprévoyante pour t’abattre, prépare-toi, et lorsqu’il survient fais lui comprendre que tu as pour garde la puissance du Christ et les prières de tous, de tous côtés.
Ne prends pas l’habitude de tomber facilement car à chaque chute la forteresse de ton âme s’écroule, et l’intrusion de l’ennemi en est facilitée ; jusqu’à ce qu’il fasse du vaincu une captive[145] achevé.
Te souviens-tu de ce que je t’ai écrit, lorsque tu es venue au monastère ? : « Ce que tu m’écris maintenant je veux que tu le lises dans quatre ans »,et « comme tu vois les sœurs maintenant, tu dois les voir aussi alors ». Si tu feuillettes les premières lettres tu y trouveras ces phrases.
Ainsi encore une fois je te répète, fais attention. Sois prudente parce que c’est encore le commencement et que tu peux encore faire un bon début. Mais si maintenant tu ne te fais pas violence, viendra le temps où tu ne seras plus capable de faire ce que pour l’instant tu négliges. Verse ton obole pour que Dieu t’accorde des milliers de talents.
Mets bas ton ego. Deviens de la poussière pour qu’ils te piétinent. Deviens comme Abbacyrus[146], brise ton cœur et pleure avec une âme dolente pour que Dieu ait pitié de toi. Moi aussi je pleure chaque jour, mais le Christ requiert aussi tes larmes.
Éveille-toi donc et secoue la pusillanimité. Mets bas ton ennemi une fois, pour que tu comprennes que tu peux le vaincre avec la puissance du Christ. La victoire c’est la patience, la victoire c’est l’humilité, la victoire c’est l’obéissance.
De surcroît sache que le tentateur a l’habitude de lutter avec les athlètes habilement et, après les avoir combattus de différentes manières sans avoir réussi à les vaincre, il leur apporte la maladie jusqu’à la fin de leur vie. Et souvent tout le corps souffre, et l’homme tout entier n’est plus qu’une blessure, et un « aïe ! » perpétuel. Mais alors proche est la fin et le repos.
Trente troisième lettre :
Je ne peux vous décrire à quel point notre Toute Sainte aime la chasteté et la pureté.
Pour notre part, tout ce dont tu parles, nous l’avons vu, nous l’avons expérimenté, une fois, dix fois, souvent. Nous avons même écris un livre au sujet de ces modifications, afin que si quelqu’un venait à les éprouver, il ne désespère pas. Mais pas pour que tu restes désœuvrée comme tu l’es maintenant. Il faut de la violence, il faut de la lutte, il faut une humilité extrême, et une obéissance absolue. Ne reste pas à crier : « Mon Christ ! Ma Toute Sainte ! ». Ne te relâche pas, et n’accueille pas les pensées. Cri sans cesse vers le Christ.
Avant que le tentateur ait le temps d’esquisser une pensée dans ton esprit (noûs), toi mets le en déroute avec la Prière. Ne le laisse pas.
Mais toi, si tu laisses les impuretés que jette en toi l’ennemi, en peu de temps, il t’aura enseveli dessous, par la suite, quelle lutte, pour qu’il soit purifié ! Par conséquent, fais-toi violence. Il faut de la peine et de la souffrance, pas des plaisanteries ! C’est du sang qui gouttera de ton cœur C’est de l’amertume, du poison, que tu vas boire, et ainsi tu recevras la liberté et goûteras la douceur.
Ne pense pas que le combat est petit. Il faut que tu cries comme une folle : « Mon Jésus sauve-moi ! Toute Sainte Mère de Dieu aide-moi ! Que ta langue marche comme une machine en disant : « Seigneur Jésus-Christ, prends pitié de moi ! Seigneur Jésus-Christ prend pitié de moi ! Seigneur Jésus-Christ prends pitié de moi ! » Et quand tu es fatiguée, il te viendra une consolation telle que tu n’en as pas goûté auparavant. Mais si tu restes oisive et négligente, tu ne seras pas guérie ad vitam aeternam.
Un homme assis dans sa maison, ne fais pas le voyage de Constantinople ; le moine désœuvré qui ne prie pas, ne se rend pas digne de la Jérusalem d’en haut.
Donc debout ! Donne ton obole, pour que la grâce de Dieu te donne mille talents. Montre ta bonne disposition. Détourne ton visage de l’ennemi. Pourquoi laisse tu ton âme être adultérée par le démon ? Où est l’humilité, quand tu considères et dis que tous sont dans l’erreur et que toi seule a raison ?
L’humilité c’est lorsque l’autre est en défaut, de lui faire une prosternation en lui disant : « Pardonne, mon frère, bénis ! » sans lui laisser le temps de demander pardon. Cela ne doit pas te sembler difficile et accablant. Ce n’est rien à côté de ce que fit pour nous le Christ Souverain. À la face des anges, il s’est courbé et a fait une prosternation depuis le ciel jusqu’à la terre[147] : « Il inclina les cieux et descendit [148]» - Dieu pour les hommes ! Et toi tu mets le monde sens dessus dessous pour ne pas dire : « bénis » ! Où donc est l’humilité ? Quand on est humble, tous les autres nous paraissent être des saints, quand on est gonflé d’orgueil, tous les autres nous paraissent bizarres et mauvais. Qu’est-ce qui est plus infect que l’orgueil, et qu’est-ce qui est plus nauséabond que les démons impurs ? Mais toi tu les tolères, ils te salissent. Tu les laisses entrer facilement et ils minent tes défenses, mais on verra par la suite comment ils sortiront ! Tu te prêtes facilement aux pensées obscènes et impures, mais on verra bien par la suite comment tu en seras purifiée! Dieu ne hait rien tant que la lascivité illicite du corps. Quand quelqu’un commet l’adultère avec des pensées obscènes, tout en lui empeste comme un chien crevé.
Mais celui qui se bat et garde son corps pur et son esprit non souillé par des pensées sordides, sa vie et sa prière montent au ciel comme un encens[149] parfumé. J’ai vu concrètement ce dont je te parle maintenant. Il n’y a pas de sacrifice plus parfumé pour Dieu, que la pureté du corps, que l’on acquiert au prix d’un combat sanglant et terrible.
J’ai beaucoup à dire au sujet de cette bienheureuse chasteté, dont j’ai goûté et mangé le fruit ; mais actuellement ni toi ni les sœurs ne pouvaient supporter mes paroles.
Maintenant je ne vous dirai qu’une seule chose : quand de telles personnes se changent, même leurs vêtements embaument leur maison, comme si l’on venait d’ouvrir un récipient plein d’une myrrhe rafraîchissante. C’est un signe (plérophoria) de Dieu pour leur bienheureuse pureté, leur bienheureuse chasteté, leur très sainte virginité.
Par conséquent faites-vous violence, en purifiant votre âme et votre corps. N’acceptez aucune pensée sordide, et vous verrez ce dont je vous parle, et alors vous serez à coup sûr persuadés par mes paroles. Vous ferez l’expérience de tout ce dont je vous ai parlé jusqu’à aujourd’hui, et vous constaterez en acte que ce que je dis la vérité par expérience.
Là où se trouvent l’obéissance, l’humilité et la lutte, les démons n’ont aucun pouvoir, ils ne pourront jamais rendre cet homme captif. La dureté, la désobéissance et l’orgueil engendrent l’acédie et l’incurie dont proviennent tous les démons qui font de l’âme de cet homme un cloaque et une écurie. Et ils ne se calment pas jusqu’à ce qu’ils rendent cette âme responsable de nouveaux et d’anciens péchés, et la rendent totalement captive.
Fais-toi donc violence, mon enfant, ainsi que toutes les sœurs. Car si vous êtes négligentes, nécessairement vous souffrirez de maux hideux. Mais si vous vous faites violence, vous vous sauverez éternellement. Vous deviendrez alors un encens odoriférant et une huile parfumée de prix. Vous deviendrez vraiment un sacrifice conforme à la Parole[150], qui plaît à Dieu.
Je ne peux vous décrire à quel point notre Toute-Sainte aime la virginité et la pureté ; puisqu’elle est la seule Vierge immaculée, elle veut et aime que tout un chacun soit ainsi. Dès que nous crions vers elle, elle sa hâte sans tarder à notre aide. On n’a pas le temps de dire : « Toute-Sainte Mère de Dieu, aide-moi ! » Que déjà tel un éclair elle rend limpide l’esprit (noûs), et remplit le cœur d’illumination. Elle incite l’esprit (noûs) à la prière et le cœur à l’amour. Souvent on passe toute la nuit dans les pleurs et les sons mélodieux en lui chantant des louanges, et notamment à celui qu’elle porte.
Donc, faites-vous violence, faites silence, priez obéissez, faites vous humbles, pour bénéficier de tout bienfait. Vous avez l’Ancienne bénie qui est un parfum du Christ. Ne l’affligez pas, ne répondez pas, observez le silence et la prière, et laissez-la être dans le repos. Car lorsqu’elle mourra et que vous l’aurez perdue et que vous resterez comme des hiboux des ruines[151], alors sa valeur sera évidente, mais alors ce sera trop tard pour vous.
En conclusion, je te prie encore une fois, mon petit, fais-toi violence et ne perds pas de temps. Ne fais que me fatiguer à t’écrire, mais dresse-toi et piétine tes ennemis, fais-toi poussière pour que l’on te piétine et sois obéissante pour la vie de ton âme.
Trente quatrième lettre :
Ces modifications arrivent à tous, mon enfant..
Après une longue période de temps, j’ai finalement reçu ta lettre aujourd’hui. Durant cette période, j’étais assez triste, car récemment tu n’allais pas bien, et je t’ai un peu réprimandé. C’est pourquoi j’ai ressenti du chagrin et de la peine dans mon pauvre cœur. Malgré tout au bout du compte je me suis un peu réjouis aujourd’hui en apprenant tu as un peu retrouvé tes esprits et que tu te mets à réparer ta petite barque, pour qu’elle puisse naviguer vers le port serein et sans vague de l’impassibilité*.
En vérité, mon enfant, il est grand le combat contre les passions, mais avec la grâce de Dieu tout peut être accompli. Avec son aide, l’impossible devient possible.
Ces modifications arrivent à tous, mon enfant, mais il faut de la patience et de la persévérance dans le combat.
Toutes ces anomalies ; l’agitation, la haine, l’aversion, les mouvements désordonnés des passions, tout est le fait de Satan. Et elles doivent toutes être repoussées avec aversion[152]. Avec force, avec peine, avec affliction, dès le début, avant quelles ne pénètrent et s’emparent des provisions, coupent l’eau depuis l’extérieur et fassent mourir l’âme d’inanition en la privant de la rosée céleste. Tu comprends ? Quand tu consens[153] aux pensées, que sème le mauvais, alors cela te coupe immédiatement l’assurance[154] dans la prière.
Voici qu’il t’a coupé l’eau depuis l’extérieur, la nourriture de l’âme, et tu vas mourir d’inanition dans quelques jours. Alors qu’au début en y faisant un peu opposition tu aurais pu les repousser. Mais tu es négligente et molle, en prêtant beaucoup d’attention à ce que disent les démons. Une fois qu’ils sont rentrés, ils nous emmènent en esclavage[155].
Fais attention, et ne te fie pas à toi-même, même si tu penses qu’ils sont partis. Les prières de tes anciens les chassent provisoirement, mais ils reviennent sans tarder. La grâce les refrène, pour permettre à l’âme de reprendre du courage, mais ils vont revenir.
Mais en temps de paix, toi ne sois pas négligente, mais sois vigilante, mais prie, corrige-toi, et prépare-toi à la lutte. Encourage-toi toi-même. Prends patience, sois parfaitement obéissante. C’est ainsi que tu seras débarrassée d’eux sans faute un jour, mais au prix de beaucoup de combats et de beaucoup de vigilance.
Pour chaque pas qu’un moine fait, il faut qu’il verse beaucoup de larmes, des gouttes de sang, et y passer beaucoup d temps. Alors vient le diable, le mal primordial, place un obstacle devant lui, au cas où la grâce et les prières des autres n’ont pas agi à temps, et tu le fais capoter. Et à nouveau recommence depuis le début, et verse encore du sang.
C’est pourquoi il faut de la patience, ne te décourage pas, ne sois pas non plus pusillanime. Fais patience pour que la grâce te protège, beaucoup de gens t’aident. Chaque pas que tu fais vers la joie ma rend joyeux. Ta résurrection ressuscite aussi mon âme.
Par moi-même et par mes propres tourments, je connais bien les tentations de l’Ancienne. Elle et elle endure beaucoup, parce qu’elle porte les fardeaux de chacun, en raison de sa responsabilité devant Dieu. Elle éprouve chaque jour de l’amertume avec beaucoup de souffrance, et elle ne se réjouira que lorsque toutes vous marcherez sur la bonne voie.
Maintenant tu vois que la grâce est revenue, prends garde à ce qu’elle ne reparte pas. Et si elle vient à partir ; sois courageuse, patiente, totalement obéissante ; et elle reviendra. Je t’avais dit qu’elle viendrait à Noël, elle est venue mais elle n’est pas restée, parce qu’elle n’a pas trouvé de zèle en toi. Maintenant elle est venue, mais elle ne restera pas, pour te purifier des passions. Cela se produira jusqu’à ce que tu te comportes comme le veut le Seigneur, pour que sa grâce puisse trouver un lieu et un moyen de rester. Ne sois pas nonchalante et ne laisse pas le temps passer, car tu ne retrouveras jamais le temps que tu as gaspillé sans raison et en vain quotidiennement. Tu auras à rendre compte de chaque jour, chaque heure et chaque instant de ta vie. L’homme n’est pas supposé seulement courir, mais aussi compter les kilomètres de la route. Il ne doit pas non plus rester en arrière, par négligence.
De plus, apprends ceci : avec l’amour pour le Christ et la Toute-Sainte, tu acquiers davantage de garde du cœur (népsis) et de contemplation (théoria) qu’avec d’autres combats. Toutes les autres choses sont bonnes aussi, quand elles sont bien pratiquées, mais l’amour est supérieur à toutes. C’est pourquoi, embrasse son icône comme si elle était vivante, couvre la de baisers avec des larmes ferventes, en criant : « Maman, ma Toute-Sainte, sauve-moi, car je me perds si tu m’abandonnes ! Seigneur mon Dieu prend pitié de moi, par ta Mère très pure et tous les saints ! »
Et alors qu’à ces mots, tu ressens beaucoup d’amour, au point de vouloir couvrir de baisers incessants l’icône, c’est le signe qu’elle te rend le baiser. Je suis incapable d’embrasser l’icône de la Toute-Sainte puis de m’en aller. Mais lorsque je m’approche d’elle, elle m’attire comme un aimant vers elle, et il faut que je sois seul, parce que je voudrais l’embrasser pendant des heures. Un souffle vivifiant remplit alors mon âme en me remplissant de grâce, sans me laisser partir. Affection, amour passionné de Dieu, feu brûlant ! Dès que tu entres dans l’église, il prend les devants – lorsque l’icône est thaumaturge – et exhale un souffle si parfumé, que tu restes des heures en extase sans être en toi-même, mais dans un Paradis odoriférant.
Notre Toute-Sainte donne tant de grâce à ceux qui gardent leurs corps purs. Car, comme je l’ai compris, elle aime beaucoup la pureté. C’est pourquoi j’ai combattu contre la chair plus que contre toute autre passion. Et il me fut accordé, comme en cadeau, la pureté : ne pas séparer la femme et l’homme. La passion ne m’atteint en rien. Avec le don de Dieu, j’ai reçu sensiblement la grâce de la pureté.
Je t’écris cela mon enfant, ainsi qu’aux sœurs pour que vous vous fassiez violence et m’imitiez. Autrement, il n’y aurait pas de raison à ce que je révèle mon état spirituel, je ne veux pas non plus que vous fassiez ma louange. Mais, puisque je vous porte dans mon âme comme étant votre authentique frère en Christ, je désire vous aider dans la mesure du possible. Que chacun ne face l’expérience. Si vous vous faites violence, vous verrez à quel point notre Toute-Sainte vous aime. Un soir que j’embrassais son icône, je fus fatigué. Je m’assis alors dans une stalle, et m’endormis un instant. Elle vint alors en personne, pas en image et me couvrit de baisers ; je fus alors remplis d’une joie indicible et de parfum. Je ne crois pas que c’était un rêve ; mais comme la perception d’une autre vie sensible, inconnue et non ressentie par ceux qui ne la connaisse pas.
Trente cinquième lettre :
La prière s’arrête, les membres cessent de se mouvoir, et seul l’esprit (noûs) contemple dans une lumière éblouissante.
Mon petit enfant bien-aimé, et toutes mes sœurs en Christ selon leur rang, réjouissez-vous et soyez en bonne santé dans le Seigneur.
Je recommence une fois de plus à des oreilles qui désirent et cherchent à apprendre. « Demandez », dit notre doux Jésus, « et l’on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira[156] ». J’honore votre libre choix[157], je loue votre zèle, j’apprécie votre affection, et je vous imite.
Donc, écoutez-moi à nouveau. En premier lieu ; la façon dont tu commences, selon ta lettre, la prière est très bonne. Avec de telles conceptions tu peux conserver ton esprit (noûs), en pensant que la prière de l’Ancien, et de l’Ancienne, monte au ciel comme une colonne enflammée et qu’ils conversent par la pensée avec Dieu. Lorsque l’esprit (noûs) conçoit et pense à de telles choses, il s’arrête un instant ; la prière est adoucie et les larmes coulent. Alors cette grâce dont tu parles, s’approche des débutants comme une mère qui apprend à ses enfants à marcher[158]. Lorsqu’elle le laisse et s’en va, l’enfant commence à la demander. Il pleure, crie, la cherche. Elle revient peu après, puis s’en va à nouveau. À nouveau il pleure, il crie, elle revient derechef. Jusqu’à ce qu’elle nous ait élevée, il n’y a pas moyen pour elle se rester avec nous, car les passions l’en empêchent.
Les passions sont un matériau dur. Les montagnes de l’Oural ! Des kilomètres en hauteur ! La grâce est le soleil. Le soleil se lève, mais l’ombre des montagnes ne le laisse pas entourer de ses soins l’homme noétique dans sa totalité. À peine un rayon le touche-t-il, qu’il s’embrase de joie. Mais le reste se trouve encore dans l’ombre des passions. Mais les démons pouvant agir aussitôt, la grâce se contracte. Et souvent ils lui font obstacle, comme les nuages, qui empêchent la lumière du soleil de briller, car l’ombre des passions fait monter une vapeur, qui obscurcit le petit rayon de lumière qui point. Et cette vapeur, ce sont les pensées de désespoir dont tu me parles. Poltronnerie, crainte, effronterie, blasphèmes, et autres du même genre à cause desquelles l’âme se consume et perd son assurance[159].
Toute pensée qui conduit au désespoir ou à beaucoup de chagrin vient du diable. C’est la vapeur des passions, et il faut la rejeter aussitôt ; avec l’espérance en Dieu, avec la confession à l’Ancienne, avec les prières des aînés, en pensant qu’ils prient pour toi et qu’ils supplient humblement Dieu.
Un petit chagrin après la joie, mêlé à des larmes et à la consolation de l’âme, est le signe de la grâce de Dieu. Celle-ci nous guide vers le repentir pendant toute la durée de notre existence, quelles que soient nos fautes. La faute chasse notre assurance (parrhésia) devant Dieu, mais le repentir la fait revenir aussitôt. La grâce ne désespère pas, mais sans cesse mène au repentir celui qui a chuté. Mais les discours du démon suscitent instantanément en lui le désespoir ; ils le flétrissent comme le gel qui s’abat sur les tendres pousses qui viennent juste de sortir.
Fais bien attention maintenant à cette petite leçon de praxis. Quand tu constates que la grâce agit, que ton âme se réjouit et que les larmes jaillissent sans peine – parce que la miséricorde de Dieu te les a accordées – si tu es entrain de prier, arrête-toi. Si tu es debout, ne bouge plus, si tu es assise reste assise. Si tu dis la prière, continue, sans pensée puérile, et reçoit l’averse de la grâce, autant qu’elle vient sur toi. Car même si elle vient alors que tu travailles, si tu te lèves pour prier, elle s’arrête. Elle veut que tu restes comme elle t’a trouvé, pour que tu ne deviennes pas son spécialiste. Elle veut t’enseigner de ne jamais croire en ta pensée, en toi-même, tant que dureras ton existence ici-bas. La pluie d’un seul jour suffit pour arroser les plantations de ton âme pendant toute la durée de l’absence de la grâce.
La grâce de la prêtrise est une chose, celle de l’habit monastique une autre. Celle des sacrements une chose, celle de l’ascèse une autre. Toutes proviennent d’une même source, mais chacune diffère de l’autre du point de vue de l’éminence et de la gloire.
La grâce du repentir, qui agit dans ceux qui combattent , et un héritage héréditaire. C’est une lettre de change et un échange divin, où nous donnons de la terre pour recevoir le ciel[160]. Nous échangeons de la matière contre de l’esprit. Chaque fois que nous transpirons, que nous souffrons, que nous menons l’ascèse pour notre Dieu est un échange : une perte de sang et un influx de l’Esprit.
L’amplitude de la grâce dépend de ce que peut contenir chacun ; comme le ferait un récipient. La grâce de la praxis est aussi appelée grâce purificatrice.
Or, à la « praxis » succède « l’illumination » ; c’est alors le deuxième stade, celui de la grâce illuminatrice.
C’est à dire que lorsque le combattant a bien été entraîné par la grâce de la praxis et qu’il est tombé et s’est relevé un nombre incalculable de fois, il lui est accordé l’illumination de la connaissance ; la limpidité de l’esprit (noûs), il voit dans sa totalité la vérité. Il voit les choses comme elles sont, sans artifice, manière d’agir ou raisonnement humain. Chaque chose se tient naturellement dans sa vérité effective. Mais, avant d’en arriver là, il doit passer par bien des expériences, bien des modifications douloureuses. Mais là, il trouve la paix des pensées et le repos des tentations.
L’illumination est suivi par une interruption de la Prière et des contemplations (theoria) fréquentes ; un ravissement de l’esprit (noûs), une cessation des sens, un immobilité et un profond silence des membres, l’union de Dieu et de l’homme pour ne former qu’un.
Tel est le divin échange durant lequel, si l’on endure les tentations, et si on ne cesse de combattre tout au long du chemin, on échange de la matière pour de l’immatériel…
Par conséquent, courez derrière le fiancé céleste, biches de mon Jésus[161]. Sentez l’huile parfumée noétique. Faites de votre vie, de votre âme et de votre corps, un parfum, avec la pureté et la virginité. Je ne connais rien d’autre qui plaise autant au doux Jésus et à sa Mère toute immaculée, que la chasteté et la virginité. Quiconque veut jouir de leur grand et abondant amour, doit avoir soin de purifier, d’épurer son âme et son corps. Ainsi il pourra recevoir tout bien céleste.
Laissez-moi vous expliquer maintenant ce que signifie l’expression : « interruption de la prière », lorsque la grâce abonde en l’homme.
La grâce de la praxis est comparable au rayonnement des étoiles ; alors que l’illumination est celui de la pleine lune, mais la grâce parfaite de la contemplation (theoria) est celui du soleil de midi qui traverse l’horizon. Comme les Pères ont divisé la vie spirituelle en trois phases.
Quand donc la gronde abonde dans une personne qui connaît tout ce que nous avons écrit, il atteint une grande simplicité ; son esprit (noûs) s’étend ayant une grande contenance. Et comme tu as goûté cette goutte de grâce, lorsque beaucoup de joie et de jubilation sont venues en toi, elle se manifeste aussi ainsi lorsque l’esprit (noûs) reste en prière, mais surtout comme une brise légère, comme un coup de vent[162] odoriférant. Alors elle déborde dans tout le corps, et la Prière s’interrompt. Les membres cessent de se mouvoir, et seul l’esprit (noûs) est en contemplation (theoria) dans une lumière éblouissante. L’union de Dieu et de l’homme se produit, sans pouvoir se distinguer l’un de l’autre. Comme le fer, avant d’être mis dans le feu, on l’appelle fer ; quand il est chauffé et rougit par le feu, il ne forme qu’un avec le feu ; ou comme la cire qui,, lorsqu’on l’approche de la flamme commence à fondre, elle ne peut demeurer dans son état naturel.
C’est seulement lorsque la contemplation (theoria) cesse, qu’il revient à son état de nature ; mais lorsqu’il est en contemplation (theoria) il est autre, hors de lui-même. Il est totalement uni avec Dieu, il n’a pas l’impression d’avoir un corps ou une cabane, il est entièrement en suspens ; sans corps, il monte au ciel !
Il est vraiment grand ce mystère, car cet homme voit ce qu’une langue humaine ne peut dire.
Et lorsque cesse cette contemplation (theoria), il ressent une telle humilité qu’il pleure comme un petit enfant, parce que le Seigneur lui a accordé de tels bienfaits, sans avoir rien fait. Et il bénéficie alors d’une telle conscience (epignosis), que si on lui demandait, il répondrait qu’il se considère comme un pauvre misérable, indigne de cette existence.
Et plus il pense cela, plus il lui est donné.
« Ca suffit ! » Crie-t-il à Dieu. Et la grâce de surabonder ; il devient le fils du Roi. Et si on lui demandait :
- À qui sont ces vêtements que tu portes ?
- À mon Seigneur, répond-t-il
- Le pain et la nourriture que tu manges ?
- À mon Seigneur.
- L’argent que tu portes ?
- À mon Seigneur.
- Que possèdes-tu en propre ?
- Rien.
Je suis de la terre, je suis de la boue, je suis de la poussière.
Tu me soulèves, je me lève.
Tu me rejettes, je tombe.
Tu m’élèves, je vole.
Tu m’abaisses, je me cogne au sol.
Ma nature n’est rien.
Il ne se rassasie pas de le dire. Et qu’est-ce que ce rien ? C’est ce qui existait avant que Dieu ne créât le ciel et la terre, c’est-à-dire rien.
Tel est le principe de l’existence. Notre matière première et notre origine, c’est l’argile. Et notre puissance ? C’est l’insufflation divine, le souffle de Dieu.
Ainsi reçois, ô Dieu, amant des appels et créateur de tout bien, la divine insufflation que tu as soufflée sur notre visage lorsque nous avons reçu le souffle de vie, et nous serons à nouveau réduit à être de l’argile.
Qu’as-tu donc, homme orgueilleux, que tu n’aies pas reçu ? Si donc tu l’as reçu, pourquoi te rengorges-tu comme si, soi-disant, tu ne l’avais pas reçu [163]? Reconnais, humble âme, ton bienfaiteur et prends garde de ne pas accaparer ce qui n’est pas à toi, les choses de Dieu, comme étant ton propre accomplissement. Connais, misérable, ton existence, aie conscience de ton origine. N’oublie pas que tu es étrangère ici, et que tout est étranger ! Mais, si Dieu, le doux bienfaiteur, t’a donné quelque chose, rends-le avec une conscience pure, « ce qui est à toi, le tenant de toi ».
Si tu es montée aux cieux, et si tu as vu les natures des anges, si tu as entendu aussi les voix des puissances divines ; si tu as théologisée et enseignée, si tu as vaincu les machinations des démons, si tu écris , lis et agis, tout est un don de Dieu.
Aussi dit à ton seigneur :
- Reçois, ô mon doux souffle, mon Jésus : « ce qui est à toi, le tenant de toi » ! Et alors, oh ! Alors, mon âme ! Que vas-tu voir lorsque les trésors de Dieu s’ouvrent et qu’il te dit :
- Reçois tout, mon fils, car tu as prouvé que tu étais un fidèle et bon gouverneur[164].
Trente sixième lettre :
La prière cyclique à l’intérieur du cœur n’appréhende jamais l’erreur.
Puisse le Dieu et Seigneur de tout qui demeure dans les cieux, qui nous procure le souffle, la vie ainsi que toute chose, et qui se préoccupe constamment de notre salut ; envoyer dans vos âmes saintes l’Esprit de consolation. Puisse-t-il illuminer votre esprit (noûs), comme furent illuminés les disciples de notre Sauveur ; faire briller la lumière de son divin éclat sur la totalité de votre être spirituel et noétique ; puisse votre cour tout entier être consumé par l’amour divin comme Cléopas, et puisse-t-il sauter de joie en apprenant la conception du nouvel Adam, la totale destruction du vieil homme avec toutes ses passions. Ainsi, à chaque instant et à jamais couleront les larmes comme une source qui dispense la douceur. Amen.
Aujourd’hui, mon enfant, j’ai reçu ta lettre et j’en ai pris connaissance, je réponds donc à ce que tu écris.
Le mode de la prière mentale est tel que te l’a dit la sainte Ancienne. La prière cyclique à l’intérieur du cœur n’appréhende jamais l’erreur. L’autre ou les autres méthodes sont à redouter, car l’image mentale peut alors s’immiscer facilement, et introduire ainsi l’erreur dans l’esprit (nous).
Combien est redoutable l’errance de l’esprit (nous) ! Et combien imperceptible !
Laissez-moi vous dire quelques mots à ce sujet pour votre information. J’ai tout essayé, car lorsque la grâce s’approche de quelqu’un, alors son esprit (nous) – cet oiseau impudent comme l’appelle l’Abbé Isaac – cherche à s’introduire partout, à tout essayer. Il commence avec la création d’Adam et termine dans des profondeurs et des hauteurs telles, que si Dieu n’y mettait pas de limites, il ne reviendrait jamais.
Ainsi, cette méthode de prière mentale, est la méthode de la « praxis », dont nous nous servons pour maintenir l’esprit (nous) dans le cœur. Et lorsque la grâce abonde, elle ravit l’esprit (nous) en contemplation, alors le cœur brûle d’amour divin et il s’embrase tut entier d’amour. Alors l’esprit (nous) se trouve totalement uni à Dieu. C’est une transsubstantiation et il fond comme de la cire devant le feu ou comme le fer s’assimile au feu. La nature du fer ne change pas, mais tant qu’il est dans le feu, il ne fait plus qu’un avec le feu, mais quand l’échauffement cesse, il retrouve sa dureté naturelle.
C’est ce que l’on appelle la contemplation (theoria). Et la sérénité règne dans l’esprit (nous), tout le corps s’apaise aussi. Alors l’orant peut prier avec des paroles ou avec des prières improvisées et il s’élève en contemplation (theoria), sans enclore son esprit (nous) dans son cœur.
Car nous prions mentalement pour que la grâce puisse venir. Lorsque la grâce est là, l’esprit n’est plus distrait. Et lorsque l’esprit se tient tranquille, il se sert de toutes les sortes de prières ; il essaye tout.
Ainsi, même la méthode qu’emploient celles dont tu me parles n’est pas une erreur, mais elle peut facilement le devenir ; car leur esprit (nous) est simple, il n’a pas été purifié, et il prend des images mentales pour de la contemplation (theoria).
Par exemple, prenons une source dont jaillit de l’eau pure au bord de la mer. Soudain une tempête arrive, le niveau de la mer monte, et notre petite source voit ses eaux troublées par de l’eau de mer. Toute intelligente que tu sois, tu ne pourras pas séparer l’eau de la source de l’au de mer. La même chose se produit avec l’esprit (nous).
Fais bien attention maintenant à ce que je vais dire : les démons sont des esprits. Ils sont donc apparentés et assimilables par notre propre esprit (nous). L’esprit approvisionne l’âme, car il apporte toute apparence et perception d’un mouvement mental dans le cœur, qui le filtre et le transmet à l’intellect. C’est pourquoi l’esprit peut être trompé à l’exemple de la source ; c’est-à-dire que l’esprit impur, comme un voleur, pollue l’esprit, qui à son tour le transmet au cœur tel quel, comme d’habitude. Si le coeur n’est pas pur, c’est de l’obscurité qu ‘il va transmettre au cœur. Alors l’âme s’obscurcit et noircit, et de là, au lieu de contemplations (theoria), elle va recevoir sans cesse des images mentales. C’est de là que proviennent toutes les erreurs et toutes les hérésies.
Mais quand un homme est rassasié par la grâce et fait sans cesse attention, il n’a pas confiance en lui-même, mais il éprouve une crainte constante jusqu’à la fin de sa vie. Alors, lorsque le malin s’approche, il remarque qu’une certaine anomalie, une certaine disparité, se produit. Alors, son esprit (noûs), son cœur, son intellect, toute la puissance de son âme, cherche Celui qui peut le sauver. Il recherche celui qui a mené toute chose de la non existence à l’être et qui scrute chaque chose. Lui peut séparer les eaux d’avec les eaux[165]. Et lorsqu’on l’invoque avec ferveur et des larmes abondantes, l’erreur est révélée, et on apprend ainsi comment éviter les erreurs. Lorsque tu as éprouvé cela de nombreuses fois, tu deviens un homme de la « pratique ». Et tu loue et remercie Dieu continuellement, qui ouvre l’esprit (noûs) à la connaissance des pièges et les machinations du démon, pour que nous les évitions.
Pour ma part, je vous dis qu’en vérité, je suis tombé dans tous les pièges du démon. J’ai durement combattu, seul dans l’arène, et j’en suis sorti vainqueur par la grâce de Dieu. Et maintenant, si quelqu’un est malade, je peux par la grâce de Dieu le libérer de la maladie des pensées et du trouble de l’erreur, il suffit qu’il m’obéisse. Car lorsque celui qui a été pris au piège de l’erreur obéit à quelqu’un d’autre, il lui est possible de s’en délivrer, et que le malin perde le contrôle qu’il a sur lui. C’est pourquoi le diable lui conseille et le persuade de ne plus croire personne, de ne plus jamais obéir à quelqu’un, mais dorénavant de ne croire qu’en ses seules pensées, de ne croire qu’en son seul discernement.
Dans cette attitude hautaine se niche ce grand égoïsme, l’orgueil luciférien des hérétiques et de tous ceux qui sont dans l’erreur et qui ne veulent pas revenir en arrière.
Ainsi puisse notre Christ, qui est la lumière véridique, l’éclairer et guider les pas de quiconque veut l’approcher.
Quant à vous, si vous aimez la prière mentale, portez le deuil et pleurez tout en cherchant Jésus. Il se révèlera comme un amour incandescent, qui consume les passions. Alors vous deviendrez comme un grand amoureux, dont le cœur bat et dont les yeux versent des larmes au seul souvenir de la personne qu’il aime. C’est un divin amour et un embrasement amoureux de cette sorte qui doivent brûler dans votre cœur, au point qu’à peine entendu ou dit : « Seigneur Jésus Christ, mon doux amour ! » ou : « Ou ma Bonne Mère, Toute-Sainte Vierge ! », les larmes doivent couler aussitôt
Tous les saints composèrent de nombreux éloges pour notre Toute-Sainte. Mais moi le misérable, je n’ai pas de louange plus belle et plus douce pour la nommer, que de l’invoquer à chaque instant en lui disant : « Ma chère Mère ! Ma douce Mère ! Lorsque je rendrai l’âme puisse t-elle arriver entre tes mains pour être transmise à son créateur, ton fils unique. Nous ne désirons rien d’autre notre Bonne Mère, que de rendre l’âme au sein cet amour incandescent, au moment de l’embrasement du divin amour ; alors que notre âme s’enflamme et notre esprit (nous) s’arrête, alors que souffle un doux zéphyr parfumé dans une douce brise dissimulée sous une nuée[166]. Alors les sens s’arrêtent et règne l’amour passionné, la charité et la vie, l’éternellement doux Jésus.
C’est pourquoi, enfants du Père céleste et héritiers de son Royaume, accourrez, hâtez-vous, pleurez, réjouissez-vous, versez des larmes d’amour. Immergez votre esprit dans celui qui a abaissé son corps sur terre pour nous sauver, le doux Jésus s’est abaissé pour que nous puissions monter. Il est mort et ressuscité pour nous ressuscitions à notre tour. Réjouissez-vous, sautez de joie, car nous avons été jugés dignes d’être ses enfants, pour jouir de ses bienfaits éternels, et pour que nous nous réjouissions même ici-bas dans son amour infini.
Trente septième lettre :
Lettre traduite dans la vie du P. Joseph.
Trente huitième lettre :
À ma Mère bien-aimée, ainsi qu’à tous mes frères, proches et amis.
À ma Mère bien-aimée, ainsi qu’à tous mes frères proches et amis, réjouissez-vous tous dans le Seigneur.
Pour ma part, je me porte bien par les prières de nos parents et grands parents. Je me réjouie et je remercie le Seigneur, car il m’a jugé digne de bénéficier de ce grand et céleste don : porter le grand et l’angélique habit et être appelé moine, bien qu’indigne d’un tel don.
Que soit glorifié notre Père miséricordieux, compatissant et bon, qui ne m’a pas repoussé, mais a eu pitié de moi comme du fils prodigue[167]. Il m’a élu du monde et m’a transporté sur la Sainte Montagne, dans ce paradis terrestre.
J’ai langui et mon âme s’est enflammée en apprenant les nouvelles de votre santé corporelle et spirituelle. Mais le commandement du seigneur qui dit : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi[168]. », m’oblige d’oublier non seulement parents, frères, proches, mais jusqu’à mon propre corps. Tout l’amour et toute l’affection de mon âme désirent désormais être tournés vers Dieu. C’est lui qu’elle veut fixer et contempler, de lui qu’elle veut recevoir les médicaments appropriés pour la purification de mon âme et le développement de l’homme spirituel.
Mais maintenant, à la vue du très grand malheur qui accable le monde, et craignant que le danger de l’impiété ne vous atteigne aussi bien, et craignant de perdre les veilles fréquentes que j’accomplis pour vous, J’ai été dans l’obligation de m’appuyer sur la maxime : « Nécessité fait loi » en me disant : je préfère transgresser un commandement si c’est pour gagner l’affection des miens.
Le désir brûlant de mon cœur, l’amour divin qui embrase continuellement mes entrailles, c’est de chercher à sauver des âmes, et de chercher à offrir à notre très doux Jésus un sacrifice conforme à la Parole[169].
Mon seul désir est de voir tous les miens, mère, frères, et leurs enfants, devenir des enfants de Dieu. Qu’ils deviennent tous un sacrifice divin, agréable au Dieu Saint. Oh ! Mais les passions, le mauvais diagnostic, l’obscurcissement de l’âme ne permettent pas à l’esprit de se soulever ne serait ce qu’un peu vers les cieux, pour percevoir ce qui convient au salut de leurs âmes. Mais je ne me plains pas, car le reste du monde est bien pire encore.
Je me dis en moi-même : « Tous ces frères sont des anges par rapport aux autres. Que Dieu soit loué, puisque l’amour divin vous unit tous, et que le Christ est au milieu de vous. Et là ou se trouve le Christ, se trouvent aussi les bénédictions de la vie éternelle comme de la vie présente. C’est pour cela que celui qui est la seule vérité a dit : ‘Cherchez d’abord le Royaume de Dieu, et je vous donnerais de surcroît toutes les choses transitoires[170]’Et il a dit aussi :‘ À quoi sert à l’homme de gagner le monde s’il reste en-dehors du Paradis ?[171]’
Qui donc, attendant de telles bénédictions, ne mépriserait pas toutes les moqueries, calomnies, et insultes du monde ; toutes les injustices et iniquités des hommes pervers ; aussi bien que toutes les tentations et afflictions des démons sans pitié, pour être jugé digne de cette joie céleste ?
Ah, qui donc voudrait être à côté de moi pour écouter mes prières, les gémissements de mon cœur ainsi que les larmes que je verse pour mes frères ? Toute la nuit, je prie et je crie : « Seigneur sauve tes serviteurs, ou efface moi aussi du livre de la Vie, je ne veux pas aller au Paradis sans eux ! »
Si pour le monde entier, je déverse toute la puissance de mon âme et de mon cœur devant le Seigneur de l’univers, combien plus ferai-je pour vous ?
Ainsi, écoutez-moi, l’humble et le plus petit des moines, et ne me méprisez pas parce que je suis ignorant et sans éducation. Ouvrez les yeux de votre âme pour voir ce qu’il y a au-delà de cette vie.
Les hommes du monde aiment le monde parce qu’ils ignorent son amertume. Leur âme est encore aveugle et ils ne voient pas ce qui se cache derrière cette joie provisoire. La lumière noétique n’est pas arrivée jusqu’à eux, le jour du salut ne s’est pas encore levé pour eux.
Mais vous, qui en avez tant vu et entendu, il faut que vous compreniez que les jouissances des choses sensibles passent comme une ombre. Le temps de notre vie ici-bas est le temps de la moisson et de la vendange et chacun collecte de la nourriture – autant que possible pure – et l’engrange pour l’autre vie.
Ce n’est pas l’intelligent, le distingué, celui qui parle de façon précieuse, ou le riche qui gagne, mais quiconque est insulté et fait preuve de patience, celui qui est lésé et pardonne, celui qui est calomnié et supporte, celui qui devient une éponge et nettoie tout ce qu’il entend, tout ce qu’on lui dit, de quelque nature que ce soit. Celui-là est nettoyé, et brille davantage. Celui là atteint un haut degré, celui-là fait ses délices des contemplations (theoria) des mystères. Et finalement celui-là est dès maintenant au Paradis.
Et, lorsque vient l’heure de la mort, dès que ses yeux se ferment, les yeux intérieurs s’ouvrent – ceux de l’âme. Et alors qu’il conçoit les réalités de Là-bas, il se trouve brusquement là où il désirait être, sans pouvoir comprendre comment. De l’obscurité, il passe à la lumière, de l’affliction au repos, des soucis à un port tranquille, de la guerre à la paix continuelle.
C’est pourquoi, frères bons et bien-aimés, que quiconque est lésé et demande justice sache qu’elle consiste en ceci : supporter le poids de son frère, du prochain, jusqu’à son dernier souffle et qu’il prenne patience dans toutes les peines de la présente existence.
Car chaque chagrin qui nous arrive, qu’il vienne des hommes, des démons, ou de notre propre nature, a toujours enfermé en lui le gain correspondant. Et quiconque le traverse patiemment, reçoit un payement ; ici les arrhes, Là-bas ce qui est parfait[172].
Il faut de la patience, comme du sel dans la nourriture. Car il n’y pas d’autre moyen pour gagner, devenir riche, et régner. C’est le Christ qui a tracé cette route pour nous. Et tous ceux qui l’aiment doivent la suivre. Même si l’absinthe nous est amère, elle purifie cependant le sang et assainit le corps. Sans les tentations, on ne connaît pas les âmes pures, la vertu n’apparaît pas, et on ne discerne pas la patience. Sans les tentations il est impossible que se manifeste la santé de l’âme. C’est le feu purificateur, qui rend l’âme pure et lumineuse.
J’ai oublié de t’écrire une petite histoire charmante. Un jour, alors que je m’étais agenouillé, fatigué d’avoir prié, je vis quelque chose de merveilleux : un jeune homme fait de flammes avait deux jolies petites filles à côté de lui. L’une était notre Maria et l’autre Virginie ; les deux petites qui sont mortes. Et le jeune homme leur dit : « celui-ci est votre frère, le reconnaissez-vous ? ». Maria était la plus âgée. « Je le reconnais, dit-elle, mais bien des années ont passées depuis », dit-elle, et l’autre ajouta : « Moi, je ne l’ai pas vu quand j’étais dans cette vie », alors il leur dit : « Embrassez-le et partons », alors les deux petites m’embrassèrent tel un souffle de fleurs parfumées. Je suis alors revenu à moi les yeux pleins de larmes, me souvenant de la joie qu’il y a dans les cieux, lorsque les pécheurs se repentent, et les Justes entrent au Paradis.
Trente neuvième lettre :
Ma sœur bien-aimée, réjouis-toi dans la Christ.
Ma sœur bien-aimée, réjouis-toi dans le Christ. J’ai reçu aujourd’hui ta lettre pleine d’affection et de piété. J’ai élevé mes mains avec un âme ardente et un amour fervent pour supplier le Seigneur avec les cris cachés de mon humble cœur, en disant : « Écoute, Ô doux amour, Jésus mon Sauveur, Lumière au-dessus de toute lumière, engendré par le Père depuis l’origine ; la connaissance et la vérité, mon espérance et ma consolation, ma force et ma puissance, mon amour et mon illumination ; écoute-moi et envois sur ma sœur la lumière de ta divine consolation et brise les barres et les verrous de son âme obscurcie et souffrante ; et conforte son cœur avec ton éblouissant éclat, afin que ses affections et les vagues successives des tentations s’apaisent. Oui mon doux Christ, lumière qui illumine les reins et les cœurs, l’âme et le corps, les nerfs et les os, l’esprit (nous) et l’intellect, ainsi que toute la composition de notre tente[173] ; entends-moi quand je te prie pour ma sœur qui est dans l’affliction et harassée. »
Ceci ainsi que beaucoup d’autres choses, témoignages de mon affection pour toi, je les crie vers mon Maître. Car je me souviens et suis conscient de tes nombreuses et innombrables souffrances depuis l’enfance. À cause d’elles je t’aime extrêmement. Et, de tous ceux que j’aime, tu es celle pour lequel j’ai la plus grande affection ; car les premiers fruits de mon affection t’appartiennent.
Je ne te demande qu’une seule chose en échange de l’immense affection que j’ai pour toi ; sois un peu plus patiente. Et je crois que Jésus qui nous a aimé, comblera toutes tes requêtes par surcroît. Tu trouveras alors non seulement la paix et la quiétude de l’âme, mais que Dieu t’accordera en plus tout ce qui convient à notre âme tourmentée. Seulement continue de demander au milieu des larmes que la sainte volonté du Seigneur soit faite, selon la façon qu’il connaît le mieux, et non selon la tienne.
Tu as réalisée que tu as péché une fois contre le Seigneur ? N’ajoute pas de blessures aux contusions. Mais cependant comme un être humain tu chutes à nouveau, ne sois pas découragée, ne te désespères pas. Car comment le Seigneur qui aime l’homme, et qui a dit à Pierre de pardonner au pécheur soixante dix-sept fois sept fois par jour ne nous pardonnerait-il pas ?
Laisse ton mari agir à sa façon. Dis lui que tu as donné ces choses en aumône, et ne donne pad aux autres les aumônes que tu projetais de leur donner. Ne fais pas un autre bienfait à quelqu’un d’autre. Celui-ci suffit. Laisse-là ta propre volonté pour trouver la paix de l’âme. Car la volonté de l’homme est comme une muraille de bronze qui empêche l’illumination et la paix de Dieu de se manifester.
Prends en exemple le doux Jésus qui s’est rendu obéissant à la volonté de son Père sans commencement jusqu’à la mort sur la croix[174].
Il a livré son corps aux coups de fouet, ses joues aux soufflets et il n’a pas détourné son visage des crachats. Tu vois, ma sœur, de quel grand amour a témoigné pour nous le Seigneur miséricordieux ? Ainsi, nous aussi abandonnons notre volonté propre, et pardonnons à ceux qui nous crachent dessus. Et alors nous pourrons dire avec confiance (parrhésia) : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ».
Car nous sommes tous des hommes tirés de la poussière et tous nous avons péché. Nous sommes de l’argile, L’argile vole l’argile, l’argile insulte l’argile, l’argile calomnie l’argile, l’argile s’enorgueillit à l’égard de l’argile, l’argile s’enrichit avec de l’argile, de l’argile domine de l’argile, l’argile frappe de l’argile, de l’argile emprisonne de l’argile. Et en général, de l’argile se considère plus sage, plus puissante, plus riche, plus distinguée, et plus honorable que de l’argile, amassant des richesses par bêtise et dans l’ignorance de sa propre existence. Sans se soucier d’où il vient et où il se trouve, comment il est né, quel est son destin, où cela se termine, et de ce qu’il y a après.
Ainsi, puisque l’oubli et l’ignorance ont tout englouti, un chaos fait d’insensibilité en a résulté, c’est pourquoi nous tous qui demeurons sans repentir, nous souffrons ici-bas et aussi dans l’autre vie. C’est pourquoi quiconque voit mieux et se trouve être un peu moins obscurci, se doit de pardonner et de compatir à son semblable, avoir de la sympathie pour son prochain.
À l’origine de fait, Dieu n’a pas créé l’homme tel, qu’il doive souffrir de tout cela et être dans l’affliction, mais il le fit égal aux anges, il était peu différent de ceux-ci. Et il le plaça dans le Jardin d’Éden ; pour qu’il gouverne tel un roi avec son libre chois (proairesis) et son libre-arbitre. Il ne l’obligea à respecter qu’un seul commandement, pour manifester qu’il était placé sous la responsabilité d’un supérieur. Mais celui-ci fut égaré par le démon et à cause de la tentation, qu’il accepta, de devenir semblable à un dieu, il fut chassé du Paradis pour l’exil ici-bas et il tomba dans les souffrances ; Dieu alors le condamna à moissonner des épines et des chardons[175] tous les jours de sa vie.
Que sont les épines et les chardons, sinon les malheurs successifs et les afflictions quotidiennes ? Fruit des tentations, des hommes pervers, et de notre nature maligne, qui à la suite de ses mauvaises habitudes a pris des habitudes qui sont devenues une deuxième nature, et nous subissons à cause de celle-ci plus de souffrances et de tentations que des autres ennemis. Et si la miséricorde de Dieu ne nous avait pas rejoint à temps, nous serions en danger de mort.
Quand donc tout ceci finira ? Lorsque, comme il l’a dit : « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière[176]. » Telle est donc la fin des souffrances et des afflictions que le Dieu qui aime l’homme a fixé pour lui.
Alors, ma chère sœur, que cherches-tu ? Quel chemin trouverons-nous qui soit dépourvu d’épines et de chardons ? Quelle autre issue y a-t-il, qui ne soit pas sous le coup de la malédiction divine ?
Montre-moi donc les rois, qui, il y encore peu de temps, avaient des musiciens, et devant qui la création tremblait. Où sont-ils donc tous ? Les ronces les ont étouffés. Où sont donc les dirigeants d’un temps, qui étaient dévorés par des essaims d’abeilles ? Voici les chardons.
Qui donc fut capable de se dégager des ronces ? Personne, si ce n’est la mort.
Viens donc, que nous crions ensemble le dit de Salomon : « Vanité des vanités tout est vanité[177]. » ! Bienheureux celui endure jusqu’au bout, en méprisant tout ; qui par sa longanimité réduit les ronces et les chardons, et qui laisse es produire la perte des biens terrestres pour la richesse céleste.
C’est pourquoi ; ma sœur bien-aimée, âme de mon âme, laisse-là toi aussi tes « droits » et tes « volontés » en considération de l’immense affection que j’ai pour toi. Rejoins la bonne union : la patience et la longanimité.
Prie pour moi aussi, pour que le Seigneur me garde ; car je reçois beaucoup d’aide grâce àtes prières bien-aimées, sororales et spirituelles. Et, si tu trouves le temps, fait aussi dire une quarantaine de liturgies, pour soulager les fardeaux de mon âme.
Tu m’écris de commander deux icônes, mais tu as oublié de m’indiquer de quels saints et de quelle taille, écris-moi et je les commanderai.
Juste maintenant, je viens de recevoir le petit panier et les mesures des saintes icônes. Sois donc tranquille. Ils seront justes un peu en retard pour les finir.
J’ai bien reçu aussi tes dons sororaux. Ce ne sont pas de simples dons, mais des dons de l’affection, les dons d’une sœur qui a mené le bon combat depuis l’enfance. Et pour ses petits cadeaux reçoit du pain béni de Dieu munificent : les délices et la jouissance dans son Royaume céleste.
Ah ! J’ai vu dans le petit panier des nourritures de notre enfance, les fruits de notre terre natale, je me suis alors souvenu de notre enfance et j’ai dit : « Ô monde vain ! Comme tu étais malheureux, tu l’es et le seras-tu jusqu’à la fin ? combien bienheureux, les bienheureux est ce délice éternel et sans fin ! Ah, ma sœur ! Si seulement tu avais éprouvé ne serait-ce qu’un peu de ces biens, ta patience serait d’acier.
Tu m’écris que tu es agitée et que tu as des projets de construction. Tu dis vrai. Mais se sont là des choses de ce monde. Mais prend courage. Celui qui a appris à construire apprendra un jour à ne pas s’attacher à ce monde. Peut-être que le Seigneur nous trouvera et nous emportera, alors que nous sommes en train de construire, là où les projets de l’homme n’ont pas cours. Et alors nous aurons une maison pour toujours.
Prends donc courage, moi aussi avec toi, je construis pour toi, sans que personne ne puisse me le détruire. Aie soin seulement de m’envoyer quelques drachmes que je puisse acheter des clous pour les portes et les fenêtres ! Prends courage et aie patience. Je te remercie beaucoup pour tout et je prie pour toi de toute mon âme. Donne mes humbles bénédictions à tous nos frères. J’embrasse les pieds de Mère. J’embrasse ton bn mari et tes enfants et je prie pour qu’il devienne de bons enfants.
Pour ce qui est de tes questions : le fils dont la mère t’a demandé s’il pouvait être commémoré à l’église parce qu’il s’est suicidé. Elle peut seulement, si elle le souhaite, faire des aumônes pour lui. Le Seigneur est grand et la profondeur de sa charité est infinie. En plus , qu’elle les envoie aux ascètes qui prient jour et nuit et dont le Seigneur écoute les supplications, Elle connaît , comme tu me l’écris beaucoup de moines. Qu’elle les leur donne pour qu’ils se les partagent, ou à des moniales. On ne peut rien faire de plus pour lui.
Quant à la jeune fille dont tu dis qu’elle a fait un serment, ce serment n’est pas valable, car il est contraire à Dieu. Il faut donc qu’elle dise tout à son père spirituel.
Quarantième lettre :
Dieu aide toujours, il arrive toujours à temps, mais il faut de la patience.
Viens, ma bonne et bien-aimée sœur ; viens et à nouveau je te consolerai de tes chagrins. Viens et nous bénirons Dieu avec la douce voix de notre cœur, exprimée par notre bouche, elle résonne à travers notre esprit. « Bénis le Seigneur, ô mon âme, et que tout ce qui est en moi bénisse son saint Nom [178]»
Vois-tu combien le Seigneur nous aime ? Vois-tu à quel point nous ingrats pour tout les bienfaits qu’il nous accorde quotidiennement ? Mais le moment de la vraie moisson nous attend encore ; ce moment béni où nous laisserons tout ici-bas et où nous partirons pour notre autre patrie, la seule vraie ; la vie bienheureuse la joie certaine ; afin que chacun de nous reçoive la portion, que lui accorde le très munificent et très doux Jésus.
Ô joie ! Ô gratitude ! Ô amour du Père céleste ! Qu’il nous purifie de toutes nos souillures, qu’il nous honore, qu’il nous enrichisse, en nous accordant ses richesses !
Là-bas, ma sœur adorée, il n’y a pas d’être inique, fourbe, l’envie et la jalousie ont disparu.. Là-bas, il n’y a aucune passion ; car ceux qui les ont sont restés devant le pont. Un grand abîme a été disposé entre ici et là-bas[179].
Mais, ô doux amour du Christ, quel bien as-tu vu en nous pour nous guider au long de ta divine voie ? Réjouis-toi donc et exulte, ma sœur bien-aimée ; remercie et loue Dieu, car voici que l’heure est proche. Bientôt viendra le temps où nous écouterons la voix bénie nous dire : « Venez vers moi ». Et dès que nos yeux de chair se fermeront, les yeux spirituels de l’âme s’ouvriront ; nous nous réveillerons alors dans l’autre vie comme après avoir dormi. Alors tu verras parents, frères et proches. Alors, tu verras les anges, les saints, et la bienheureuse Mère de l’univers, Vierge pure et Mère de Dieu ; que tous nous appelons à chaque instant, et à la quelle, après Dieu, nous sommes redevables de tout. Alors, avec qui parlerons-nous en premier, qui nous embrassera le premier ? Tout sera pur, tout sera pudique, tout sera saint.
Qui donc, dans l’attente de tels bienfaits ne pourrait prendre en patience chaque chagrin de la vie présente ?
C’est pourquoi, ma sœur bonne et bien aimée, fais l’examen de ta vie. Examine de quelle façon tu l’as passée. Souviens-toi des infinis bienfaits de notre Sauveur Jésus-Christ et de sa très douce Mère, et prends patience lors des tentations que tu affrontes.
Dieu aide toujours, il arrive toujours à temps, mais il faut prendre patience. Il entend tout de suite lorsque nous crions, mais non pas selon notre opinion personnelle.
Toi tu penses que ta voix n’est pas arrivée à temps auprès des saints, de la Toute-Sainte, du Christ. Mais avant même que tu aies crié, les saints sont accourus à ton aide, sachant que tu allais les invoquer et que tu demanderais leur protection qui vient de Dieu. Mais toi, qui ne voit pas au-delà des apparences et ne sachant pas que Dieu gouverne le monde, tu voudrais que ta requête soit exaucée comme l’éclair. Mais ce n’est pas comme cela que cela se passe. Le Seigneur requiert la patience, il veut que tu témoignes de ta foi. La prière que l’on récite comme un perroquet ne suffit pas. Il faut aussi contribuer à ce pourquoi on prie et ensuite, il faut apprendre à attendre en faisant preuve de patience. Et voici que ce que l’on demandait hier ou avant-hier s’est produit. Mais tu as été lésée, parce que tu n’as pas eu la patience d’attendre ; alors tu gagnes aussi bien les choses ici-bas que là-bas, ce qui est provisoire et ce qui est éternel.
Maintenant tu t’irrites, tu t’attristes, et tu es fâchée, en pensant que le Père céleste tarde à répondre. Mais moi je te dis que cela aussi se produira comme tu le désires – sans aucun doute cela arrivera – mais pour cela il faut d’abord que tu pries de tout ton cœur et ensuite que tu attendes. Et si tu oublies ta requête et si tu cesses de la demander, alors cela te sera accordé en récompense de ta patience et de ton endurance. Lorsque tu as atteint la limite du désespoir en priant et en demandant, alors l’accomplissement de ta requête est proche. Le Christ veut guérir en toi quelque passion cachée, c’est pourquoi il ajourne la réalisation de ta demande. Si tu l’avais obtenu plus tôt, lorsque tu demandes ta passion reste non soignée. Si tu attends, tu obtiens et ce que tu as demandé et la guérison de ta passion. Alors tu te réjouis grandement et tu rends grâce chaleureusement à Dieu, qui régit tout avec sagesse et qui fait tout dans notre intérêt.
Il ne sert à rien de te décourager, de te chagriner, de te plaindre. Tu dois fermer la bouche. Ne laisse personne comprendre l’état dans lequel tu te trouves. Que la fumée te sorte par les yeux, et non par la bouche[180]. Ne laisse pas sortir la pression, en voulant soi-disant te soulager, mais trouve la sérénité ; et à force de patience et de longanimité, calcine le diable.
Le Seigneur, qui détruit tout ceux qui disent des mensonges, m’est témoin que ce que je te dis m’a été grandement utile. Les tentations que j’endurais était si fortes, que l’on avait l’impression que l’âme allait partir en raison de la souffrance qu’elle endurait, comme si elle s ‘échappait d’une fournaise ardente. Malgré tout, une fois l’épreuve passée, une telle consolation arrive, que l’on a l’impression de se trouver sans son corps au Paradis. Le Christ t’aime, notre Toute-Sainte t’aime, les saints te louent, les anges t’admirent.
Vois-tu combien de bienfaits occasionnent les tentations et les afflictions ? Ainsi, si tu veux voir, goûter toi aussi à l’amour du Christ, endure ce qui t’arrive. Non pas ce qui te plaît à toi, mais que le Seigneur t’éprouve comme il le veut. Ce que nous souffrons volontairement n’est rien en comparaison de ce que le Seigneur nous envoit contre notre volonté. Le diable lutte contre l’homme os contre os, sang contre sang, selon ce que Dieu lui permet. Il nous fait la guerre au point que nous fondons, comme la cire devant le feu[181]. Néanmoins, lorsque l’épreuve est passée, on est totalement rempli de joie. On est entourée par une lumière éblouissante et l’on voit des mystères tels que la langue est incapable de les exprimer. Et alors on est assoiffé, et l’on se demande quand reviendront les tentations, puisque désormais tu as appris à quel point elles sont utiles.
Tel est la voie en vérité, ma sœur, et celui qui écrit cela témoigne de la vérité grâce à son expérience. Sois donc courageuse et sois forte dans le Seigneur, endure tout ce qui t’arrive, en accueillant en même temps que la souffrance la sérénité et la grâce de Dieu.
Maintiens ta petite âme dans la fermeté, en pensant que les boiteux et les lépreux ne peuvent bénéficier de ces bienfaits. Le Christ autorise les tentations, pour que nous soyons purifiés de nos prédispositions (proairesis). C’est le savon et le battoir, qui frappe et nous blanchit. Tout vêtement qui est ferme est utile au Fiancée. Mais ceux qui ne supportent pas le battoir sont déchirés et jetés aux ordures.
C’est pourquoi, faisons nous donc un peu violence ici-bas, car le temps approche. Garde donc les lettres que je t’envoie, pour les avoir sous la main quand tu es perturbée par les afflictions. Car il me semble que je vais te quitter bientôt. Car plus le temps passe, plus je suis malade. Je suis comme un paralytique.
Post-scriptum :
Je n’ai pas le temps de te décrire le miracle que le Seigneur m’a montré, pour corriger une faute que je faisais par ignorance. Vois-tu donc la grande bonté de notre Seigneur ? Vois-tu qu’il fait même des miracles, lorsque sa divine providence le juge bon ?
Car souvent l’homme est dans l’erreur par ignorance ou parce que d’autres l’induisent en erreur. Mais lorsqu’il a une âme droite et une bonne disposition, le Seigneur ne l’abandonne pas, mais le mène à l’illumination de diverses façons. Cela me pousse à me considérer comme de la poussière, de la cendre, un vers de terre.
Comme il est vrai que la miséricorde du Seigneur est grande. Le psalmiste a raison lorsqu’il écrit : « Il n’a pas agi envers nous selon nos iniquités, il ne nous a pas rendu selon nos péchés[182]. »
Alors, pourquoi toi aussi ne remercierais-tu pas Dieu ? Pourquoi murmures-tu ? Si moi je devais t’écrire les tentations que je subis, tu ne pourrais pas le supporter. Cependant la grâce du Christ et de notre Toute-Sainte dissipe tout. Sois patiente. Car la reine Mère de dieu et Souveraine de l’univers ne nous abandonne pas. Elle prie pour nous.
Quarante et unième lettre :
Le printemps est proche ; l’hiver des passions se dissipe peu à peu.
Ma chère sœur, j’ai reçu et lu joyeusement ta très pieuse lettre qui a rempli mon âme de joie. Je peux voir et concevoir l’opulence de ton cœur qui refleurit, témoignant de la naissance de l’homme nouveau, de l’enfant spirituel.
Sois donc courageuse et que ton cœur soit ferme dans les tentations, et considère comme le meilleur gardien la patience et la longanimité. Encore et encore soit confortée dans les afflictions car sous peu nous allons partir d’ici.
Le printemps est proche, l’hiver des afflictions se dissipe progressivement. Bientôt nous occuperons les nids que nous avons bâtis en nous confrontant aux tentations et épreuves successives. Alors, il n’y aura plus de querelleur, ni d’envieux, plus personne pour exercer une influence ou se venger ; tout cela sera resté ici-bas. Nous nous détacherons de ce corps pervers et passionné, dont nous sommes revêtus ici-bas – qui ne veut pas accomplir les commandements de Dieu – le laissant à cette terre mère qui nous a engendrés, et nous, en plein ciel tels des aigles, nous occuperons les saintes demeures.
Cependant, après la résurrection, nous occuperons à nouveau ce récipient de terre. Mais alors il ne sera plus lourd et pesant, sensuel et maladroit ; mais tout entier modifié par l’éclat flamboyant de notre doux Jésus ; avec des rayonnant d’un éclat plus éclatant que le soleil, illuminant même l’éther.
Les souffrances ici-bas sont peu de chose en comparaison de la récompense à venir. « C’est pourquoi », diras-tu, « mon âme, prend patience » Et pour ce qui est de ce que tu m’écris, nous les avons toutes, si nous considérons la vanité du monde comme quelque chose d’important. Mais maintenant que nous sommes arrivés à la vraie connaissance[183] et que nous avons perçu le mensonge. , Dieu ne considère plus le passé, mais le présent. Tout cela est effacé par une seule et pure confession. Il suffit maintenant que nous progressions dans la mesure du possible dans les préceptes du Seigneur.
Tu m’écris d’envoyer une lettre à nos connaissances. Mais dans la mesure où il n’y pas de matière, un désir de l’âme, comment agirais-je ? Il faut qu’ils demandent à apprendre, et alors je parlerai. Sinon on brassera de l’air en vain[184]. L’un veut écrire, mais il ne demande rien au sujet de son âme, de ses péchés, ses erreurs comment les corriger, alors qu’il ne fait que dire : « Quoi de neuf » ! L’autre m’écrit pour me demander le temps qu’il fait. Les autres ne demandent rien du tout. De plus même le Seigneur nous demande de parler lorsqu’on nous demande quelque chose, lorsqu’il dit : « A qui te demande donne[185] », il ne dit pas : « À ceux qui ne te demandent pas ». Il y a des milliers d’âmes qui nous demandent que nous leur donnions, et Dieu l’exige de nous. À ceux qui ne demandent pas la prière convient mieux ; prions pour eux, pour qu’ils recouvrent leurs sens, et alors eux aussi demanderont conseil ; alors nous aussi, avec joie et amour nous leur donnerons volontiers de ce que Dieu nous a donné.
Quand au vin de calice que tu as envoyé, le prêtre a eu peur qu’il contienne de l’eau et il ne l’a pas pris, c’est moi qui l’ai bu à votre santé. Et je me suis souvenu des jours anciens, j’ai médité pendant la nuit avec mon cœur et j’ai dit : « Vanité des vanités, tout est vanité[186] ! »
Tout n’était que songe et s’est dissipé. Ce n’étaient que des bulles de savon et elles ont éclatées, une toile d’araignée qui fut déchirée.
« Toutes les choses humaines sont vanités, toutes celles qui n’existent pas après la mort. »
Hélas ! nous sommes en exil et nous ne voulons pas le comprendre. Nous ne voulons pas voir de quelles hauteurs nous sommes tombés. Voulant le mal pour le mal, nous faisons la sourde oreille en nous nous bouchant les oreilles, et les yeux volontairement, pour ne pas voir la vérité. Malheur à nous, qui considérons que les ténèbres d’ici-bas sont de la lumière et pour la petite jouissance de ce siècle, nous évitons la lumière d’en haut comme si c’était des ténèbres. À cause de la petite affliction dont souffre le corps ici-bas, nous perdons le repos là-bas.
Malheur à notre état pitoyable ! Car dieu nous crie de devenir ses enfants, mais nous nous devenons des enfants des ténèbres. Nous échangeons l’éternité pour un peu de miel. Pour le petit plaisir de la luxure, nous renonçons aux délices et à la gloire du Royaume de Dieu, et nous chutons.
Bienheureux donc est celui qui ayant vu cette erreur a renoncé au plaisir d’un peu de miel ayant en vue la jouissance qui nous attend.
Mais toi, ma chère et bien-aimée sœur, toi qui a choisi Dieu depuis ton enfance, fais-toi violence pour que ta tunique nuptiale soit éclatante. Et invoque le Seigneur jour et nuit pour qu’il te pardonne tous tes péchés passés., qu’il te donne la puissance céleste pour observer ses divins préceptes. Et lorsqu’il te recevra dans le repentir, qu’il range ton âme avec celle des justes. Et désormais là-bas, nous jouirons l’un et l’autre de l’insatiabilité pendant tous les siècles.
Quarante deuxième lettre :
Ceci ma sœur est l’art des arts, et la science des sciences.
Aujourd’hui, ma sœur, ce n’est plus comme l’époque passée, que tu as à l’esprit. La situation actuelle de beaucoup de gens se limite à une formalité extérieure. Au-delà de cela on ne se soucie préoccupe pas de l’âme intérieure, qui constitue l’essentiel ; c’est là où le matériel s’unit à l’immatériel ; l’homme avec Dieu, selon la contenance de notre nature physique. C’est cela le très beau et le très bon. Mais tous le fuient, nous tous tournons le dos, car cela exige un combat. De plus l’esprit humain est grandement effrayé en entendant parler de cela.
Il faut que Dieu collabore à ce combat. Car sans lui rien ne peut être réalisé. Le libre choix de l’homme doit combattre, mais il faut que le corps verse du sang. Car il faut se dépouiller de la peau de l’homme intérieur, le vieil homme doit fondre comme de la cire. Et comme la rouille se décolle et tombe du fer lorsqu’on le met au feu, il se produit la même chose pour l’homme.
La grâce se manifeste progressivement, et dès qu’elle s’approche de l’homme, celui-ci fond comme de la cire. À ce moment l’homme ne se reconnaît plus, alors qu’il n’est plus qu’un esprit (nous) très limpide pourvu de mille yeux. Mais dans cette énergie surnaturelle, il ne peut se distinguer lui-même, car il est tout entier uni à Dieu. Alors la rouille tombe, le sceau est enlevé, le vieil homme meurt, le sang maternel est enlevé, la pâte est renouvelée. Mais l’homme ne change pas selon son corps, mais la grâce illumine, renforce et renouvelle les qualités naturelles et les charismes de l’homme. et l’ancien Adam, créé à l’image et à la ressemblance de l’homme est vivifié.
Mais maintenant, puisque nous sommes rendus par le péché ancestral, mauvais, stupides et pervers, nous sommes à l’image du malin. Voilà ce qu’il a fait de nous : du sang et de la mucosité.
Mais avant que cela se produise, il faut beaucoup de choses. Il faut un jeune extrême, pour enlever le sang maternel ; pour purifier la mucosité – cette saleté. Les préjugés que l’homme a appris depuis l’enfance doivent disparaître. Il faut joindre au jeûne la veille perpétuelle. Non pas une fois ou deux, mais sans cesse, pour rendre mince l’esprit (nous) gros et maladroit. Et troisièmement la prière perpétuelle, avec l’esprit (nous), la parole et le cœur.
Et de la même façon que l’homme meurt s’il cesse de respirer, de même l’âme privée de la prière assidue et perpétuelle. Elle meurt parce que la chair vivante qui commence à être conçue par la prière perpétuelle s’endort, et parce que les passions sont restaurées. Car l’ennemi ne dort pas, mais fait perpétuellement la guerre. Et comme le bébé dans le sein de sa mère suffoque et meurt s’il cesse de respirer, de même lors de la conception spirituelle, si l’œuvre mentale cesse.
Tout cela est vrai, mais le combat ne s’arrête pas là. Nous devons livrer beaucoup de batailles. Nous devons nous battre contre une multitude d’esprits, le plus important d’entre eux étant la luxure ; qui élève sa voile jusqu’aux cieux et l’abaisse jusque dans les abysses. Même si tu jeûnes, veilles, cries, pleures, souffre, lui, avec l’aide de Satan, ne cesse pas un instant de combattre, mais sans arrêt provoque ; feu issu du feu, semence d’Ésaü, fils de Babylone. Toi de crier, à la recherche du Christ. Tu te frappes, tu pleures, tu souffres. Lui de crier : « je veux une femme ! » et pas seulement un jour ou une année, mais huit ou dix ; jusqu’à ce que Dieu voie ta patience – alors que l’homme touche au désespoir – alors le Seigneur emporte le mal, et supprime la passion. Cela se produit pour toutes les passions, mais elles ne sont pas complètement éliminées comme celle-ci, elles n’ont pas non plus la même force car elles sont des intruses, alors que la passion de l’accouplement est naturelle. Alors, l’homme lutte pour changer la nature, sans pouvoir changer sa nature que Dieu peut changer. Car, en tant que législateur, il peut briser les limites fixées et transformer la nature selon son bon vouloir.
Mais si je voulais d’écrire une par une les tentations et les passions, il me faudrait écrire un livre. Car en plus de toutes celles qui lui font la guerre et contre lesquelles l’homme se bat jusqu’à la fin de sa vie, il y a aussi toutes celles que Dieu concède pour nous éprouver. Lesquelles, se produisant sans notre libre choix (proairesis), nous causent beaucoup de souffrance, et sont difficiles à vaincre.
Sais-tu ce que signifie de ne pas incommoder les gens alors qu’ils t’affectent ? Ne pas dérober alors qu’ils te pillent ? Bénir, alors qu’ils te maudissent ? Être miséricordieux, alors qu’ils te lèsent ? Louer alors qu’ils te maudissent ? Lorsqu’ils viennent sans raison pour te critiquer, lorsqu’ils te crient constamment que tu es dans l’erreur – jusqu’à la fin de ton existence, alors que tu sais que tu as raison ? De voir la tentation qui les provoque, mais toi de te repentir en pleurant comme si tu étais coupable d’être tel.
Telles sont les tentations les plus fortes, car pendant que tu luttes contre elles, tu te bats aussi contre toi-même pour te persuader que : « c’est comme ça », comme les gens disent, même si ce n’est pas le cas. De voir que tu as entièrement raison, et de te persuader toi-même que tu as tort. Ceci, ma sœur, c’est l’art des arts et la science des sciences : se bâtonner soi-même au point de te persuader de nommer la lumière, obscurité et l’obscurité lumière, d’annuler totalement la suffisance, pour devenir un idiot doué d’une pleine conscience, au point de voir chacun tel qu’il est sans que personne ne te voie en quoi que ce soit. Car celui qui est appelé à devenir un spirituel critique tout le monde mais ne peut-être critiqué par personne[187]. Il voit tout. Il a des yeux tournés vers en haut et personne ne le voit.
La vertu n’a pas de sonnette qui sonne pour éveiller ta curiosité, pour que tu la regardes, pour que tu la vois. C’est un don immatériel de Dieu. Pourquoi l’appelle-t-on grâce ? Parce qu’on ne la voit pas, on ne l’enferme pas, on ne l’imagine pas, on ne lui donne pas de couleur. C’est un don gratuit de Dieu. Un miracle inexprimable, incompréhensible, d’une immense richesse.
C’est pourquoi lorsque le Seigneur marchait sur la route, il avait l’air d’être une personne quelconque, lui Dieu authentique. « Il mange et il boit » disait-on. On le qualifiait d’imposteur et de possédé.
Aujourd’hui aussi, si quelqu’un vient à parler de la grâce, et de la purification de l’homme intérieur, on le qualifie d’imposteur. « C’est un imposteur ! », entend-t-on aussitôt. L’idée qu’il faille prendre soin de l’intérieur de la coupe, comme nous dit le Seigneur[188], est complètement sortie de l’esprit des gens.
En bref ceci n’est qu’une goutte d’eau dans la mer, et je te l’ai écrit uniquement parce que tu m’écris que tu vois les fautes des moines et que tu ne les respectes pas. Mais je ne veux pas que toi tu écrives de telles choses, car tu es un membre comparable à eux et que tu n’es pas non plus exempte de tout reproche.
Toi aussi tu dois marcher à travers le feu et l’eau[189], c’est ainsi que se révélera ta valeur ; à quel valeur le Seigneur t’a estimé, et non les hommes.
Les hommes ne savent pas évaluer. Il faut que lui nous évalue, le créateur du concours ; lui qui distribue les prix, qui règle la lutte, fait don de la puissance, dompte les adversaires, couronne les athlètes, et attribue la gloire.
Ce n’est pas là chose facile à apprendre avec des mots, si l’on n’est pas entré dans la fournaise de l’épreuve, ni non plus facile à comprendre, si on ne l’a pas goûté.
Donc, humilie ta façon de penser et ne pense pas qu’il soit facile d’éprouver ou d’apprendre de telles choses.
Quarante troisième lettre :
Vraiment, j’ai vu un frère tomber en extase alors qu’il était assis sous la pleine lune.
Grâce à la bienveillance de Dieu, ma chère sœur, me voici à nouveau entrain de te parler au moyen de l’encre et du papier.. Cela fait maintenant plus de quinze jours que je suis revenu sur la Sainte-Montagne. Avant de quitter Thessalonique, je t’ai envoyé une lettre, je t’ai envoyé aussi les saintes icônes ainsi petit panier bien rempli. Mais j’ai oublié, ce que j’y ai mis, je crois que c’est du thé et des noisettes, une bénédiction pour les enfants. Tu les recevras de Véronique du monastère de Meletia. De toute façon maintenant on a du te les apporter.
Ainsi, lorsque j’étais à Thessalonique, comme j’étais pressé de revenir, je ne t’ai pas écrit de venir, car tu as tardé à écrire et tu aurais eu besoin de temps pour arriver ici. C’est pourquoi je n’ai pas respecté ma promesse. Une autre fois, si Dieu le veut, on se verra, comme Dieu y pourvoira.
Pour l’instant je te prie seulement de prendre patience dans les tentations. Quant à l’argent des saintes icônes, ne te fais pas de souci. Quand tu l’auras, tu me l’enverras en même temps que celui de l’icône des trois hiérarques. On est entrain de la faire, elle est presque finie. Et je t’en prie, si cette femme est pauvre, ne lui demande pas encore de l’argent, peut-être n’en a-t-elle pas. Moi ici je vais m’occuper de tout et j’arrangerai les choses selon la volonté de Dieu. Je voudrais juste qu’elle m’envoie les noms de ses parents défunts pour les commémorer.
Si une autre femme veut des icônes, qu’elle m’envoie les renseignements et l’argent et je passerai la commande. Ce n’est pas un problème pour moi, et je rends service aux ascètes. Ceux-ci à leur tour me rendront service. Ici il n’est pas question de gain, mais nous accomplissons le commandement d’amour, comme a dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres[190]. » Parce qu’un moine se doit de se sacrifier lui-même pour la gloire et l’amour de Dieu.
Quant à nous, ma chère sœur, nous ne dormons pas du tout la nuit. Chaque soir nous faisons une veille. Nous prions pendant toute la nuit pour le monde entier. Nous ne nous reposons que le matin un peu et l’après-midi, après avoir mangé. Telle est notre règle. Pendant une moitié de la journée, nous travaillons, le reste nous nous reposons dans le silence et nous sommes contents.
La vie ascétique ! Le désert ! La vie angélique, pleine de grâce ! Si tu étais là à nous voir ! Ah, si seulement tu pouvais nous voir ! Ici, ma sœur, c’est le Paradis sur terre ! Et si quelqu’un depuis le début s’en tient à une vie dure, supérieure, il devient un saint, autrement si dès le commencement il emprunte un chemin plus large, un peu plus tard il en viendra à dévaler la pente. Il devient parfois pire que les gens du monde.
Car le diable fait une rude guerre aux moines, en cherchant à se venger du Christ, il dit : « Vois tes soldats, Nazaréen ! Tu leur a promis un royaume éternel et ils te renient. C’est moi qu’ils suivent pour un bref plaisir du palais ! » c’est comme cela que le diable se vante.
C’est pourquoi il faut que celui qui veut devenir moine ait une grande abnégation, en se disant qu’il ne désire plus vivre cette vie. Mais qu’il se crucifie lui-même, en endurant chaque tentation qui lui arrive : la faim, la soif, la nudité, l’injustice, les insultes, toute sorte de gène. Mais s’il ne prend pas cela en considération, mais vient pour se reposer, il aurait mieux valu qu’il ne soit pas venu, mais qu’il ait vécu dans le monde comme un bon Chrétien, homme ou femme.
Pour un moine il y a un temps où la grâce est présente et l’aide, l’homme est alors au Paradis, il vit comme un ange bien qu’il ait un corps. Mais lorsque la grâce s’en va pour l’éprouver, alors il goûte les eaux empoisonnées de l’Hadès à chaque instant. Obscurité et souffrance de l’âme. Mais à nouveau lumière et consolation, puis derechef affliction insupportable.
L’homme marié parcourt un chemin modéré ; ni trop escarpé à monter ni trop raide à descendre. Ainsi que Dieu aide chacun à porter le fardeau qu’il peut supporter.
Car il est lourd le fardeau de la vie monastique et les combats nombreux. Il faut à celui qui s’y engage une grande vigilance (népsis) et exercer une violence continuelle sur la nature. Et jusqu’à la mort, il ne doit pas trop s’enhardir, en diminuant son attention, car aussitôt il tombe et est anéanti, car les démons sanguinaires et trompeurs sont là, ils veillent en attendant l’occasion favorable. Ainsi, que Dieu nous éclaire et nous garde.
Nous tous, les moines avons quitté le monde et tout ce qui relève de lui dans un seul but ; pour être jugés dignes des biens incorruptibles et éternels. Quiconque oublie ce but, montre qu’il n’a pas compris pourquoi il a choisi le dur chemin du mode de vie monastique. Notre combat consiste non seulement à mépriser les choses plaisantes, mais aussi tout ce qui est déplaisant dans cette présente vie, transportant quotidiennement notre forme de vie dans les cieux.
Aimons de toute notre âme et de tout notre cœur notre Seigneur Jésus-Christ et sa très douce Mère, en raison de tout l’amour qu’ils ont pour nous. Après avoir traversé la tempête de cette vie, puissions-nous être inséparables d’eux dans l’autre ; le regard fixé pour toujours sur l’inexprimable gloire et les indicibles biens qui sont préparés pour ceux qui combattent avec endurance.
Vraiment j’ai vu un frère, sans mentir, qui est tombé en en extase par une nuit de pleine lune, dans un endroit très reculé du désert, silence extrême ; pas un chat, pas une cabane. Et durant sa veille de prière, il entendit la doux appel d’un oiseau qui attira son esprit tout entier (nous) et ravi complètement ses sens. Il la suivi, pour voir d’où venait ce son si doux. Et regardant ça et là comme hors de lui-même – mais sans pieds ni yeux., mais voyant et marchant en extase – en avançant il vit une lumière aveuglante, pleine de fragrance et de grâce. Il laissa alors le gazouillement de l’oiseau et fut élevé, ou plutôt captivé, dans la contemplation de la lumière éblouissante. Et marchant comme un autre S.André fou pour le Christ, il pénétra sur un sentier blanc comme la neige. De part et d’autre, les murailles étaient serties de diamants, tout ce qui s’y trouvait est impossible à décrire. En regardant à l’intérieur, il vit un très beau Paradis, orné de toutes sortes de fleurs. Tout y était recouvert d’or, au point qu’une parole humaine ne peut en rendre compte, Il regardait tout comme un ahuri, il était totalement captivé. En avançant, il vit au centre un grand palais d’une blancheur éclatante et aussi élevé que les cieux. À la porte se tenait Notre Dame, la Mère de Dieu, la souveraine des anges, notre seul réconfort, parfum indicible et consolation de chaque âme chrétienne ; portant sur son sein l’enfant blanc comme la neige, plus éclatant que mille soleils. Lorsque ce frère s’approcha, il tomba sur le sol comme un fils devant sa mère, brûlant tout entier d’amour divin. Alors, elle le serra sur son sein comme un véritable enfant et le couvrit de baisers. Ô amour de l’affection divine ! Ô l’affection d’une Mère pour son enfant ! Elle le remplit d’un parfum indescriptible. Et ce frère digne de foi me raconta que jusqu’à la fin de ses jours au souvenir de cette vision, il sentait son âme s’emplir de fragrance et de douceur. Cet enfant indicible et très doux le caressa de sa menotte potelée. Il fut informé par sa Mère qu’il voyait un mystère pour lequel il avait prié avec ferveur pendant de nombreux jours. Et l’enfant ajouta, que pour jouir d’une telle joie, il fallait qu’il combatte et souffre jusqu’à la fin de sa vie.
Puis il partit de la même façon par laquelle il était venu, sans le vouloir. En s’éloignant il réentendit le son de l’oiseau, qui l’avait captivé au début. Et regardant vers le haut, il vit un grand oiseau multicolore qui de ses ailes protégeait tout le paradis ; tout autour, il y avait des trônes ; des petits oiseaux y étaient uniformément installés en faisant cette mélodie indicible, et tous ceux qui étaient là se divertissaient. Ayant vu cela, le frère revint à lui, il se retrouva à l’endroit où il était initialement.
Ainsi, à l’audition de telles choses, endurons chaque contrariété et affliction pour la multitude de bienfaits qui ont été préparés pour nous. Car ce qui ici semble beau, par comparaison avec cela, n’est qu’obscurité et supplice.
Quarante-quatrième lettre :
Sois prudente, ma bonne petite fille, car maintenant tu es grande et les pensées commencent à changer.
Ma fille bien-aimée, ma belle colombe, ma bonne jeune fille. Je prie, mon enfant, pour que tu ailles bien dans ton âme comme corporellement. Une pensée m’est venue il y a quelques jours, et je me suis dit : « Pourquoi mon enfant tarde tant à nous écrire ? Pourquoi n’y est-elle pas attentive ? Peut-être que ma fille est absorbée par ses études ? »
Finalement, j’ai reçu ta lettre et je me réjouis de ta bonne santé, je m’attriste des péchés que tu commets continuellement. Car toi, une si petite jeune fille, tu te disputes avec tout le monde.
Je me demande si, lorsque tu seras devenue une petite épouse du Christ Maître, lorsque tu porteras le saint habit des moines, tu corrigeras ce comportement inconvenant ou continueras-tu à te chamailler ?
Enfin, que tout soit maintenant pardonné. Mais fais bien attention à partir de maintenant, sinon je te donnerai une pénitence sévère ! Car, puisque tu es l’épouse du roi céleste, il ne faut pas que tu fasses quelque chose d’inconvenant, mais que tu sois la plus petite, la plus modeste, la plus humble. Que tu pleures avec des larmes abondantes, que tu supplie d’être jugée digne de la joie des vierges sages avec tous les anges et tous les saints.
Fais attention, ma bonne fille, car maintenant tu as grandi et les pensées commencent à changer. Les traits du malin ont commencé à s’abattre autour de toi. Toi, protège bien ton âme, protège bien ton honneur. Le Christ et la Toute-Sainte veulent que nous soyons circonspects et avec crainte de Dieu en tout et pour tout.
Ne t’imagine pas que tu vas trouver de la joie et du repos dans tout ce qui afflige ton âme et qui ne repose pas la grâce. La joie est un don de Dieu à nos âmes ; si tu la couvre de honte, elle ne reviendra pas, à moins qu’avec beaucoup de peine tu regrettes tout tes péchés et que tu te repentes. Mais quel avantage y a-t-il à chasser par étourderie la colombe de la grâce pour ensuite, avec de la peine, beaucoup de gémissements, la faire revenir ?
Beaucoup de gens ont chassé la joie après l’avoir déshonorée sottement, et celle-ci n’est pas revenue.
Par conséquent, fais attention ma bonne petite fille. Ne fais pas un pas sans ta mère. N’aie pas beaucoup d’amie. N’affectionne pas les bijoux. Ne recherche pas les parfums. Tout cela ce n’est que des divertissements du monde, aussi inutiles que peccamineux.
Tu dois avoir en permanence la crainte de Dieu comme seul ornement, l’humilité comme modeste vêtement, la Reine de l’univers comme puissante protection, l’ange de ton âme comme gardien et guide. La fragrance de la virginité de ton âme et de ton corps comme odeur parfumée.
Oui, mon enfant, agis ainsi et tu vivras maintenant et pour les siècles.
Car la mort de l’âme marche à côté de toi ; elle précède tes pas, elle voltige dans ton cœur, vole dans tes yeux, est aux prises avec tes pensées. Fais attention à ta vie, garde bien ton âme !
Oui, ma fille adorée, c’est pour cela que le monde est allé à sa perte. Le tentateur en voyant ton divin amour et ton zèle inspiré par Dieu, il met : « une pierre d’achoppement et un rocher qui fait tomber[191] » sur le chemin de la vie. Par conséquent écoute mes paroles et observe-les, pour qu’elles te protègent des obstacles.
Lis l’écriture sainte, pour que ton esprit soit illuminé par elle, et pour que ton âme soit guidée dans un chemin spirituel. Cette lectio divina[192] sera pour toi une dot céleste et une richesse éternelle.
Veille aussi de plus à ne pas désobéir à ton père ni à ta mère. Garde-toi des conversations avec les gens du monde. L’âge de l’enfance candide est désormais passé.
Ne prends pas l’habitude de parler beaucoup ; le moins est le mieux ; mais le silence est une richesse de l’âme. Si tu prends l’habitude de beaucoup parler, et tu perdras rapidement la prière du Christ, et tu fatigueras ton âme, et tu vas à coup sûr nuire à beaucoup d’autres personnes. Car : « Abondance de paroles n’échappe pas au péché[193] »
Ainsi ma fille applique-toi à être toujours prudente, humble, obéissante, silencieuse, patiente, tempérante, instruite, priant sans cesse nuit et jour. Que ta bouche n’arrête pas de dire la prière, et tu verras combien ton esprit (nous) sera illuminé, et dans ton cœur sourdra la joie et la paix.
Fais tout avec sagesse, après avoir reçu de bons conseils ; Aime la confession, et communie souvent. Ne regarde pas le monde, pour que Dieu te regarde.
Et si tu observes continuellement la virginité du corps et de l’âme, la Toute-Sainte Vierge te protégera de tout mal, de tous les ennemis visibles et invisibles.
Je prie, mon humble fille, pour que rapidement soit accomplie en toi la volonté de Dieu : « Puisse le Seigneur te donner selon ton cœur[194] ».
Quarante-cinquième lettre :
Réjouis-toi dans le Seigneur, mon très cher et bien-aimé fils.
Réjouis-toi dans le Seigneur mon très cher et bien-aimé fils, qui est si bon, mais un peu irascible ; très sage, mais un peu entêté ; très bon, mais un peu jaloux. Je prie, mon enfant, pour te voir rapidement ainsi que mon âme le désire.
J’ai reçu ta lettre, et je te prie, mon petit, d’écrire un peu plus proprement ; car avec toutes les tâches, j’ai eu du mal à te lire. Car pour ma part, mon enfant, je suis sans éducation, et ce n’est qu’en épelant syllabe par syllabe, et avec du mal, que je peux lire les mots et encore pas tous. Ainsi j’oublie le début quand par hasard j’arrive à la fin.
Et pourquoi, mon enfant, ne cesses-tu de te plaindre que je ne t’écris pas. Mais moi, le malheureux, je n’arrive même pas à répondre à ceux qui m’écrivent ; combien plus à celui qui ne m’écrit pas ? Ne sais-tu pas, mon enfant, que c’est ta lettre qui me pousse à t’écrire ?
Ne sais-tu pas que j’ai moi aussi en tant que moine, beaucoup d’obligations spirituels qui ne me permette pas de m’asseoir un instant ? Car je suis dans l’obligation de prier pour vous. Et je remplace la lettre que je dois écrire par la prière.
Quant aux sermons, tu peux trouver beaucoup de gens qui en font, mais pour la prière on en trouve pratiquement pas dans le monde. Mas ici avec la tranquillité (hésychia) cela nous est plus facile. C’est pourquoi, ne te plains pas, car pour moi, tout ce que je le fais en pleine connaissance et crainte de Dieu.
Lorsqu’à nouveau tu voudras une lettre, ne fâche pas, mais écris-moi alors derechef je te répondrai. Car le Seigneur a dit : « donne à celui qui te demande [195]», et non pas à celui qui ne te demande pas.
Je prie mon enfant, avec une âme dolente, les yeux pleins de larmes, pour que Dieu te protège de tout mal. Cours prestement pour échapper, comme un cerf bondissant, aux pièges du diable, et marchants sur les aspics et les basilics[196], réjouis-toi sans cesse dans la joie du très doux Jésus et de sa Mère tout immaculée.
Si tu viens , si Dieu le veut, un peu après Pâques, alors nous nous entretiendrons de beaux sujets spirituels. Nous parlerons beaucoup alors. Tu verras ainsi dans le désert où nous sommes nos petites et belles cabanes. Tu te réjouiras vraiment. Tu sauteras comme un cerf, tu danseras comme un agneau. Tu verras comment l’âme s’éveille, comment elle est allaitée comme un nourrisson, comment elle se développe avec le temps en connaissance, comment elle croît, si on s’occupe bien d’elle. Pareillement comment elle s’enlaidit, elle s’affaiblit, se nécrose complètement, et finit par se perdre…
Rêve donc à de bons espoirs, attend le printemps pour venir, tu auras ainsi l’été devant toi. Réfléchis bien à ce que je t’écris, le temps passe vite. Fais-toi violence aussi dans tes devoirs spirituels, pour que l’ennemi ne trouve pas une opportunité pour te prendre au piège.
En bref c’est tout, mon fils, avec d’amour pour toi.
Quarante sixième lettre :
Ce monde, mon enfant, est très vain.
Je me réjouis, mon enfant, que tu ailles bien. J’ai vu aussi ta faute. Puisqu’il s’en est fallu de peu que tu ne dises un blasphème, désormais tu feras en plus le double de prosternation quotidiennement pendant quarante jours. Mais tu commenceras après la pentecôte. Fais attention, mon enfant, à ce que cela ne devienne pas pour toi une mauvaise habitude démoniaque..
Ah, mon enfant, fais attention. Car de jour le monde est très mauvais, et le diable répand les mauvaises pensées, pour affaiblir le désir de l’âme. C’est pourquoi sois tempérant autant que tu peux, car la gloutonnerie engendre les malices et les imaginations. À l’heure de la tentation réfugie-toi toujours auprès du Christ et de notre Toute-Sainte. Appelle les saints à l’aide et fais attention. Car une fois que le diable t’a induit en erreur en te poussant à commettre un péché, tu ne peux plus devenir prêtre[197] ; il serait dommage que tu aies à le regretter jusqu’à la fin de ta vie. C’est pourquoi, sois prudent, fais attention autant que tu peux.
Fuis les mauvaises pensées comme le feu. Ne leur prête aucune attention, pour qu’elles ne s’enracinent pas en toi. En outre, ne désespère pas, car Dieu est grand et pardonne au pécheur. Mais veille seulement à te repentir quand tu as fauté, et force toi à ne pas refaire la même faute.
Fais aussi attention à tes compagnons d’étude. Sois peu loquace, n’écoute pas non plus ce qu’il ne faut pas, car cela pollue l’audition. Prends soin d’être obéissant, prudent, humble, vertueux, ami de la prière et de la lecture. Prie avec des larmes ; prie pendant que tu étudies. Que ta bouche ne cesse pas de dire : « Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi »
Tiens-toi prêt à devenir, quand le voudra le Dieu saint, un bon moine, agréable à Dieu et aux hommes. Car ce monde, mon enfant, est très vain ; plein de tout vice ; un lieu d’exil pour Adam et par conséquent pour nous. Et bienheureux celui qui a été jugé digne de bien mener son négoce pendant cet exil, pour arriver au port du salut ; car il se réjouira éternellement avec les saints et règnera avec le Christ, pendant tous les siècles.
Quarante septième lettre :
Mais nous, nous avons choisi la philosophie céleste.
Mon enfant, enfant du très doux Jésus, enfant de la Toute-Sainte et des saints, que te dirai-je ?
Où pourrais-je trouver les mots qui réchaufferont ton âme ? Où puiser l’eau qui t’abreuvera ? Où trouverais-je du pain pour te rassasier ?
Malheur à moi, le misérable, qui a été jugé digne de mettre au monde dans le Saint-Esprit un tel fils, un jeune homme si bon, dont la prudence équivaut à son zèle !
Mais quand serai-je jugé digne de te voir près de moi ? Quand jouirai-je de ta bonne compagnie ? Quand te verrai-je au milieu de notre église tombant en pleurant devant l’icône de notre très doux Jésus ? Serai-je jamais digne de voir cela ? Dois-je espérer ? Dois-je attendre de te voir pour dire alors comme le divin Syméon : « Maintenant laisse aller ton serviteur, ô Maître [198]» ?
Malheur à moi, misérable ! Les larmes m’obscurcissent les yeux, ma main est paralysée, ma plume est sèche, mon cœur palpite d’émotion, en apprenant que tu vas devenir ; un sage entre les sages, un maître parmi les maîtres, un orateur parmi les orateurs, un théologien parmi les théologiens, un prédicateur parmi les prédicateurs, un moine parmi les moines, un prêtre parmi les prêtres, et un fils de Dieu parmi les fils de Dieu.
C’est pourquoi mon poussin bien-aimé, vole vers moi. Vois, j’ouvre pour toi mon sein paternel plein d’affection. Cours tel un cerf, et moi je t’abreuverai avec l’eau de la vie. Viens mon fils, à notre table, et je partagerai avec toi le pain de vie.
Marche vite, ne perds pas de temps. Car la mort nous poursuit comme un mauvais compagnon de route, et le monde est trompeur ; et la vie remplie des pièges de Satan, et nous apporte une double mort. Le plaisir du monde passe comme une ombre. Tout n’est que songes, qui éclatent comme des bulles de savon. Tout est vanité[199] !
Quant à nous, nous avons choisi la philosophie céleste ; en séjournant dans la profondeur des mystères divins, rendant notre esprit (nous) limpide. Nous nous appliquons dans la mesure du possible à saisir ce que la main ne peut atteindre, mais ce dont l’esprit (nous) peut s’emparer ; ayant pour aides Dieu, et les saints anges enflammés, qui nous parlent et qui nous montrent les sentiers célestes au moyen de la bonne conscience. Et finalement, après que notre âme soit partie et que ce corps bas soit retourné à la terre qui et la mère de tous ; alors nous partirons comme si nous retournions vres notre vraie patrie, et nous dialoguerons avec les anges comme avec des frères, échangeant une accolade divine, nous étonnant et nous émerveillant sans cesse des chœurs divins ; jusqu’à ce que nous soyons parvenus devant notre Maître et Sauveur et demeurions inséparables.
Viens donc en courant, pour ne pas être privé de cela. Lève-toi et ceins tes reins comme un homme.
Viens, et moi je vais t’attendre. Peut-être que d’ici quelques années je vais partir et alors personne ne pourra plus t’être utile.
Quarante huitième lettre :
Écoute ma voix, mon bon fils.
Écoute ma voix, mon bon fils. Il n’y a rien de plus beau, ou de plus doux que d’aimer le Seigneur Jésus. Il n’y a rien de plus élevé que de philosopher au sujet des cieux et de contempler les biens éternels en regardant dans les choses présentes comme dans un miroir.
Certes, la virginité et la chose la plus élevée. Elle fait de l’homme un ange sur terre ; grande est sa gloire dans les cieux et grande est sa hardiesse (parrhésia). Dans le Royaume des cieux, les vierges suivront l’agneau sacrifié, Jésus, ils contempleront sa divine beauté et ils se complairont dans la somptuosité de son très doux amour.
Bienheureux celui qui a été éclairé et qui a choisi comme épouse la belle virginité ; elle le rendra bienheureux par sa beauté. Bienheureux celui qui a échappé à la vaine distraction du mariage pour suivre le Christ, portant son joug depuis la jeunesse. Il passera par des afflictions, mais celles-ci embelliront encore davantage la couronne immarcescible de la très sainte virginité.
Viens, mon fils, et applique-toi à la divine philosophie. Un monde nouveau va être créé en toi ; un nouvel esprit (pneuma), un autre ciel, que tu ne connais pas, car ceux avec lesquels tu t’es entretenu jusqu’à maintenant n’en ont aucune idée.
Un moine ce n’est pas que l’on rencontre pour entendre des paroles qui n’ont pas de fruit. Le vrai moine est le produit du Saint-Esprit. Lorsque, dans l’obéissance et dans la tranquillité, les sens sont sanctifiés, l’esprit (nous) est serein et le cœur purifié, alors il reçoit alors la grâce et l’illumination de la connaissance. Il devient tout entier lumière, esprit (noûs), et limpidité. La théologie jaillit, au point que si trois personnes voulaient écrire ce qu’elles entendent, elles ne pourraient arriver à décrire ce courant qui jaillit par vague et répand la paix et une extrême immobilité des passions se répand dans tout le corps. Le cœur se consume d’amour divin et crie : « Contiens, mon Jésus, les vagues de ta grâce, car je fonds comme de la cire ». Et il fond vraiment ne pouvant les supporter. L’esprit (nous) est alors ravi en contemplation, et la fusion se produit. La transsubstantiation de l’homme se produit, et il ne fait plus qu’un avec Dieu ; au point de ne plus se connaître ou se distinguer lui-même, comme le fer dans la fournaise, une fois chauffé ne fait plus qu’un avec le feu.
Toi aussi tu feras l’expérience de cela quand tu t’attacheras à suivre un Ancien expérimenté, un spirituel, qui se voue à la prière mentale. Tu m’as moi aussi, je t’écrirai souvent et je te révélerai des mystères, lesquels lorsqu’on vit dans le monde, on ne goûte pas même une goutte. Laisse là les combats et les mots boursouflés. La grâce divine veut que tu unisses l’homme intérieur avec Dieu et alors tu seras utile aux autres.
Lis si tu veux, l’Histoire Ecclésiastique de Meletios d’Athènes tu verras combien de maîtres comme Origène et une multitude d’autres, qui furent tout d’abord des grands luminaires de l’Église, doués d’un grand savoir. Mais, parce qu’ils s’adonnèrent à l’océan de la connaissance sans avoir au préalable reçus dans l’hésychia la pureté des sens et la paix et la sérénité de l’Esprit, ils se noyèrent dans l’océan de l’Écriture Sainte. Ils estimèrent que leur savoir livresque était suffisant. Des milliers se perdirent et furent anathématisés par des Conciles, dont ils furent tout d’abord les héros. Lis et tu verras.
Je sais que tu te souviendras de mes paroles, si tu vis, même si tu ne les écoute pas maintenant. Mais il sera trop tard, car je ne serai plus de ce monde, et personne ne t’aime plus que moi, et personne non plus n’a osé te dire la vérité en face, si on la voit. De tous ceux que tu as rencontré jusqu’à présent tu n’as entendu que des flatteries, des fourberies, des persiflages et des enseignements du huitième millénaire. Que des faussetés et des lieux communs. Alors que toi, comme une tendre petite pousse, tu as besoin de sagesse spirituelle et de vérité pure. Ton âme a besoin de lumière pure, et ton cœur de profondes incisions pour extraire le poison des jouissances et des passions.
Maintenant ne divulgue pas ce que je t’écris, car les hommes de ce siècle ne s’occupent pas de ces choses. C’est pourquoi, si quelqu’un parle de l’œuvre mentale et de prière, ils pensent qu’il parle d’une quelconque hérésie. Ainsi sont malheureusement les hommes de notre détestable époque.
Alors que le vrai moine se doit de s’absorber jour et nuit dans la contemplation de Dieu ; qu’il soit entrain de manger, de dormir, de travailler, de marcher. Car Dieu est vraiment notre prochain, et nous pouvons continuellement dialoguer avec lui. Car Dieu est dans ta vue, dans ton esprit (nous), dans ta parole, dans ta respiration, dans ta nourriture ; où que tu regardes, Dieu est partout. Nous vivons et nous bougeons en lui[200]. Lui nous porte sur son sein.
Ainsi, crie sans cesse : « Mon Dieu, cela te plait-il ? Mon Dieu, est-ce cela ta volonté ? » Et sans cesse, jour et nuit tu parles à Dieu en toute simplicité comme un fils parle à son Père. Alors tu ressens l’amour du Père et sa divine providence. Et tu aimes, puisque tu es aimé. Et tu crains de faillir à sa volonté divine, tu trembles de peur de chagriner ton bon Père, qui t’a tant aimé, sans chercher d’aucune façon son intérêt ; c’est pour toi qu’il est mort sur la croix.
L’Église ou le monde ne seront pas corrigés par toi, alors que toi tu seras corrigé, tu seras achevé, tu seras illuminé, pour illuminer ceux qui le veulent. Il n’y a qu’une guerre qui puisse corriger le monde, qui est probablement déjà là ou qui vient au grand galop. Le malheur fera que beaucoup reprendront leurs esprits, alors que ceux qui ne veulent pas se repentir seront sans excuses.
Souviens-toi, mon fils, que tu as été créé à partir de l’argile, mais que tu es aussi un souffle de Dieu. Ne sous-estime pas ta valeur et ne sois pas captivé par le matériel. Tu es un souffle de Dieu, fais-toi violence pour devenir digne du don de Dieu.
Réjouis-toi et délecte-toi dans le Seigneur. Moi aussi, je me réjouis ici puisque j’observe l’hésychia avec Dieu. Je bondis et je jubile dans mon hésychia bien-aimée, en chantant mon petit tropaire sain et philosophique :
J’ai trouvé le port de l’hésychia
Mon âme et mon corps sont sains
Mon esprit nage dans la très douce sérénité
Ne te demande en aucune façon ce que fait le voisin.
« Que celui qui peut recevoir cela le reçoive[201] »
Quarante neuvième lettre :
J’ai passé ma vie à souffrir et à être malade.
Mon enfant, j’espère que tu vas bien. Juste maintenant, je me sens un peu mieux.
C’est comme cela que j’ai passé ma vie, à souffrir et à être malade. Maintenant encore une fois j’ai frôlé la mort pour toi. J’ai dit : « Laisse-moi mourir, mais que mes enfants spirituels vivent. » Et je n’ai plus mangé du tout.
J’étais déjà épuisé, et maintenant à nouveau jeûne total. Vous m’avez envoyé tant de douceurs, mais je n’y ai même pas goûté. Je n’ai pas touché au fromage, que des légumes cuits à l’eau. Peu de temps s’est passé, puis je me suis évanoui. Cent vingt injections…
Trois fois ils m’ont veillé en pensant que j’allais mourir. Ils ont invité tout le monde à venir autour de moi. Je les ai bénis une dernière fois. Ils m’ont pleuré nuit et jour. Finalement, j’ai recouvré la santé encore une fois.
Ils m’ont envoyé un remède de leur cru et il fut, après Dieu, à l’origine de ma guérison. Je n’avais pas mangé depuis quarante jours. Quand je pris le remède, je me suis mis à manger, j’ai dormi, j’allais mieux. Gloire à toi ô Dieu ! J’ai commencé à bouger un peu, à écrire.
Tant que je vivrai, mon enfant, je prierai pour toi ; jusqu’à ce que tu m’écrives que tu vas bien. Mais si je meurs, tu te souviendras mon enfant que ce petit Ancien est devenu malade et est mort pour nous sauver.
Courage ! Tu n’es pas le seul. Il y a beaucoup de gens. Beaucoup de gens sont venus me voir, et ils m’ont guéri par la prière et par le jeûne. Mais voilà, le Seigneur ne m’écoute pas, pour que je prenne l’habitude des médicaments et des docteurs et que je sois condescendant avec les autres.
J’ai aussi li les lettres de S. Nectaire d’Ègine, et j’ai vu à quel point lui, un si grand saint, prêtait attention aux docteurs et aux médicaments ! Je ne suis qu’un pauvre ascète qui a vieilli dans le désert et je voulais me soigner qu’avec la foi. Maintenant j’apprends à mon tour qu’il faut et les médicaments et la grâce. Ainsi maintenant je dirai comme le saint : « Veille à bien te porter ; à redresser tes nerfs par tous les moyens, tu retrouveras alors ta prière et la paix.
Prends soin de t’aider toi-même autant que tu peux. Contrôle ce que tu manges ; ne manges tout ce que tu sais être nuisible pour ta santé : les fritures, les nourritures salées, les plats en sauce, le porc, la viande, les poissons salés, les boissons alcoolisées en général ; tout cela, évite le ce te sera compté comme jeûnes par le Seigneur.
Ne te demande avec ton raisonnement : pourquoi ceci, pourquoi cela ? Les desseins de Dieu sont impénétrables. Que le Seigneur soit loué lui qui nous aime tous. Son amour se manifeste lors de nos maladies et nos afflictions : « ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse[202]. »dit-il !
C’est cet amour du Christ qui m’a poussé moi aussi à m’attrister et à souffrir avec toi. Mais ne crains pas la tentation ; c’est une épreuve. Dieu permet autant qu’il le juge bon, mais au bout du compte, sa bonté triomphe.
Pour ma part, je mange cent grammes de pain par jour avec un peu de nourriture, et je veille toute la nuit. Satan vient et hurle de loin, mais il n’approche pas. Il va chez tes frères et les menaces avec des illusions. Qu’ils n’aient pas peur. Pour ma part, les démons m’ont combattu de toutes les façons possibles pendant huit ans au début de ma vie monastique et je ne dormais pas allongé. Uniquement debout ou un peu assis.
Ainsi n’ayez pas peur. Uniquement, prière, foi fervente et larmes. Seul celui qui a péché peut craindre le diable. Alors l’ennemi peut lui nuire, parce que le Seigneur le quitte.
Cinquantième lettre.
Qui connaît, mon enfant, les jugements de Dieu ?
Qui connaît, mon enfant, les jugements de Dieu ? Tout lui est connu. Il voit tout, rien ne lui échappe, mais personne ne connaît sa volonté. Les œuvres de Satan ne sont rien à côté de la puissance de Dieu. Et, lorsque Dieu nous éprouve, selon ce qu’il connaît, alors faisons preuve nous aussi, de patience et de reconnaissance à son égard.
Et maintenant, mon enfant, si sa divine volonté s’accorde avec notre désir, tu iras assurément bien. Mais s’il prévoit quelque chose nous ne connaissons pas – car Dieu voit et juge d’en haut différemment – alors tu n’iras pas bien. Malgré tout nous ne perdons pas notre récompense ; elle est emmagasinée dans son Royaume. Donc patience et combat.
Ces jours-ci, la veille de la fête de sainte Catherine, je me suis durement battu contre Satan, à cause de toi Un combat visible. Je me suis demandé si tu allais bien. Il était furieux, il hurlait. Je suis resté toute la nuit et toute la journée en prière à cause de toi. Finalement il est parti. Il n’est pas revenu. Alors, écris-moi comment tu vas, comment tu t’en sors. Satan te trouble-t-il ? Prends patience. Voici la façon dont tu dois prier : « Moi, mon Dieu, je veux que tu fasses que j’aille bien. Mais si toi, tu sais qu’il faut qu’il en soit autrement pour mon salut, que ta volonté soit faite. »
Le Dieu très bon ne fait rien qui ne soit pas utile à nos âmes. Maladie ou tentation, quoi qu’il nous arrive, il le fait pour nous être utile. Ce que nous ignorons, et qui fait que souvent nous gémissons, nous nous irritons, et nous faisons beaucoup de mauvaises actions. Alors que lui, en raison de l’abondance de son amour, n’a en vue que ce qui convient à nos âmes. Car il sait que nous ne sommes que provisoirement ici et que tout passe vite. Et lorsque notre présent exil se terminera et que les yeux de notre âme s’ouvriront, les seuls vrais, alors nous rendrons le remercierons avec reconnaissance.
Donc, mon bon enfant, aie toujours patience. Car je suis informé que Dieu t’a donné cette tentation à cause de ta bonté, il peut la reprendre quand il veut.
Lorsque j’ai vu tes parents, je leur ai dit d’aller voir leur père spirituel, de tout lui confesser, tout ce qu’ils n’ont jamais confessé. Qu’ils disent tout franchement ; tout ce qu’ils ont fait depuis leur enfance et qu’ils ont oublié, qu’ils se le rappellent. Car sans franche confession, ni tu ne peux être aidé, ni ils iront au Paradis. Ton père doit dire aussi le serment qu’il a fait, et ta mère le poids qu’elle porte depuis les premières années de son mariage. Tes frères et sœurs doivent tout dire aussi. Chacun dans la maison doit faire une confession générale. Pour qu’ils soient purifiés, allégés, et devenir des enfants de la vie éternelle.
Et toi, mon enfant, écris-moi tout ce qui t’arrive. Ne crains pas le tentateur. Dis seulement la prière sans cesse. C’est une tentation diabolique, mon enfant, il n’y a que la prière pour la brûler et le jeûne pour lui briser les nerfs, ça l’énerve.
Donc, patience et reconnaissance continuelle ; beaucoup de jeûne et de prière, et puisse Dieu l’abattre.
Je te souhaite la santé et la joie ; ainsi qu’à tes parents et à tes frères et sœurs. Qu’ils soient prudents, qu’ils se fassent violence, qu’il se soucient de leur salut.
Cinquante et unième lettre :
Bienheureux celui qui nuit et jour se souvient de la mort et se prépare à la rencontrer.
Mon fils bien-aimé, mon enfant, le fils de Joseph. J’ai reçu ta lettre, mon fils, et je me suis souvenu des jours passés. Je suis tombé sur mes genoux et j’ai pleuré amèrement. Je suis dit : « Comme ce monde est vain et instable ! » Cette période de la vie ne demeure pas sur une position mais sans cesse transforme et change les choses !
Malheur à la peine perdue de l’homme !
Aujourd’hui nous sommes ensemble, demain nous serons séparés. Aujourd’hui nous nous réjouissons, nous exultons ; demain nous nous fâcherons, nous serons affligés. Aujourd’hui nous sommes vivants et nous chantons doucement ; demain nous mourrons et les vers nous mangerons.
Ah monde vain ! Ah homme trompeur !
Hier, j’avais beaucoup d’enfants et j’étais fier d’eux ; aujourd’hui je me retrouve seulement avec un seul à l’intérieur d’une humble caverne, je souffre et je soupire dans ma poitrine ; demain peut être feront-ils des liturgies commémoratives pour moi !
Vraiment, comme cette vie est vaine, mon fils ! Comme elle est fallacieuse et brève !
Voici à nouveau une année nouvelle ! Derechef des souhaits et des espoirs. Mais la mort nous attend cachée quelque part. Un jour, une nuit, sera la dernière de notre vie. C’est pourquoi bienheureux celui qui nuit et jour se souvient de la mort et se prépare à la rencontrer. Car il a l’habitude de venir joyeusement à la rencontre de ceux qui l’attendent, mais pour ceux qui ne l’attendent pas, il arrive amer et sévère.
Par conséquent, toi aussi mon fils, réfléchis à la fausseté, à la tromperie de ce monde trompeur, et avec l’aide de la divine grâce, prends garde de ne jamais pécher. Car ce monde faux pousse tout le monde à prendre son parti ; il s’il réussit à les prendre dans ses filets, il les aura avec lui pour toujours ! Car les hommes trompent et se trompent ; ils s’occupent de leurs affaires mortelles comme des mortels. Mais toi, jour et nuit, écoute la voix divine qui parle en toi : « N’aimez pas le monde, toute la tromperie du monde ; car elle passe rapidement et toutes ses joies sont passagères ; seul celui qui fait la volonté de Dieu demeure pour les siècles ».
Souviens toi quotidiennement que toi tu as été choisi pour passer cette vie comme un moine, et non pas comme quelqu’un du monde. Il y a assez de laïcs dans le monde.
Je me réjouis, si tu te réjouis ; je m’attriste, si tu t’affliges, mon bon fils ; je souffre, si tu souffres. Ne t’afflige pas outre mesure pour un rien. Laisse tout à Dieu. Il sait ce qui est utile à nos âmes mieux que nous. Avec le souci et les pensées, tu te fais plus de mal que de bien en te corrigeant toi-même. Les mauvaises actions du passé, ne sont corrigées que par le bon repentir et le changement de vie.
Réjouis-toi dans le Seigneur, et aie soin de passer le restant de ta vie dans le repentir.
Cinquante deuxième lettre :
Malheur à moi, petit misérable ! Quelle justification donnerai-je à l’heure du Jugement ?
Rejeton de mon âme, mon fils que j’ai engendré par l’Esprit Saint. J’ai reçu ta lettre, mon fils bien-aimé, et une fois que j’en ai pris conscience, j’ai pleuré amèrement. Tendant mes bras vers notre très doux Jésus – autant que j’ai pu – je me suis écrié avec un tendre amour : « Ouvre, mon doux souffle, Jésus mon Sauveur, ouvre les averses de ton Esprit divin ; et distille l’eau de ta grâce consolatrice dans l’âme de mon fils. Console et guéris son cœur, adoucis-le avec la douceur de tes divins et indicibles délices, dont il ne convient à aucune langue de parler. Envoie mon Jésus illuminateur, un rayon lumineux de tes divines connaissances, et illumine l’âme de mon fils avec la lumière de ton divin éclat ; pour qu’il se réjouisse et saute comme un cabri et oublie ses chagrins et le monde. Oui mon très doux parfum ; oui, mon souffle très parfumé ; oui, mon Christ bien-aimé ; aie compassion de ta créature et ne le laisse pas souffrir au delà de ses forces. »
Voilà ce que j’ai dit à notre Seigneur à ton sujet, mon très cher fils. Je parle et prie sincèrement, et non pas par habitude. J’ai tendu mes bras en ayant mal à l’âme et j’ai trempé le sol de mes larmes, en disant : « Accorde, mon doux souffle, Christ, ma vie ; donne ta grâce à ton serviteur et libére le des ennemis qui l’ont encerclés. Dissipe et transforme tout miraculeusement en parfum et sérénité, comme a l’habitude de la faire ta divine puissance qui conforte tout ; car tu es le secours et la puissance, la miséricorde et la compassion, et nous te rendons grâce, maintenant et pour les siècles sans fin. »
Voilà ce qu’a dit et fait, mon fils bien-aimé, ton humble père depuis la première lettre où tu m’as parlé de tes tourments. Voici que dans les souffrances psychiques que j’endurais à cause de toi, le panier nous est parvenu avec : « les pommes comme celles de S. Euphrosyne ». Et aussitôt, fouillant avec hâte, j’ai cherché ton mot pour apprendre les nouvelles de ton âme. Mais quand que tes souffrances n’étaient pas encore terminées, j’ai repris ma prière mentale. Et quand je mangerai les pommes, mon âme te bénira grandement, et soit béni par le Père, le Fils, et le Saint-Esprit ; par la seule, sainte, consubstantielle et indivisible Trinité, la seule source de tout bienfait et de toute bénédiction.
Tu m’écris que tu considères que tu projettes de faire une œuvre sainte. Eh bien, si tu la mènes à bien, grâce en soit rendu à Dieu, mais si tu en es empêché pour une raison ou une autre, ne sois pas triste. Tu la feras une autre fois, si c’est la volonté de Dieu.
Car beaucoup de choses sont entravées pour un temps, parce que leur heure n’est pas encore venue, parfois parce que les hommes leur font obstacle – Comme disent les Saints, les hommes ont le pouvoir d’entraver la volonté de Dieu pendant de nombreuses années – et parfois parce qu’ils sont complètement opposés à la volonté de Dieu. Il y a d’innombrables exemples de cela dans les vies des saints, comme ta Révérence l’a sûrement déjà lu, et comme tu l’as déjà appris par ta propre expérience.
C’est pourquoi, quelque soit la façon dont tourne la sphère de notre vie bien misérable, nous devons rester impassible ; et comme Atlas supporter les péripéties de ton existence, puisque, comme tu le dis, tu as été choisi pour être le berger de nombreuses brebis.
Moi au contraire, comme cela est prouvé, je ne suis bon qu’à garder les rochers, puisque étant privé de ce charisme, je suis indigne de la diaconie de la parole.
Malheur à moi l’humble et la misérable, si je ne médite pas une telle chose et si je ne reconnais pas les grâces de mon frère. Quelle excuse présenterai-je à l’heure du jugement ? Une ou deux fois ; séduit par des flatteries, j’ai essayé, mais j’ai complètement échoué. Et maintenant encore j’en supporte les conséquences.
Malheur à moi, l’humble petit vieux ! Comme je le suppose d’après les apparences, je suis allé deux fois contre la volonté de Dieu. De quel mot vais-je accabler ma misérable âme ? De quelle façon vais-je supplier mon Seigneur ? Quelle œuvre vais-je accomplir pour être agréable à mon Dieu ? Malheur à moi, misérable, ! Car les larmes font défaut à mes yeux ! Une nuit dense m’a saisi et je suis insensible aux louanges des Pères de ce lieu. Mais que le doux Jésus soit miséricordieux, par les prières des Saints Pères.
Je me suis écarté du sujet, mon Père, et j’ai été distrait par le souvenir des jours anciens. Pardonne-moi, Père ; mais, quoiqu’il en soit, je t’ai engendré par l’Esprit Saint.
Cinquante troisième lettre :
Ah mon enfant ! L’homme n’est jamais complètement mauvais.
J’ai souffert, mon bon fils, pour faire de toi un fils de Joseph le pécheur. Ensuite, j’ai eu beaucoup de peine, parce que tu m’as quitté. Mais récemment, j’ai à nouveau éprouvé beaucoup d’amour pour toi. Et j’erre ça et là en criant : « Mon fils ! Mon fils ! Ou es-tu ? Ou vas-tu mon enfant ? Pourquoi as-tu délaissé la petite charge de l’obéissance, en voulant te charger du lourd fardeau de Sisyphe ?
En me disant cela je restais tristement silencieux, laissant le reste au silence. Mais je me souviens de ta bonne diaconie[203] dont je manque maintenant, et j’oublie la boisson amère que tu m’as fais boire en me quittant.
Tu es venu, tu es repassé, mon fils, en disant que tu écrirais. Et en vérité j’ai attendu un petit mot de ta part. Mais encore une fois mon fils bien aimé s’est joué de moi, me suis-je dit. Il y a peu, notre bon diacre est venu en m’apportant une enveloppe. Avec une joie extrême, je l’ai ouvert pour voir ce que tu avais écrit, malheureusement au lieu de lettre, je n’ai trouvé à l’intérieur qu’une muselière, le chiffre 500, comme pour dire : « Mange et tais-toi ! » Même cela est bien, et vraiment je te remercie beaucoup. Mais rien ne vaut une petite lettre de toi !
Ah mon enfant ! L’homme n’est jamais complètement mauvais. Il a ses bons côtés. Au souvenir de ses bon côtés on prie pour lui, on est ému, ton âme souffre, on supplie Dieu pour lui. Quant à ses mauvais côtés, ce n’est pas lui qui en est le responsable, mais notre ennemi le diable. C’est pourquoi ne sois pas triste, mon enfant, ne te souviens plus du passé. Tout cela est passé. J’ai dû en affronter de pires, à côté desquels les tiens m’ont fait l’effet d’un parfum.
Depuis lors, je souffre et je prie davantage pour toi. Donc, ne sois pas triste. Nous ne sommes que des hommes et des rejetons de la transgression, ayant comme fondement le péché ancestral. C’est pour cette raison que le Seigneur nous témoignera sa condescendance et qu’il pardonne tout lorsque nous nous repentons.
Toi n’oublie pas les conversations spirituelles nocturnes que nous avions quand tu venais dans ma pauvre cabane ; les jeûnes joyeux, les jours gras, la tranquillité et le silence, la prière continuelle, la fragrance pleine de componction des lys de notre humble désert ; notre bien-aimé Ancien Arsène, qui te faisait un dessert et qui te taquinait joyeusement. Voilà ce dont tu dois te souvenir. Laisse de côté ce qui concerne ton départ, car cela va te causer de l’amertume. Ce que tu traverses maintenant suffit.
J’oubliais de te dire que je viens de construire une petite cabane à part, un peu plus loin, elle n’est pas encore terminée, et provisoirement je demeure à côté dans une petite grotte. Je l’ai fait parce que nous discutions le soir avec le P. Arsène et cela me gâchait ma tranquillité (hésychia), désormais j’ai une extraordinaire tranquillité.
Je suis le plus heureux des hommes. Car je vis libre de tout souci, je jouis du miel de la quiétude (hésychia) sans aucune interruption. Et lorsque la grâce se retire, la quiétude (hésychia) comme une autre grâce m’abrite sur son sein. Les souffrances et les chagrins de cette vie mauvaise et pénible semblent diminuer. Car les peines et les joies alternent dans notre vie présente jusqu’à notre dernier souffle.
C’est pourquoi Philippe de Macédoine, comme on le raconte, lorsque trois nouvelles pleines de joie et d’honneur lui sont parvenues en même temps, enleva son anneau – d’une grande valeur – et le jeta dans la mer ; afin de tempérer par la perte de son anneau l’excès de joie :» Au cas où je ne serais pas capable de supporter les nombreuses afflictions qui pourraient m’arriver en même temps »
Tu vois, mon enfant, Que, bien qu’ils manquent de grâce, la vérité des choses les a rendus suffisamment sages pour qu’ils mettent à profit les circonstances[204]et vivent avec modération ?
Mais à plus forte raison, nous les Chrétiens parfaits[205], qui avons goûté abondamment aux dons du Christ, devons vivre dans la pensée de Dieu ; mettant à profit l’instant et supportant avec constance tout les chagrins de notre vie provisoire ?
Oui, mon enfant. Car tant que nous vivons, cette vie n’a pas de repos. Elle est pétrie de souffrances. Tout est mélangé ; et bienheureux celui qui a la sagesse de tirer profit de tout ce qu’il rencontre.
De plus, ce qui nous semble mauvais, c’est cela qui nous laisse dans l’âme le plus de fruit, lorsqu’elle les endure sans se plaindre.
De toute façon il est remarquable de constater à quel point, changent, varient, toutes les vaines affaires de cette vaine vie présente. Et en un instant, les premiers deviennent les derniers et les derniers, les premiers.
Cinquante quatrième lettre :
Les combats du désert sont une chose ; ceux du monde sont tout aussi nombreux mais différents.
Tu vois que toi aussi tu as appris de l’expérience que, où que nous soyons, il faut beaucoup de patience.
Les combats du désert sont une chose ; ceux du monde sont tout aussi nombreux mais différents.
Donc sois courageux. Et dans la mesure où tu as choisis ce fardeau, porte le avec crainte de Dieu.
Et crois bien, mon fils, que je vais rassembler mes forces affaiblies et mortifiées par les souffrances, pour supplier Dieu que tu ne pâtisses d’aucun des maux que projettent sottement les ennemis de notre foi. Mais s’il a été écrit au ciel que tu dois traverser des épreuves pour le bien de ton âme, je supplie Dieu qu’il te donne une âme courageuse et patiente.
N’aie pas peur. Les francs-maçons font beaucoup de projets et veulent faire beaucoup de choses, mais seulement si le Seigneur de l’univers le leur permet. Sans sa volonté, ainsi qu’il l’a dit : « Ni un cheveu, ni une feuille ne tombent[206] ». Il déjouera leurs projets[207]. Pour l’instant cela nous suffit, et pour plus tard que Dieu y pense, lui qui nous maintient en vie.
Que tes entreprises commencent à partir de Dieu et se terminent en Dieu, et ne crains pas les tentations que tu as mentionnées, car, avec la grâce de Dieu, elles se dissiperont comme la fumée.
Quant à la tentation dont tu parles, je pense que c’est la vérité, pour que le démon t’éprouve ainsi, cela signifie que quelque chose de bien est entrain de se produire qui le dérange. Mais tu gagnes aussi beaucoup à être tenté. En plus de la récompense pour ta patience, tu deviens quelqu’un d’expérimenté[208], et tu en apprends sur les hommes. Si une pierre n’en heurte pas une autre, elle ne fait pas d’étincelle ; un homme inexpérimenté est sans valeur.
Tu as appris beaucoup de choses quand tu étais ici ; et tu apprends beaucoup maintenant là où tu es. Mais sois prudent désormais, et avance avec circonspection : « Comprends qu’elle est la volonté du Seigneur, car les jours sont mauvais [209]». Apprends à tirer parti de l’occasion[210] et des circonstances.
La tentation de maintenant passera, mais une autre viendra derechef ; car l’ennemi ne connaît pas le repos. Ne sais-tu pas ce qu’il a dit à Dieu, lorsqu’il l’a interrogé sur Job[211] ? Il en est de même pour chacun de nous. La tentation qui vient est à la mesure de chacun. Mais il faut que tu sois patient pour en sortir en vainqueur. Le Christ, ordonnateur du combat, autorise les tentations pour que nous soyons vainqueurs de l’ennemi, pour que nous soyons purgés des passions, et devenions parfaits.
Donc, combat et patience, ne sois pas fatigué, ne rebrousse pas chemin. Quand tu vois que tu es fatigué, fais un voyage jusqu’ici et repose-toi. Reprends des forces, et retourne derechef combattre. Car le combat dure jusqu’à la fin de la vie, et le tentateur est à côté de toi, où que tu te trouves, où que tu te tiennes.
Tu as cru qu’en partant d’ici, la pression de la guerre spirituelle cesserait. Mais maintenant tu réalises vraiment qu’il n’existe pas de lieu sans tentation. Il est profitable à l’homme de vaincre là où on le combat ; pour causer au diable du chagrin et de la honte, mais de la joie et de la gloire à Dieu.
Cinquante cinquième lettre :
Enseigne à tous à prier, à dire sans cesse la Prière.
Mon fils, mon Père béni, que la miséricorde, l’illumination, la paix, l’amour de Dieu, et l’abondance de la grâce de Dieu soit sur ta noble âme.
Puisse le Seigneur t’envoyer un bon ange pour diriger tes pas dans la voie de la paix selon sa sainte volonté. Mon fils véritablement bien-aimé, qui a gagné mon amour par ses nobles sentiments. Puisse Dieu faire grâce, à ton âme embrasée, de l’éclat de sa splendeur. Puisse la sainte protection de notre très douce reine, Vierge pure et Mère de Dieu te protéger comme Moïse, ainsi que tous tes enfants ; comme ce que vit le divin André fou pour le Christ à Constantinople. Que notre doux Jésus fasse briller ton esprit et ton cœur de son saint sceau, ainsi que chacune de tes œuvres aimées de Dieu, afin que l’ennemi n’y trouve rien à piller. Qu’il récompense, bénisse et couronne lors de sa parousie chacune de tes bonnes actions de son amour. Puisse-t-il enrichir tous tes enfants de l’abondance de ses dons et de sa grâce céleste ; et puissent-ils devenir des fleurs odoriférantes du Paradis, en sorte qu’à leur vue tu te réjouiras en ce jour-là.
Moi aussi je me réjouis, en vous voyant tous, telles des fleurs revêtus du parfum des bonnes actions, alors que je suis privé de tout bien. C’est pour moi une joie, une jubilation et une richesse dans ma pauvreté, un grand sujet d’orgueil que d’être le père d’un bon fils et le grand-père de nombreux petits-enfants. Ainsi, par vos œuvres spirituelles, le Père est glorifié, le Fils se réjouit et le Saint-Esprit exulte. Mon extraordinaire gratitude monte de toute part jusqu’au septième ciel, et en premier lieu mes prières en témoignent. Je t’en prie, envoie moi les noms de ceux qui font partie de ta communauté, que je prie pour eux au moins une fois. Et enseigne à tous à prier mentalement, en disant sans cesse la prière : « Seigneur Jésus-Christ aie pitié de moi. » Au début, avec les lèvres et l’esprit (noûs), ensuite avec l’esprit et le cœur. Alors ils trouveront rapidement le chemin de la vie, porte du Paradis ; ou plutôt lorsque cette prière est dite avec flamme elle deviendra comme un Paradis en eux.
La prière du cœur n’est pas susceptible d’erreur, sauf si quelqu’un est passionné, et de lui-même déjà dans l’erreur. Lors de la prière du cœur, dès que l’esprit (noûs) entre dans le cœur, immédiatement son obscurité est dissipée, aussitôt il s’apaise et devient serein ; il est joyeux, il s’adoucit, il s’arrête ; il est purifié. Il se réjouit et devient tel un petit enfant dépourvu de passion. Les membres du corps qui d’habitude sont des objets de chute pour l’homme, deviennent alors paisibles, humbles, comme la main, le nez et les autres membres du corps.
C’est pourquoi, que celui qui le veut goûte à ce miel qui deviendra en lui une source de joie et de délectation, à moins que l’on soit mauvais, hypocrite, envieux, avare, sensuel, ambitieux, passionné en général, et voulant dire prier tout en demeurant volontairement avec ses passions, inamovible, incorrigible. Un tel homme méprise manifestement l’action de la prière et la miséricorde de Dieu. La prière aide tout le monde, mais il faut que chacun combatte selon sa capacité. Dieu donne sa grâce selon le libre choix (proairesis) de chacun. Si quelqu’un dit la prière sans se repentir, soit la prière cessera, soit l’orant sera dans l’erreur.
Les femmes surtout progressent très facilement dans la prière, en raison de leur abnégation et de l’obéissance dont elles font preuves à l’égard de leur guide spirituel. Mais, plus on progresse rapidement, plus on s’égare facilement, si on avance étourdiment et sans précaution.
Il ne faut pas seulement prier mais aussi faire attention (prosoché)[212]. Il faut veiller sur ses pensées, pour les gouverner avec beaucoup d’habileté, sinon ce sont elles qui te dirigeront et finalement tu deviendras la risée des démons.
Je n’ai jamais vu d’âme orante progresser sans une franche confession des pensées secrètes.
Veux-tu mon enfant écraser la tête du serpent ? Dis franchement tes pensées lors de la confession. La puissance du diable se trouve au sein des pensées perverses. Tu les contrôles ? Il se cache. Tu les révèles en pleine lumière ? Il disparaît. Alors le Christ se réjouit, la prière progresse et la lumière de la grâce guérit et apporte la paix à ton esprit (noûs) et à ton cœur.
Donc, mon Père, la femme dont tu me parles est une âme sainte. Mais aie soin de lui expliquer ce que je vais t’écrire dorénavant, pour qu’elle soit vigilante. Car l’ennemi ne dort pas, mais il hait l’homme, et déploie tous ses artifices pour l’induire en erreur.
Comme cette femme souffre un tel martyre à cause de son mari, Dieu la console ainsi et la réconforte avec diverses visions. Mais il ne faut pas qu’elle les considère comme étant la principale puissance de l’âme, car le malin en s’entremettant va la convertir à lui rapidement.
La principale puissance de la « prière » et de toute la capacité appétitive de l’âme se tient dans la purification du cœur au moyen de la prière mentale. Que dit le seigneur ? : « Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu ». Il ne dit pas : « Heureux ceux qui voient des visions, des visions nocturnes, des révélations. C’est pourquoi, il ne faut pas qu’elle s’en réjouisse, même si elles viennent de Dieu, qu’elle se réjouisse plutôt lorsqu’elle se rend compte que son esprit (noûs) a trouvé son cœur et demeure en lui.
Alors tout son corps est en paix, l’âme est sereine, le cœur tressaille, l’esprit (noûs) rend limpide toutes ses facultés, les larmes coulent à flots. Le malin peut tout transformer, mais il ne peut pas imiter ce dont je parle maintenant. Et en outre, quand elle voit quelque chose, qu’elle ne le dise à personne sauf à son Ancien et à son Père spirituel ; à personne d’autre.
Cela se produit maintenant parce qu’elle souffre et qu’elle a une grande simplicité et crainte de Dieu. Mais ces choses ne demeurent pas jusqu’à la fin. Mais le mauvais les transforme lorsqu’il en trouve le moyen, et par la suite elles se transforment en erreurs. C’est pourquoi il faut beaucoup d’attention et d’humilité. Qu’elle se pense comme étant un vers de terre, et qu’elle ne tienne pour vrai que ce que son Père spirituel lui dira. Car si elle commence à y adhérer, sous peu sa pensée sera malade, et elle finira par tenir toutes les pensées démoniaques et insensées, comme véridiques et envoyées par Dieu.
Et quel est le résultat de tout cela ? L’homme devient le jouet des démons. Ils se jouent de lui avec des écrits et des visions, des visions nocturnes et des révélations, des symboles et des nombres, des préjugés et des oracles et un tas de superstitions. Que Dieu la protège d’un tel retournement. C’est pourquoi, mon Père, veille à ce que ta Révérence la maintienne toujours dans l’humilité, de peur que ses pensées changent et qu’elle devienne orgueilleuse.
Quant au frère qui dit la Prière, veille à le guider correctement en fonction de ce que nous disons maintenant pour qu’il corrige ce dont il souffre. D’autres moines ici en ont déjà souffert. Cette activité n’est pas que grâce. C’est du zèle, du sang, de la puissance, des démons, des passions, du désir, de l’arrogance, et de l’amour ; tout cela mélangé. Il faut donc mettre chaque chose à sa place, et alors tout ira bien.
Tout d’abord, il faut commencer par un jeûne rigoureux. Pour que le sang s’affine, et que s’humilie le cœur d’où jaillit la sensualité indécente. Il faut aussi qu’il s’oblige à d’autres combats nocturnes, qui aident la prière. Ensuite, il faut qu’il fasse attention à son esprit (noûs), pour qu’il ne s’en aille pas au-dessous du cœur, en dessous du ventre. Qu’il ne s’imagine pas différentes choses, mais qu’il le maintienne immobile au sommet du cœur. Il ne doit pas respirer souvent, mais qu’il dise environ cinq prières ou plus à chaque respiration. S’il ressent une incitation de la chair, qu’il retienne son souffle, et qu’il se tienne debout tant qu’il le peut. Et s’il ressent un afflux de plaisir dans son cœur, qu’il l’en empêche, qu’il ne le recherche pas, mais qu’il l’ait en aversion.
Quand la grâce viendra, alors toutes les instigations du malin cesseront, car elle les abroge.
Elle vient comme une brise légère, comme la fragrance d’un souffle très subtil, qui en premier lieu nécrose la chair et ressuscite l’âme, elle illumine notre esprit (noûs), et finalement lorsqu’elle est venue, c’est elle qui enseigne l’homme.
Lis ma lettre à ta communauté, pour qu’ils écoutent et apprennent l’humilité. Car il y en a quelques une qui courent de façon débridée, sans mesure ou discernement. C’est comme cela que je vois les choses d’ici et c’est ainsi que je suis informé intérieurement.
L’homme ne doit pas seulement courir, mais compter aussi les mètres. Il ne doit pas non plus rester en arrière par négligence, il me semble que quelques-uns sont devenus paresseux. Occupe-toi d’eux pour qu’ils remplissent leurs devoirs, car chaque jour à sa dette avec sa créance propre. Ainsi qu’ils fassent un nouveau départ, qu’ils s’obligent eux-mêmes à prier. Qu’ils recueillent leur esprit et qu’ils le conservent dans leur cœur, et qu’ils disent tout doucement la Prière. Quant à nous, nous prions pour qu’ils obtiennent rapidement la miséricorde du Seigneur.
Dis leur, tout d’abord de descendre avec leur souffle leur esprit (noûs) dans leur cœur. Puis, le souffle, avec la prière, inspire expire, l’esprit reste à l’intérieur. Qu’il y soit maintenu par la force. Qu’on ne lui permette pas de sortir. Et lorsqu’il y est maintenu une fois, alors se produit la rencontre de deux amants déchaînés, qui ne sont pas rencontrés depuis des années. Amour, joie, et délices célestes. Mais il faut beaucoup de peine et de sueur au début.
Cinquante sixième lettre :
Celui qui a créé les siècles, et qui exista avant les siècles, et qui a créé dans un profond silence les puissances célestes des saints anges.
Le Christ est né pour sauver tout le monde. Réjouissez-vous donc et exultez avec les anges et les bergers et toute la création, enfants bien-aimés de Jésus…
Tout d’abord, comme les Mages, je vous apporte la magnifique nouvelle ; notre doux Jésus est né et toute la création exulte et embaume, car elle voit son Créateur porté dans les bras de la Mère de Dieu. Les anges exultent avec elle et chantent mélodieusement : « Gloire à Dieu aux plus haut des cieux et paix sur la terre [213]! » Car Dieu, le Prince de la paix est né. Celui qui a fait les siècles, et qui exista avant les siècles, et qui a créé dans un profond silence les puissances célestes des saints anges. Celui-ci est porté aujourd’hui sur le sein de sa très douce Mère. Il est allaité et réchauffé pour tous nous sauver.
Le Christ est né pour nous faire renaître. Il s’est fait homme, pour nous indiquer la façon par laquelle nous devons le suivre et imiter ses actions. Il nous a laissé des commandements, pour que nous n’errions pas sur une voie impraticable en marchant dans les ténèbres.
Notre doux Christ a pris chair pour que nous mangions et jouissions de sa bienheureuse parenté ; pour que nous devenions des frères de notre Christ et des enfants de sa Mère toute immaculée et finalement pour que nous devenions en tout semblables au Christ et enfants selon la grâce de son Père céleste.
Examinons-nous donc chacun en particulier, jeunes et vieux, humbles ou riches ; examinons chaque parole que nous allons dire, à chacun de nos pas, à chaque instant de la nuit et du jour de peur que nous fassions, disions ou pensions quelque chose qui ne plaît pas au Christ.
En sommes-nous toujours dignes, lorsque nous nous approchons pour communier au Christ ? Marchons-nous en l’imitant ? Le doux Jésus demeure-t-il en nous ? A-t-il trouvé place dans notre cœur pure, ou est-il parti tout de suite ?
Voilà tout ce qu’un vrai Chrétien doit examiner à chaque instant ; surtout celui qui marche sur la voie étroite et resserrée de notre Seigneur[214]pour atteindre la perfection, comme vous, enfants bien-aimés de mon aimable et bon fils, qui a tant souffert et qui a perdu sa santé pour que vous puissiez trouver votre joie et votre santé spirituelles.
Car, chaque pasteur de brebis conforme au Verbe doit se sacrifier lui-même pour son troupeau[215], à l’imitation de son Christ maître, qui est venu pour donner son âme en rançon pour la multitude[216].
Veillez donc, avec beaucoup d’amour mutuel, une conscience pure, une âme dolente, dans l’amour du Christ, de lui témoigner une obéissance parfaite ; pour que le Christ se délasse, et que votre Père ni ne soupire ni ne gémisse, lui qui prend soin de vous et recherche l’intérêt de tous.
Abandonnez votre volonté propre, car c’est la mort de l’âme de l’homme. Que chacun couvre les manquements de l’autre et le Christ les vôtres.
Car si tu exiges de ton frère justice, tu te trouves aussitôt confronté à Dieu, qui t’a supporté toi, pécheur. Alors que désormais, il t’a éveillé de sa grâce, toi tu ne veux pas supporter ton frère malade. Où est donc ta justice ? Qu’adviendrait-il si le Christ devait te retirer sa grâce en te demandant les dix mille talents que tu lui dois[217] ? Qu’as-tu, homme ingrat, que tu n’aies pas reçu ? Et si tu as reçu, pourquoi te vanter devant tout un chacun comme si, soi-disant, tu n’avais pas reçu[218] ?
Dis toi : « Si tu te tiens debout, mon âme, c’est parce que la grâce te porte ; et si mon frère tombe, c’est parce la grâce est absente. » Remercie donc Dieu, et ne t’approprie pas ce qui n’est pas à toi. Car alors il va te retirer sa grâce et la donner à l’autre, et alors toi tu vas chuter et ton prochain va se relever. Alors tu comprendras ton erreur, mais ce sera trop tard.
Ainsi quiconque parmi vous réclame justice, qu’il sache qu’elle consiste en cela : supporter le poids de son frère jusqu’à son dernier souffle, et témoigner d’une obéissance parfaite pour son guide. Ce n’est que par l’amour qu’un malade est édifié.
Et lorsque votre Père spirituel voit votre concorde et votre amour, il a de la joie et donne de la joie. Mais lorsqu’il voit des discordes et des disputes, sa santé est ébranlée et sa mort survient prématurément, alors vous restez orphelins.
Je prie pour vous de toute mon âme, pour vous tous mes petits-enfants bien aimés.
L’humble P. Joseph.
Cinquante septième lettre :
Les beaux rochers tels des théologiens silencieux théologisent ainsi que toute la nature
Mon Père. Je t’ai envoyé cette petite lettre avant de lire la tienne, car on a dû se dépêcher pour arriver à temps à Daphni. Puis, j’ai été très ému en lisant que tu te souviens des beaux rochers, si insouciants et si tranquilles !
Quant à moi, après la longue lettre que je t’ai envoyée au sujet des démons, j’ai ressenti un changement à ton égard. Beaucoup d’amour ! Souvent ta silhouette a voleté dans mon imagination. Souvent je t’ai embrassé mentalement et je me suis demandé : « Que signifie donc cela ? » Et je me suis dis : « Soit mon bon fils se préoccupe beaucoup de nous, pour nous réconforter, soit quelque chose d’autre lui est arrivé ». Maintenant que j’ai vu ta petite lettre et la « compagnie » dont tu t’es occupé, j’ai compris que c’était ça. Et j’ai admiré les consolations mentales et les mouvements de certitudes intérieures de Dieu très sage. Comme il nous informe rapidement lorsque quelqu’un change ! Un lien spirituel, une communication invisible ; un échange d’affection, une certitude intérieure de Dieu. Rien n’est plus doux et ne rend plus gai que de comprendre les mouvements divins.
Viens donc, mon fils bien-aimé. Viens maintenant ne serait-ce que pour un jour. Que nous parlions de Dieu, que nous théologisions, que tu goûtes ce dont tu as la nostalgie. Que tu écoutes les rochers sauvages, théologiens mystiques et silencieux développer des arguments profonds qui conduisent le cœur et l’esprit vers le Créateur. Après le printemps le temps est beau ici, depuis la sainte fête de Pâques, jusqu’à celle de la Toute Sainte en août. Les beaux rochers, théologiens silencieux, théologisent, ainsi que toute la nature. Chacun avec sa voix propre ou son silence. Dès que tu approches la main d’un petit brin d’herbe, il s’écrie aussitôt très fort avec son parfum naturel : « Aïe ! Tu ne m’as pas vu, mais tu m’as frappé ! » Et ainsi de suite, chaque chose a sa voix, en sorte que lorsque souffle le vent, leurs mouvements produisent une harmonieuse doxologie pour Dieu. Que dire de plus au sujet des reptiles et des oiseaux ailés ? Lorsque ce saint envoya son disciple pour dire aux grenouilles de se taire pour qu’ils puissent lire l’office de minuit, elles lui répondirent : « Prenez patience, nous sommes en train de terminer les matines ! »
Voilà, parmi d’autres, ce que le désert a et ce dont tu as la nostalgie. Quand tu le veux, viens avec un ou deux membres de ta communauté.
Pour te dire la vérité, j’ai attendu ces derniers jours que tu viennes séjourner un peu ici pour te reposer. Je t’aurais dit de plus de séjourner dans cette cellule qui est notre pour que tu aies un calme absolu. Mais comme tu n’es pas venu, nous attendrons une autre occasion, en été.
Pour ton bien-être reste un peu cet été. Le repos et le calme contribuent beaucoup à la double constitution de l’homme. Tu vois que durant ces mauvaises années tu nous as été aussi très utile. J’ai besoin que tu restes en vie tant que je vivrai. Lorsque je mourrai, alors si tu le veux, suis-moi, nous irons ensemble là où le doux Jésus nous fera reposer, dans ses biens éternels. Nous nous congratulerons sans cesse avec notre douce Mère, le très doux parfum de chaque souffle des Chrétiens ; nous nous délecterons avec les Saints et les Anges.
Je ne vais pas très bien. J’ai ce leucome et je suis sans cesse entièrement gonflé, et il me vient comme une défaillance. Peut-être n’ai-je plus que quelques jours. Je supplie Dieu de me prendre pour que je me repose ; je suis fatigué de la vie. Si je meurs, ne m’oublie pas dans ta Liturgie. Et moi je vais prier à partir de maintenant davantage pour toi, si je trouve plus de tranquillité !
Cinquante-huitième lettre :
Pendant que le prêtre encensait…
Mon Père bénit et bien-aimé. Il s’est écoulé du temps sans que je reçoive de lettre de toi ou d’un de tes enfants spirituels. Que notre Toute Sainte vous protège de tout mal, et de toute embûche de l’adversaire.
Voici que le saint Carême arrive pour nous alléger l’esprit et le corps. Je prie donc pour que nous le passions tous en en bonne santé et, qu’avec la grâce du Dieu saint, nous atteignons aussi la sainte Pâques. Mais il faut d’avantage combattre et beaucoup prier.
Dans la dernière lettre que je t’ai envoyée je ne t’ai pas expliqué du tout le sens que j’ai donné à la sensation de ta présence mentale et spirituelle ; c’est pourquoi je te l’explique maintenant :
Puisque ta Révérence a pris soin de nous réconforter avec un amour parfait plus que toute autre fois, et puisque ton esprit était, comme tu l’écrit, dans les rochers du désert, ton visage flottait constamment mentalement dans mon esprit (noûs) avec beaucoup de joie et d’amour.
Et cela me rappela ce prêtre ou plutôt ce saint qui voyait une vision lorsque le prêtre encensait. Les uns étaient assis dans leurs stalles et il ne les encensait pas, d’autres étaient absents en raison de leur diaconie, et leur stalle vide, et il les encensait parce que leur esprit (noûs) était dans l’église ; alors que les autres, qui pensaient à des choses du monde, n’étaient pas là.
Il m’arriva aussi quelque chose de semblable un jour avec la défunte Théodora, quand elle vivait, je ressentais sensiblement sa respiration à côté de moi, alors que j’étais sur la Sainte Montagne et elle dans le monde.
Cinquante-neuvième lettre :
Nous utiliserons le mode plagal du premier ton qui est joyeux.
Mon Pére, je souhaite que ma présente lettre te trouve en bonne santé. Nous, par la grâce de Dieu, allons modérément bien.
Nous avons reçu ta lettre ainsi que la photographie, qui m’a beaucoup touché. Cela fait bien longtemps que nous n’avons pas eu de lettre de toi, et ce fut comme si nous recevions des nouvelles de l’autre monde. C’est ainsi que cela m’est apparu, parce que aussi tu te trouves si loin. Je ne sais comment tu t’es retrouvé là-bas, mais que Dieu ne t’abandonne pas. Qu’il se souvienne de ton labeur de novice, du zèle de ton ascèse de jeunesse et qu’il étende sa miséricorde et sa commisération sur ton repentir.
Je ne t’ai jamais oublié, je ne t’ai pas non plus effacé de la « liste commémorative » de la Liturgie. Car tu es mon enfant, et quoique fasse un enfant, son père de son côté l’aime, même s’il l’a momentanément attristé.
La raison pour laquelle j’ai gardé le silence, et que je ne t’ai pas écrit est la suivante : parce que tu m’as forcé à te radier, et je ne voulais pas le faire, je voulais que tu sois un moine athonite, finalement, pour ne pas désobéir, je l’ai fait, sans en porter la responsabilité, puisque tu en avais assumé la charge. Et vois comme tout cela a mal tourné. En l’espace d’un mois tu m’as demandé de te réinscrire. Tu insistais à un moment où ce n’était plus possible. Il aurait fallu avoir recours à un tas de mensonges. Et moi je craignais d’accabler mon âme. C’est pourquoi, pour éviter ce poids, j’ai tristement choisi le silence.
Mais désormais, tout est passé et moi je me souviens toujours de toi, je t’aime, j’ai pitié de toi. Je n’oublie pas ta bonté. Mais si mon âme doit être lésé je ne suis pas d’accord. Car Dieu est de beaucoup supérieur à l’amour humain.
Même si on devait m’offrir tous les trésors du monde, si je n’ai pas la ferme certitude intérieure qu’une chose est selon Dieu, je ne la ferai au grand jamais. Comme jour et nuit je cherche à réaliser la volonté de Dieu, comment pourrais-je la transgresser ? C’est pourquoi ne dis pas que je ne t’aime pas, mais que Dieu n’est pas d’accord avec ta pensée.
Tu me parles de tes afflictions. Je suis informé intérieurement, sans que tu aies à me l’écrire, que tu souffres beaucoup. Je te vois comme dans l’obscurité lutter avec la bête dans un labyrinthe tout en ignorant ce que tu fais. Et moi, telle une nouvelle Ariane, je te donne le fil pour que tu puisses sortir. Je t’ouvre la porte et avec une affection paternelle inaltérée, je t’invite à revenir.
Viens mon enfant ; viens que nous fassions la paix,, et qu’ainsi tu retrouves tes esprits. Tel un médecin, je peux guérir la passion de l’agitation et de la tristesse, qui te possède durablement. Viens, que je change de disque. Je vais mettre le mode plagal du premier ton qui est joyeux, je vais égorger le veau gras[219] pour que nous célébrions des réjouissances. Je suis plein d’amour et de pardon. Comme un père affectueux, je veux te serrer sur mon sein comme le fils de la parabole[220]. J’embrasserai ta bouche qui a peut-être mal parlé, pour qu’elle soit bénie et dorénavant parle décemment, et désormais ne juge plus personne. Je suis rassasié de tout cela, et peu m’importe ce que l’on me dira, cela m’est égal. D’ailleurs nous ne sommes que des hommes. Toi tu vois les choses d’une façon, moi d’une autre. Il suffit que nous voyons en Dieu. Je ne ressens humblement pas que je t’ai chagriné ou importuné, ni qui que ce soit d’autre, avec le virage que j’ai pris en faveur des monastères[221].
Ne crois pas tout ce que tu entends. La vérité est une chose précieuse qui ne se trouve pas dans le discours de tout un chacun. Chacun s’exprime selon la façon dont il vit. Sache selon la manière de vivre, discerner la vérité de ce qui est dit. Comprends ce que je dis.
Tu sais que je ne parle pas plus qu’il ne convient. Ce que j’ai à dire, je le dis en face, car j’aime ton âme plus que tout et je veux ton salut. Voici qu’en achetant des raisins pour faire du vin, je n’ai pas manqué cette année aussi d’accomplir ta « diaconie[222] », en me disant : « Quand mon fils viendra, il trouvera prête la coupe de ma tendresse et de mon affection paternelle. »
Porte-toi bien, mon fils bien-aimé, et je te supplie : tant que tu te trouves au loin, fais attention ! Fais attention ! Fais attention ! Ne te perds pas mon Père ! N’oublie pas pourquoi tu es devenu moine.
Il y a deux jours, un Père Valaque est mort ici à Lakoskiti. Il est ressuscité au moment où on allait l’enterrer ; et il a dit qu’il revenait de l’enfer où il avait été condamné, parce qu’il s’enivrait pendant sa vie. « Alors » leur dit-il « Faites attention de ne pas y aller vous aussi », et il mourut sur le coup aussitôt après et on le mit en terre.
Par conséquent, mon fils, mon fils Absalon[223], écoute ma voix paternelle, fuis comme un chevreuil, et sauve-toi d’entre les pièges, prends garde de ne pas être pris par les tentacules du péché. Car surtout, comme tu le sais, mon âme t’a aimé vraiment, et de tout mon cœur, je t’en supplie ardemment par ton âme immortelle. Prends soin d’elle, pour ne pas pleurer inutilement à l’heure de ta mort.
Je te couvre de baisers comme mon fils et je prie pour toi comme mon bien-aimé. Je t’ai revêtu de la pourpre du repentir et j’ai mis un anneau à ton bras[224]. Veille à pénétrer dans la chambre nuptiale, et de ne pas pleurer amèrement à l’extérieur[225].
Ton Père et intercesseur, Joseph pécheur.
Soixantième lettre :
Donc dès maintenant veille à pouvoir aussi faire marche arrière.
Que Dieu te prenne en miséricorde, mon Père bénit ; j’espère que tu vas bien. J’espère que la présente lettre te trouvera en bonne santé.
J’ai reçu, mon fils, ta lettre et j’en ai été très ému, car cela fait longtemps que je n’ai pas eu de tes nouvelles. Je t’ai envoyé aussi une autre lettre, mais je suis désolé, il semble que tu ne l’as pas reçue.
J’ai été gravement malade à cause d’un furoncle au cou, je n’y ai pas prêté attention, le laissant à Dieu. Et en peu de temps il m’a conduit aux portes de la mort. Car tout le côté gauche de mon corps en fut infecté, et la mort imminente. Je me suis mis à délirer, à ne plus reconnaître les membres de la communauté. Ils se sont tous mis à pleurer, à crier que l’on fasse venir un médecin. J’ai eu pitié d’eux et j’ai laissé leur volonté s’accomplir.
Ainsi commencèrent les piqûres, les médicaments, les médecins. Deux médecins de l’extérieur et Artème. Et finalement, avec l’aide de Dieu, ils m’ont fait revenir. Cinquante piqûres et en plus d’autres injections de fortifiants. Sept incisions sur toute la cuisse jusqu’en bas. Le sang a coulé comme d’un robinet. J’ai dû me changer six fois par jour. Cinq mois d’immobilité ; ils me retournaient dans le drap. Nous avons consommé tout le coton de Daphni. Une grande plaie ! Ils ont retiré le pus du cou avec une tasse. Un citron pouvait tenir dans le trou. Et maintenant encore j’ai mal dans toute cette zone.
Ce fut une grande épreuve. Je rends grandement grâce à Dieu, de ce qu’il m’a témoigné son grand amour. Que le nom du seigneur soit loué.
La sœur que tu connais fut ma seule aide dans le monde. Elle m’a souvent envoyé tout ce qu’il fallait pour ma maladie comme une mère. La Toute Sainte lui remboursera conformément à la dette, le salaire de l’amour.
Je vais bien maintenant, je peux me tenir debout. Je marche avec des cannes. Je fais la cuisine à nouveau comme avant.
Mais maintenant, mon fils bien-aimé, parlons de toi.
J’ai pleuré en lisant ta lettre. Je me suis souvenu des jours d’autrefois, et j’ai médité de nuit avec mon cœur. Hélas ! Hélas ! Hélas ! Rejeton de mon âme ! Te souviens-tu que lorsque tu es parti tu as dit que tous t’avaient donné leur bénédiction pour que tu sortes du Mont Athos et que tu reviennes huit jours plus tard ? Et tu étais triste parce que j’étais le seul à ne pas être d’accord ? Mais moi je t’ai dit que ce que tu disais ne se réaliserait pas, et qu’une fois que tu serais là-bas, tu ne respecterais pas ta promesse de revenir ici ? Tu vois, je suis plus pratique[226] que tout le monde, de fait ne t’es-tu pas éloigné au lieu de revenir ?
Même maintenant veille à nouveau à revenir pour désormais te reposer ici à côté de nous, il y a beaucoup de petites cabanes, près de tes frères, ils veilleront sur toi car ils t’aiment. Et, à ma mort, je verrai près de moi. Toi aussi laisse tes os sur la Sainte Montagne. Sans les errements qui t’ont fait sortir de ton Repentir[227] et t’ont livré à la tourmente de l’océan amer du monde.
Désormais, je ne veux pas d’autre secours de ta part, si ce n’est que tu veilles à venir ; à revenir une autre fois dans le verger de la Toute-Sainte[228].
Je te remercie ; je te remercie beaucoup pour tout.
Nous ici, par la grâce du Christ, nous nous portons bien. Avec les divines Liturgies, nous joignons les deux bouts. Les gens nous envoient des dons et des noms pour quarante liturgies et nous les faisons et nous faisons en plus un peu d’artisanat. Le jeune prêtre est malade. Joseph est « supérieur » de la skite cette année, il s’occupe des visiteurs ; il ne nous est d’aucune aide. Athanase vit seul dans une cabane. Le Père Charalambos fait quelques sceaux[229]. L’Ancien Arsène est jardinier, et moi cuisinier. Théophylacte est avec Joseph. Nous avions aussi deux petits anciens qui sont morts, tu ne les as pas connus. Nous avons aussi Nicodème qui fait la vaisselle. Nous vivons, avec la grâce de Dieu, très agréablement.
Toi aussi tu vivras ici. N’aie pas d’arrière-pensée. Tu seras vraiment bien. Nous avons aussi une petite barque de pêche. On attrape des perches, des pinnes marines, des oursins. Joseph est le capitaine de la barque.
Mais notre principal travail c’est la prière mentale, le deuil et les larmes, la vigilance (népsis) et la contemplation (theoria). Comme tes grâces spirituelles sont abondantes, Seigneur !
Un bon garçon est venu, mais il n’est pas resté assez pour que nous lui enseignions la prière mentale, il est reparti. C’est lui qui nous a parlé de ta santé.
Tout le monde t’embrasse et te bénit. Je t’embrasse à mon tour paternellement.
Ton très humble Ancien Joseph.
Soixante et unième lettre :
Monde vain ! Monde trompeur ! Il n’y a rien de bon en toi !
Mon enfant bien-aimée Photini ; Ma sainte et divine aimée, j’espère que tu vas bien.
Ma petite, mon petit papillon. J’ai reçu ta lettre et j’en ai pris connaissance. Je me réjouis que vous alliez tous bien. Mais moi, je ne vais pas bien.
Beaucoup de dépenses et de médicaments, mais pas de rétablissement. Petit à petit je marche vers la patrie céleste. : « Car nous n’avons pas ici-bas de cité permanente[230]. »
La communauté essaye par tous les moyens de me faire revenir, mais malheureusement je marche rapidement vers la tombe. J’irai là-bas pour vous attendre.
Ma Photini, ma lumière[231], ma Photini ! Nous étions des boutons, nous sommes devenus une fleur. Les feuilles sont tombées, le vent les a dispersées, et on nous a oublié. Nous nous sommes desséchés comme une plante dont la fleur est tombée. Que reste-t-il de nous ? Si nous avons fait quelque chose que nous avons envoyé dans l’autre monde, cela seul demeurera intact. Personne ne peut le prendre, personne ne peut le supprimer.
Donc ma Photini, amassons là-bas tout ce que nous pouvons. Si à ce moment-là, la mort nous trouve, et que nous laissons derrière nous quelque chose, d’autres en profiteront. Toi, tu seras oublié comme si tu n’avais jamais existé.
Monde vain ! Monde trompeur ! Il n’y a rien de bon en toi ! Totalement mensonger. Totalement fallacieux. Tu nous trompes, tu te moques de nous, tu te joues de nous. Tu nous montres des années, des talents, une bonne santé durable et soudain la mort arrive. Toutes ces choses éclatent alors comme des bulles de savon et se dissipent comme une toile d’araignée.
Cela, mon enfant bien-aimé, cela c’est le délice du monde.
Ainsi tiens compte de l’enseignement[232]. Pleure et prends le deuil. Tu as très bien pris connaissance de Dieu. Prie et crie : « Mon dieu, mon Dieu, regarde parfois ta Photini qui est véritablement lumière, et ouvre à nouveau tes cieux et laisse tomber une goutte de ta divine grâce. Illumine les yeux de son âme et prends pitié d’elle. Ô mon Dieu ! Mon Dieu ! qui voit les replis secrets de nos âmes ! Adoucis notre cœur que le mal a rendu amer et que ton amour a oublié ».
Voilà ce que tu dois dire et crier.
Au moment où je t’écris l’œdème a atteint le nombril ; et mon Prêtre est parti à Dafni et à mon insu, il s’est entendu avec un médecin et il l’a amené ici en me disant que le docteur faisait une tournée. Il m’a examiné et m’a dit que j’avais une affection cardiaque, provenant d’amygdales purulentes. Et il m’a donné des pilules pour l’œdème, et des piqûres de fortifiants pour les amygdales, comme celles que Jean a envoyées.
Donc, mille trois cent drachmes pour une visite ! Heureusement que j’ai des enfants spirituels en Amérique qui tous m’écrivent : « Prends soin de ta santé ! ne nous laisse pas orphelins. » Et ils m’envoient de l’argent. Une autre visite m’a coûtée mille six cent drachmes avec les médicaments.
C’est comme ça. Que je le veuille ou pas, on ne me laisse pas mourir. Donc, prends patience.
Soixante-deuxième lettre :
Je vais écrire une petite œuvre pour mon fils…
Mon fils bien-aimé…mon divin et sacré aimé, je pris pour que tu ailles toujours bien.
Observe ce que je vais t’écrire. Que cela soit pour toi un souvenir. Médite le, et je crois que cela te sera profitable.
Dieu mon enfant a créé l’homme à partir de la poussière. C’est-à-dire après qu’il eût créé toutes les créatures comme un jardin, il fit les luminaires et orna le firmament. La lune pour commander à toutes les étoiles de la nuit, tel un lustre d’église avec beaucoup de lumières, grandes et petites, en ornant et embellissant le ciel. La terre avec une multitude d’arbustes petits et grands. Les animaux et les reptiles, les oiseaux de toute taille, volant sous le ciel. Les animaux domestiques et les volailles à l’usage de l’homme, la mer avec toutes sortes de poissons. Tout fut créé pour que l’homme se nourrisse et admire. Et au-dessus de tout cela il fit le grand luminaire, pour qu’il commande au jour, pour qu’il réchauffe et entoure de ses soins toute chose avec la chaleur qu’il contient, et qu’il embellisse et orne le monde.
‘Finalement il créa l’homme tel un roi sur toute chose, comme s’il était appelé à être un spectateur dans un théâtre. Quelle grandeur ! Quel honneur pour l’homme ! Toutes les créatures animées ou inanimées chantent des hymnes à Dieu. Les unes de leur voix, les autres avec leurs feuillages ; chacune à sa voix propre ; même un petit brin d’herbe, si tu le foules, crie ; le parfum qu’il exhale est sa voix à lui.
Tout ce dont parle l’Écriture Sainte, tout fut fait pour l’homme. C’est pour cela aussi que l’homme fut créé en dernier, pour qu’il voit que tout était très bien et qu’il se réjouisse en exultant en les contemplant.
Comment eut lieu la création de l’homme ? Il prit de la terre, qui est la matière la plus humble, pour qu’il soit toujours humble ; il n’y rien de plus humble que de la terre. Il dessina une petite maison d’argile et souffla en elle, il créa l’âme de l’homme…C’est-à-dire que Dieu mit son souffle comme dans quatre murs d’argile.
Ô grandeur céleste ! Ô gloire et honneur de l’homme ! C’est de l’humble argile, mais il est aussi un souffle divin ! Viendra le moment où il sera changé : « Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise[233] ». La parole de notre créateur sera accomplie. Mais l’insufflation divine, le souffle divin, que deviendra-t-il ? Comme la terre ira à la terre, ainsi aussi l’âme, qui est l’insufflation de Dieu, reviendra à Dieu. Oui, mais comment ? Lorsqu’elle sortit de Dieu d’était un souffle divin parfumé, mais maintenant est-elle ainsi ? Non, ce n’est plus le cas. Alors que faut-il faire ? Il faut une purification. Les larmes, le deuil, la souffrance. Car tu as chagriné ton divin père qui est si bon et bienfaisant, lui qui t’a tant glorifié alors que tu n’es que de l’argile, il t’a fait don de son souffle divin. Ces actes de repentir avec l’aide de sa grâce seront une expiation pour toi. Donc, pleure et prends le deuil pour qu’il te fasse retrouver ton état initial.
Et quand tu pleures avec une âme amèrement dolente, parce que tu as péché, parce que tu as causé de la peine à Dieu, après les pleurs, la consolation et le réconfort te visiteront, et alors la porte de la prière s’ouvrira.
Je connais quelqu’un qui, alors qu’il était entrain de pleurer, voulut contenir ses larmes parce que quelqu’un venait à passer, mais il ne réussit pas à les retenir. Car elles s’écoulaient avec une telle force, comme s’il avait été mortellement blessé.
La prière avec la souffrance engendre le deuil. Le deuil apporte les larmes. Les larmes à leur tour produisent la prière pure. Car les larmes telle une huile parfumée lavent complètement la souillure et alors le souffle de Dieu est purifié ; qui telle une colombe est enfermée dans quatre murs, comme s’ils étaient faits des quatre éléments…Et alors, à peine les murailles se sont dissipées et écroulées, que la colombe prend son envol vers son Père d’où elle est issue.
Soixante-troisième lettre :
Nous n’avons pas d’habit de noce. C’est pourquoi il faut que nous nous purifiions.
Donc, nous avons dit que nous sommes le souffle de Dieu. Puisque ainsi nous avons une affinité avec Dieu, et que Dieu est partout présent, nous sommes toujours auprès de Dieu. Nous sommes ses enfants. Et considérant la dignité dont il nous a gratifié, en étant son souffle, il faut que nous prenions garde à ne pas l’affliger : « J’ai contemplé le Seigneur à ma droite, pour ne pas être ébranlé[234]. »
Puisque nous avons pollué notre esprit, et notre cœur, en parole, en action et en pensée, nous n’avons plus désormais de libre accès à Dieu (parrhésia). Nous n’avons pas d’habit de noce. C’est pourquoi nous devons nous purifier ; avec la confession, avec des larmes, avec une âme dolente ; et avant tout, la prière, qui purifie et perfectionne l’homme.
L’habit que nous chantons lors de la semaine sainte : « Je vois ta chambre nuptiale, mais je n’ai pas de vêtement pour y pénétrer », c’est la grâce de Dieu, que l’on obtient par la prière pure dite avec ardeur.
Tout d’abord, l’homme doit prier avec la simplicité qui caractérise les débutants et en versant des larmes copieuses, tout cela, c’est la grâce de Dieu qui est appelée la grâce purificatrice et qui nous attrape comme un hameçon et le conduit au repentir.
Car notre bien c’est Dieu en tout et pour tout. C’est lui qui nous trouve, c’est lui qui nous voit, c’est lui qui nous appelle. C’est lui qui nous a connu en premier ; ensuite nous l’avons connu, après qu’il nous ait oint de sa miséricorde divine.
C’est pourquoi et le repentir, et le deuil, et les larmes et tout ce qui arrive à celui qui se repent, tout cela est le fruit de la grâce divine. C’est cette grâce purificatrice, qui purifie l’homme. Il n’y a pas de bien qui ne vienne pas de Dieu, ni de mal qui ne vienne pas du diable.‘
Donc ne te mets jamais en tête que tu as fais quelque chose de bien sans Dieu. Car à peine as-tu pensé ainsi, qu’aussitôt la grâce se retire, et que tu vas la perdre, pour que tu comprennes que ta condition est pitoyable, pour que tu apprennes le : « Connais-toi toi-même ».
Pour que quelqu’un comprenne la faiblesse de sa nature, il faut qu’il se confronte à des tentations nombreuses et importantes. Et alors par le biais des nombreuses épreuves, il est rendu humble et apprend la véritable humilité. Mais cela demande du temps.
L’humilité ne consiste pas à dire de simples mots comme nous disons : « Je suis pécheur &. ».L’humilité c’est la vérité, apprendre que l’on n’est rien. Le rien, c’est ce qu’il y avait avant que Dieu ne crée l’univers, c’était rien.
Donc, nous sommes ce rien. Ta racine, ton existence commença par le rien, et ta mère, c’est l’argile, ton créateur c’est Dieu. Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi t’enorgueillir comme si tu ne l’avais pas reçu[235] ? Le fait que l’homme connaisse la vérité est un grand don de Dieu. Et c’est cette vérité dont le Seigneur a dit qu’elle nous libère du péché[236].
La connaissance de Dieu est vision de Dieu. Car la connaissance spirituelle, pas la naturelle, connaît Dieu.
Car la connaissance naturelle est un discernement qui distingue le bien du mal, beaucoup de gens le possèdent, mais la connaissance spirituelle est le fruit de l’œuvre spirituelle et vient du : « connais toi toi-même ». Tout nous vient de la grâce de Dieu au moyen de la prière. La grâce de dieu est vue mentalement et est connue par la perception de l’esprit (noûs) au moment de la prière.
Il y a beaucoup de façons de prier. Toutes sont bonnes, si l’homme n’en connaît pas d’autre et prie avec simplicité. Mais si quelqu’un le guide et qu’il désobéit, alors il régresse et tombe dans l’erreur.
À l’exception de la prière mentale circulaire[237]*, toutes les autres formes de prières peuvent se modifier avec le temps, lorsque l’homme perd sa simplicité et commence à faire confiance à lui-même.
La prière mentale, l’invocation en une seule phrase du nom de Dieu, ne laisse pas de place au doute et n’est pas suivie par l’erreur. Car, dans le cœur, on invoque avec concentration le nom du Christ et celui-ci nous purifie de l’obscurité et conduit à la lumière.
Soixante-quatrième leçon :
Le cœur ne supporte pas le partage : ton Dieu seul adoreras , et c’est lui que tu serviras.
La prière mentale que nous avons citée plus haut, c’est : « Seigneur Jésus-Christ…aie pitié de moi ». On dit cette prière de la façon suivante : par le souffle l’esprit (noûs) descend dans le cœur, comme disent les Pères Neptiques. Retiens ton souffle autant que tu peux en ne priant qu’avec les mots de la prière.
Au début il faut se donner beaucoup de mal, car l’esprit n’est pas habitué à ne pas rêvasser, mais avec le temps il apprend à se tenir tranquille.
J’ai vu un frère qui pouvait tenir son tenir son esprit dans son cœur pendant six heures, sans distraction pendant une heure et parfois plus longtemps.
La prière se fait avec peine. Mais ensuite on la dit sans peine et une jubilation extraordinaire. Car, du fait que nous avons cette affinité avec Dieu – non pas substantiellement, mais comme nous l’avons dit nous sommes l’insufflation de Dieu – lorsque nous nous sommes purifiés du péché par le jeûne, la veille, la prière dont nous parlons ; par l’impétuosité de l’œuvre et de la vigilance et par la propre claustration persévérante de l’esprit dans le cœur en l’empêchant de sortir, alors notre dieu bon veille sur nous et envoie sa grâce rafraîchissante. Qui telle une nuée radieuse, lumineuse, l’illumine et l’homme voit l’homme intérieur resplendissant, lui qui il y a peu se trouvait dans l’obscurité. Cela se produit continuellement et l’homme est sans cesse purifié et rendu parfait par la grâce de Dieu.
Car lorsque la grâce l’ombrage, et que le souffle embrasé de Dieu s’élève, lui qui est notre âme comme nous l’avons dit alors se produit l’union divine. Et l’on s’assimile à Dieu au point de ne pouvoir reconnaître ou distinguer l’un de l’autre, comme le soleil avec sa lumière ou le feu avec le fer, lorsqu’ils ne font qu’un. Car l’insufflation et la grâce proviennent de la même source, qui est notre doux Dieu.
Oh, comme est bon notre Dieu bienveillant ! Comme il est miséricordieux ! Il n’a aucun intérêt et il n’a jamais eu besoin de l’homme, comme étant le Plus Parfait. Mais, voulant transmettre en raison de son grand amour ses charismes très parfaits, il a créé toutes les créatures. Et en créant l’homme, il le fit roi, et lui fit don de toute chose.
Dieu ne demande qu’une seule chose : qu’on l’honore, qu’on l’aime et que l’on observe ses préceptes, en reconnaissant que c’est lui notre Créateur.
Il ne veut pas que tu divises sa gloire en adorant des absurdités. Il ne veut pas que tu aimes une autre chose plus que lui. C’est pour cette raison que lorsqu’il a donné ses commandements dans sa loi divinement écrite à Moïse, il a dit : « Écoute Israël ; tu aimeras le Seigneur ton dieu de toute ton âme, de tout ton cœur, de toutes tes forces, de toute ton intelligence[238]. »
Alors, mon enfant bien-aimé tu as compris ? Il ne t’a rien laissé pour que ton amour s’exprime ailleurs, mais absolument tout l’élan de ton âme doit consister à aimer le Seigneur. De la sorte, sa grâce t’ombragera. Le cœur ne supporte pas les partages : « Tu n’adoreras que ton Dieu, et tu le serviras[239]. » Ah, alors ! Alors le Christ viendra en toi, lui qui est le Verbe avec le Père et l’Esprit, ils feront leur demeure en toi[240], et tu seras un temple[241].
Alors la Prière commandera en souveraine et subjuguera l’esprit (nous). Ô joie ! Ô joie, pour la malheureuse argile ! De combien de biens nous gratifiera le Seigneur !
J’ai vu un frère qui, mû par un tel amour, entra en extase. Il vit trois enfants du même âge dans une lumière éblouissante. Ils le bénissaient tout en chantant : « Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ[242] ; alléluia ». Ils dirent cela à plusieurs reprises tout en la bénissant. Et j’ai admiré la grandeur de l’amour qu’éprouvait ce frère pour Dieu.
Donc, ne cherche pas d’autre façon de te rapprocher de Dieu, ne fait que l’aimer de toute ton âme. Alors on ne tient plus compte du corps, mais on le tyrannise, pour vaincre les passions. Mais c’est Lui qui te donne la force nécessaire. Et, plus tu te purifies des passions, plus tu trouves le repos, plus tu es sage, et plus tu comprends Dieu.
Post-scriptum :
Ainsi, mon enfant bien-aimé, mon petit, j’ai entrepris de t’écrire. Copie la lettre et renvoie-la moi, que je puisse continuer là où je me suis arrêté. Pour que tu en fasses un petit livre, que tu gardes avec toi. Je vais t’écrire de très belles choses, que tu n’as jamais entendues, selon mon inspiration. Praxis et theoria.
Je suis près de la mort. Je suis tout gonflé, mais je ne m’arrête pas. Je veux faire quelque chose de bien, même si cela doit signifier me battre jusqu’au départ de mon âme.
L’argent que vous envoyez est pris par les docteurs, les piqûres, les pauvres, je n’ai plus un sou. Maintenant les Pères veulent de la farine et ils me grondent. Mais moi je regarde le cyprès ; là où ils vont creuser ma tombe.
Soixante-cinquième lettre :
Je vous en prie instamment, chassez le chagrin de votre âme.
Ma très noble dame ! Depuis des jours, je voulais vous écrire pour consoler votre âme affligée par le malheur qui vous est arrivé, mais j’attendais dans l’éventualité où nous recevrions une réponse de vus, puis que vous écrivez à notre prêtre. Et, voyant que vous tardiez, et ressentant l’angoisse de votre âme, je vous supplie d’entendre la voix de mon humble âme et de chasser le chagrin de votre âme ; car l’excès de chagrin engendre aussi d’autres maux.
Personne ne connaît la volonté de Dieu qui œuvre à notre salut. Mais, de quelques façons qu’elles se réalisent, elles sont pour notre bien ; peu importe que nous soyons tristes et qu’il nous semble que Dieu nous ait abandonné. On ne peut en déduire que nous avons péché ou que c’est de notre faute s’il nous arrive quelque chose de mal, mais on peut en conclure que par le chagrin nous sommes pardonnés des transgressions que nous commettons depuis notre tendre enfance.
Il se peut que nous ayons éprouvé de l’orgueil et que, grâce à notre chagrin, nous éprouvons une grande humilité. Peut-être que Dieu veut nous éprouver, pour voir si dans le malheur nous lui restons fidèles. Il cherche à voir jusqu’où va notre patience et notre amour pour lui.
Il se peut qu’il ne soit pas quelqu’un de bien, mais que ces parents eux le soient. Et ses parents ont été aidés par vous, et bien que vous ayez perdu matériellement, vous avez gagné spirituellement. Peut-être auriez-vous été affligée d’accomplir une si grande action dans d’autres circonstances, parce que peut-être que Dieu aurait voulu que vous fassiez une aumône plus importante.
De plus, peut-être était-il quelqu’un de bien et que Dieu ait interrompu son existence pour le sauver grâce à la souffrance.
Dieu aurait pu faire que l’accident se produise du fait d’un autre et non pas de vous ; mais par votre intermédiaire se produisent tous les biens sus mentionnés. Car cette humilité que vous éprouvez et qui vous fait pleurer comme si vous étiez abandonnés par Dieu, n’aurait pas pu être acquise autrement, même si vous aviez mené une vie ascétique pendant de nombreuses années.
L’homme pèche depuis sa jeunesse ; en parole, du regard, avec l’intelligence, avec son consentement, en action. Et par une peur soudaine, un malheur, une grande perte, tous ces péchés lui sont pardonnés et de verre qu’il était auparavant, il devient un diamant.
Et outre toutes ces causes, cela peut être dû à la haine du diable. Voyant que nous voulons être sauvés, il devient un obstacle et une pierre de scandale[243] pour entraver notre bon vouloir ; pour nous mener au désespoir, à l’incroyance, au découragement ; à être malade à cause de notre affliction, et à beaucoup de souffrance ; pour que nous nous flétrissions comme les fleurs lorsque brusquement survient le vent du nord.
En raison de tout ce que nous avons dit, lorsque nous prenons patience, nous obtenons une grande récompense.
Et ne soyez pas tristes, car le chagrin excessif engendre parfois la démence. Le S. Précurseur[244]ne vous a pas abandonné ; il n’a pas oublié vos bonnes actions, mais vous recevrez un salaire bien plus grand. L’église que nous avons construite est dédiée au Précurseur.
Donc, je vous en prie instamment chassez l’affliction. Puissiez-vous retrouver la gaîté que vous aviez auparavant. Ayez de l’amour, et tout vous sera pardonné. Car cela s’est produit involontairement, et selon la providence de Dieu, que lui seul connaît, lui qui prend soin de notre intérêt et de notre salut. Mais j’attends sans faute un mot de votre part, me disant que vous allez faire ce que nous vous avons écrit et que vous avez trouvé la sérénité. Nous sommes désolés de tout ce dont vous nous avez informés et c’est pour cette raison que vous devez nous écrire afin que nous trouvions le repos.
Toute la communauté prie pour vous, et nous célébrons des Liturgies pour votre santé et la paix de vos âmes et de vos cœurs. Nous célébrons aussi quotidiennement une liturgie commémorative pour le repos de l’âme du malheureux mort de mort violente.
Soixante-sixième lettre :
Lorsqu’un homme se confesse, son âme est purifiée et il devient tel un diamant étincelant.
Nous prions tous, ma bonne Dame et votre bon mari, pour que le Seigneur vous accorde la paix, la santé et de longs jours à tout votre foyer ainsi qu’à vos proches.
J’ai reçu votre lettre, Madame, et j’en ai pris connaissance. Je compatis à vos épreuves et je partage votre chagrin, comme je me félicite de votre joie.
La vie, Madame, est pétrie d’afflictions et de tourments. Lorsque l’on ressent un peu de joie dans son cœur, sachez que c’est un coup de téléphone pour que vous supportiez patiemment l’affliction qui vient.
Celui qui est le plus proche de l’homme, c’est Dieu ; personne n’est aussi proche que Dieu ; c’est en lui que nous avons la vie et le mouvement[245] ; nous nous trouvons continuellement en son sein. Donc nous pouvons à chaque souffle nous adresser à lui d’une voix intérieure en lui disant : « Mon Dieu, ou es-tu ? Viens à mon aide, protège-moi ! Mon Jésus, prends pitié de moi ! Notre Toute Sainte est une Mère miséricordieuse, une source de bonté, sa grâce prend les devants partout ; en sorte qu’à peine on ouvre la bouche pour l’appeler qu’elle est déjà là comme une Mère véritable. N’hésite donc pas à l’invoquer à chaque instant et tu trouveras une aide gratuite et un médecin pour tes afflictions.
Dieu, mon enfant, est partout et son œil observe tout ; il passe sur nos péchés car il attend le repentir. Quand par hasard nous péchons que ce soit un peu ou beaucoup, il le voit parce qu’il est présent mais nous, nous ne le voyons pas, parce que nous sommes des bambins en matière de connaissance.
Quant en revanche il nous punit, pour que nous tournions notre regard vers lui, nous nous pensons que nous souffrons injustement. Mais quand nous nous faisons humble, alors les yeux de notre âme s’ouvrent et nous reconnaissons que tout ce que fait le Seigneur est très bon : alors nous le considérons comme notre Père plein de miséricorde, d’amour et regorgeant de bonté.
Je ne sais pas, Madame, si vous avez fait une confession générale et franche en commençant par votre enfance, à l’âge de sept ans, jusqu’à maintenant. Passez franchement en revue tout votre passé, et écrivez la sur un papier, vous constaterez que c’est d’une grande utilité pour votre âme. De même pour votre mari. Écrivez non seulement ceux dont vous vous souvenez, mais aussi les manquements de toutes sortes, que l’on ne considère pas comme des péchés ; mais, quand quelqu’un se confesse, son âme est purifiée et devient comme un diamant chatoyant.
Vous commencerez par votre enfance ; les péchés commis entre huit et dix ans, ceux commis entre dix et vingt ans et au-delà, qui relèvent de la partie irascible et appétitive de l’âme.
Que votre mari fasse de même : les péchés selon la nature, contre natures, les péchés commis au travail, les actes d’injustice, illégaux, le tout franchement, sans fausse honte.
Mais si vous avez un Père spirituel qui vous dirige, et que vous vous confessiez, alors ce n’est pas nécessaire.
Si par hasard, Madame, vous voulez donner une aumône, donnez-la à cette femme qui a perdu son fils. Si vous voulez faire la charité à ce garçon mort de mort violente, n’oubliez de faire dire pour lui la Liturgie du quarantième jour.
Car peut-être a-t-il péché étant un jeune homme et cela va le sortir de l’enfer, alors vous serez la cause de son salut et de sa venue au Paradis. Car les Liturgies sauvent et délogent aussi les âmes de l’enfer. Et en conséquence au lieu qu’un grand mal ait été commis par vous, comme vous le pensez, un grand bien adviendra. Car par votre intermédiaire un âme aura été sauvée et vous grâce au repentir serez plus proche de Dieu.
Pour votre état nerveux – la colère dont vous parlez – dites sans cesse la prière, de cette façon la grâce apaisera vos nerfs. Et ne soyez pas triste, le monde entier souffre de telles choses.
Soixante septième lettre :
Ceci montre que votre manière de vivre plaît à Dieu.
Ma compatissante Dame. J’ai reçu votre lettre et j’ai vu son contenu en me réjouissant beaucoup des qualités dont Dieu vous a gratifié. Vous êtes vraiment dans la bonne voie et vous n’avez besoin de rien ; seulement de patience et de longanimité pour que votre âme s’apaise.
Maintenant je peux reconnaître que le diable envieux, voyant votre vie bonne et vertueuse, a voulu vous affliger en causant cet accident mortel involontaire. Mais je suis sûr que son âme est sauvée grâce aux Liturgies que vous faites dire pour lui. Et au lieu d’un mal, un grand bienfait s’est produit, parce que son âme a été sauvée ; car Dieu cherche la moindre raison pour sauver l’homme.
Ce que vous dites : « Tous se réjouissent, pourquoi sommes-nous dans l’affliction ? », témoigne du fait que votre façon de vivre plaît à Dieu. Car le Seigneur ne suscite des afflictions qu’à l’homme qui fait la volonté de Dieu. Par conséquent les afflictions sont une grâce et un don de Dieu[246]. Ainsi, sans le vouloir, vous témoignez que vous êtes des enfants élus par Dieu : « Car celui qu’aime le Seigneur, il le corrige et il châtie tout fils qu’il agrée[247] ».
Reprenez donc courage ou plutôt réjouissez-vous, parce que le Seigneur vous aime beaucoup. Ne soyez plus triste. Conseillez toujours à votre mari d’aller se confesser. Ce qu’il vous dit n’est pas correct.
La confession est un des sept sacrements de notre Église. Sans confession, le repentir n’est pas possible ; et sans le repentir un homme n’est pas sauvé.
Si vous voulez faire la charité à la mère de l’enfant, il faut que vous la fassiez en personne et non par l’entremise de quelqu’un d’autre ; pour que son âme soit guérie du chagrin de son enfant.
Faites les autres aumônes en secret.
Vous avez eu de bons Pères spirituels et c’est pourquoi ils vous ont parfaitement conduits sur le droit chemin. Et j’en ai été grandement soulagé.
Il était de mon devoir de vous écrire, car vous avez été bons pour nous, et j’ai compatis à votre chagrin.
Désormais je me félicite, d’avoir fait la connaissance d’une autre famille vertueuse et chrétienne. C’est pourquoi je cesse désormais de vous écrire ; il suffit que vous correspondiez avec mon prêtre.
Je continue d’être votre intercesseur auprès de Dieu. Le très humble moine Joseph.
Soixante huitième lettre :
Si tu n’arrêtes pas de pécher tout ce que tu feras échouera.
Mon enfant bien-aimée Panayota, je prie pour que tu ailles bien.
J’ai reçu ta lettre, mon petit enfant, et en lisant ce qu’elle contenait mon âme a beaucoup souffert.
Ta situation n’est pas bonne. Il faut choisir : ou il t’épouse légalement, ou tu le quittes pour vivre seule dans le repentir.
Comme les choses vont, il n’en peut sortir rien de bon ; tu ne peux même pas aller te confesser. Si tu n’arrêtes pas de pécher, tout ce que tu feras échouera. Dès que tu l’auras quitté et que tu auras cessé de pécher, tout sera pardonné avec la confession.
Ne peux-tu, mon enfant, gagner ta vie ? Va dans un foyer de bons Chrétiens, fais n’importe quel travail qui est dans tes possibilités, mais fuis le péché.
Le péché c’est une séparation d’avec Dieu ; une condamnation à une damnation éternelle. Alors qu’ici-bas quelle que soit l’affliction, elle passe.
Décide-toi : s’il t’épouse, cela cesse d’être un péché, et devient légal. Alors tu nous écriras et nous régulariserons le passé[248].
Si tu le quittes, écris-nous aussi et nous te dirons que faire.
Mais pour l’instant dans la mesure où tu vis dans le péché, rien n’est possible.
Hâte-toi mon enfant, car la mort surgit brusquement et il serait dommage que tu ailles en enfer.
Nous ferons des Liturgies pour toi ainsi que des offices d’intercessions pour que Dieu te vienne en aide. Je prie pour toi, l’humble Ancien Joseph.
Soixante neuvième lettre :
Ne doute pas qu’il soit temps pour toi de revêtir le Saint Habit.
Comme c’est mon devoir, j’invoque sans cesse le Seigneur, pour qu’il vous protège et vous guide dans sa sainte volonté.
Tu demandes, enfant de notre Dieu bon, si Dieu veut que tu prennes le Saint Habit.
Toi, ma fille, depuis que tu es venue au monde tu marches dans la voie de Dieu, et tu n’as jamais rien demandé d’autre que d’accomplir la volonté du Seigneur.
Aussi ne doute pas qu’il soit temps pour toi de porter le Saint Habit, puisque même sans habit tu es déjà une moniale ; et maintenant que tu as pris de l’âge quelles œuvres recherches-tu ?
Tu sais déjà quelle œuvre tu dois faire. Donne aux pauvres ce que tu as en trop. À des pauvres moniales ; et elles feront ce que toi tu ne peux pas faire.
Trouve une bonne Ancienne, appelle aussi un prêtre un moine qui porte le Grand Habit, et deviens une moniale chez toi sans que personne le sache, et reprend derechef ton chemin.
Tu seras très heureuse, car tu renaîtras.
Pendant le semaine, ne sors pas de ta maison. Reste enfermée, pour jouir de la Grâce qui restera avec toi pendant huit jours.
N’aie pas peur, ne sois pas hésitante. Le Christ est venu pour nous.
Il nous a fait participer à la richesse de son amour, et nous a dit : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé ».
Ainsi n’attends pas. Ne remets pas à plus tard. Ne manque pas l’occasion que le Christ t’envoie d’en-haut.
Donne ce petit mot à Théophylacte et moi l’humble moine je prie pour vous, avec la grâce de Dieu je vous soutiendrai.
Soixante dixième lettre :
Le principe et la fin de tout bien c’est le Christ.
Je me suis beaucoup réjouis mon enfant, de ce que tu demandes une parole de Dieu qui soit utile à ton âme.
Ouvre donc tes oreilles et je vais les remplir avec des bonnes choses.
Que ta bouche médite sans cesse la prière : « Seigneur Jésus-Christ aie pitié de moi ! » Que ton souffle soit collé au nom de notre Seigneur[249].
Ainsi, après une longue période de temps, to esprit (noûs) sera habitué à la dire avec la parole intérieure. Puis quand l’esprit (noûs) est purifié par la prière, il l’a fait descendre dans le cœur ; l’union de l’esprit- du verbe- du cœur se produit. Par l’invocation permanente, la prière se fraye un chemin vers le cœur grâce à l’inspiration et inspiration ; en sorte que l’esprit (noûs)- la parole-le cœur ne font plus qu’un. Sans cesse purifié, le cœur reçoit alors l’ombrage de la grâce.
Alors petit à petit, sans t’en rendre compte, le Ciel-Paradis advient en toi.
Jusque-là c’était la pratique, au-delà c’est ce qu’on appelle le contemplation. Arrive jusque là et nous te parlerons du reste en son temps.
Sache seulement que tout – principe et fin de tout bien c’est le Christ. Par nous-mêmes nous ne pouvons rien faire, si le Christ ne collabore pas d’abord avec nous avec sa divine grâce. C’est lui qui le premier c’est fait connaître à nous et alors nous, nous l’avons connu. Nous l’aimons parce qu’il nous a aimé en premier[250]. S’il n’agit pas le bienfait n’est pas activé en nous.
Deviens donc un petit enfant avec toute ta simplicité enfantine et jette-toi aux pieds de notre Bonne Mère qui porte le grand Dieu comme un nourrisson. Pleure et crie avec beaucoup d’affection qu’il t’accordera en retour :
- Ma douce Maman, viens-moi en aide, montre-moi comment être sauvé ! Intercède, Mère, auprès de ton Fils pour qu’il me montre ce qu’il veut que je fasse, et ce qu’il faut que je lui demande. Puisse-t-il ouvrir les yeux de mon âme qui sont fermés et ne le voient pas – alors que lui me voit à chaque instant – mais qui le pleurent sans cesse.
Soixante et onzième lettre :
Commence bien, pour que la fin aussi soit bonne.
Écoute mon enfant, prête l’oreille à mes paroles.
Marche avec beaucoup de modestie. Aie une grande humilité ; ne véhicule pas paresseusement des discours sur l’humilité, mais deviens un paillasson[251] pour que l’on te piétine, si tu veux que le Christ veille sur toi. Attendri ton cœur, qu’il devienne du coton ; et cède toujours à celle qui te parle : « C’est toi qui sait, ma sœur, pardonne-moi ! ».
Le Christ agira avec toi selon la même délicatesse que tu mets pour t’adresser aux autres. On te mesureras à la façon dont tu mesures les autres[252]. Tes péchés te seront pardonnés comme toi tu pardonnes les péchés des autres. Il se manifestera à toi proportionnellement à l’amour et à la délicatesse avec lesquels tu le requiers.
Ne dis pas que soi-disant tu obéis, alors que tu fais ta volonté propre ; car ce n’est pas à ton Ancienne que tu causes du tort, à l’Higoumène, mais à Dieu qui est près de toi et qui voit tous tes mouvements.
Il est sans cesse avec toi ; tu es aveugle et tu le vois pas. Tu es toujours dans son sein. Tu Le respires ; tu Le manges, tu Le revêts ; on ne peut jamais se jouer de Lui. Quoique tu fasses, il le voit, même avant que tu y aies pensé.
Si tu dis : « Le péché est petit, ce n’est pas grave! » Alors ta petite prière aussi ne montera pas vers Dieu, ce n’est pas grave! Si tu dis et tu veux que ta petite prière soit entendue, alors sache que même tes petites fautes sont inscrites et elles annulent tes petites bonnes actions.
Ainsi si tu as assez rigueur et de délicatesse pour ne pas attrister le Seigneur qui voit tout, veille à ne pas affliger l’Abbesse et les autres sœurs, sachant que tu pèches contre Dieu.
Ne dis jamais : « J’ai raison ! ». Même si on t’arrache les yeux, ne demande jamais justice, car tu portes le Christ qui c’est fait homme pour l’homme et qui a tout souffert pour nous sauver ; il ne connaît pas le transgresseur.
Sais-tu mon petit enfant, à quel point, lorsque tu désobéis, tu affliges l’Ancienne ? À quel point tu t’opposes à la volonté de Dieu, qui aussitôt retire sa grâce en te laissant nue ? Alors ta conscience est remplie d’amertume, et ton esprit (noûs) s’obscurcit, et pendant longtemps tu restes telle une terre dure et infertile. Si tu pouvais voir combien de dommages tu te causes !
Aussi mon enfant, sois prudent. Commence bien, pour que la fin aussi soit bonne. Œuvre dès maintenant quotidiennement pour récolter la paix dans ta vieillesse.
Chaque matin, à l’aube, dis : « Seigneur Jésus-Christ, rends-moi digne de passer la journée sans pécher. »
Mets-toi au travail de bon cœur, ayant la prière sur les lèvres. Aie conscience que le Seigneur te voit et que l’ange met par écrit ; l’Ange écrit tes actions et le Seigneur observe tes pensées.
À chaque instant dis en toute connaissance : « Ô mon âme, rassemble tes pensées dans la crainte, car le Seigneur te voit. Ne sois pas distraite, ne rêve pas, mais dis la prière en pleine intelligence ».
N’observe pas ce que font les autres, et ne cherche pas à donner l’impression que tu le sais. Ce qu’il faut que tu saches, c’est dire sans cesse la prière et faire attention à ton travail. Deviens une idiote pour le Christ, pour que Dieu te rende sage.
Si tu fais tout cela, tu t’en trouveras bien ; car tu deviendras une bonne moniale vertueuse et utile aux autres.
Que la grâce soit toujours avec toi, pour te protéger de toute influence du malin.
Je prie pour toutes les sœurs et l’Higoumène ; que Dieu lui donne la grâce et la force de supporter vos fardeaux ; car les fardeaux sont imposants et la peine rude.
SOIXANTE DOUXIÈME LETTRE :
Il faut que tout cela soit accompagné par une prière intérieure continuelle et ininterrompue.
Éveille-toi mon enfant, suis le conseil que je t’indique. Lorsque tu as quelque incertitude ou que tu cherches à résoudre quelque difficulté sans trouver d’issue, écris-moi et je te répondrai avec beaucoup d’affection.
Tu me dis que souvent en faisant la volonté d’une personne, une autre est lésée ; toi pour ne faire de peine à personne et être en règle devant Dieu, pose la question toujours à l’Ancienne Higoumène : « Qu’ordonnes-tu Mère ? Voilà ce qu’une telle me demande de faire » et, quoi qu’elle te dise fais-le sans discuter et personne ne sera vexé. Que les autres aient affaire par la suite à l’Higoumène.
L’obéissance concerne toute chose ; et le Christ te tresse une couronne à chaque instant.
Mais pour la croissance de l’homme intérieur, l’apaisement des passions, la maturation du fruit de ton bon ouvrage, il faut toujours que cela soit accompagné par une prière intérieure ininterrompue et continuelle.
Lorsque tu travailles, dis sans cesse la prière que ce soit oralement ou mentalement [253]. Lorsqu’on la dit sans cesse oralement, par la suite l’esprit (noûs) s’habitue à la parole intérieure. Ensuite l’esprit (noûs) la fera descendre dans le cœur. Dès lors s’ensuit le pénible travail de la vigilance (népsis) [254] : conserver de force l’esprit (noûs) sans forme[255], pur, dans le cœur , ne portant attention qu’à la circularité de la prière à l’intérieur du cœur au moyen de l’inspiration et de l’expiration.
Alors, l’esprit (noûs) n’ayant pas le temps de former une pensée qui le distraie, il se purifie – grâce à la prière – avec le temps. Alors il ne prend plus plaisir à évoquer de mauvais souvenirs, ni à rester complètement oisif. Mais il devient tout entier incandescent au souvenir du nom de Dieu et dans l’amour du Christ Sauveur.
Donc, consacre-toi, mon enfant, à cette œuvre cachée inspirée par Dieu, et ton âme deviendra un Paradis, avant qu’elle n’ait quitté le corps.
Un moine qui n’a pas appris la prière ne sait pas pourquoi il est devenu moine. La lecture éclaire l’esprit (noûs) et l’aide à prier.
La peine corporelle, quand elle est modérée et ne suscite pas d’agitation, est très utile et conduit à l’humilité.
Quand on prend l’habitude de dire à tout le monde : « Pardonne-moi ! », et que pour tout et toujours on s’insulte soi-même, et qu’on ne cherche jamais à se justifier ni sa volonté propre, on goûtera très rapidement du fruit de l’humilité. Il suffit de prendre patience pour tout.
Avec l’amour et la simplicité, sans beaucoup de supputations, on atteint plus rapidement le port d’en haut.
Embrasse sur ton sein l’icône de la Toute Sainte comme si elle était vivante, comme ta maman lorsque tu étais une petite fille. Dis lui toute ta peine, et mouille la de tes larmes chastes et pures, et y puisera une intercession permanente.
Elle intercédera auprès de son Fils, qui est si bon, qui aime les braves gens, qui a pitié des méchants, et qui pardonne aux pécheurs qui se repentent. Il ouvrira alors les yeux noétiques de ton âme, ton cœur se remplira d’affection et d’amour divin.
Alors tes yeux deviendront deux sources de larmes. Je prie pour que tu arrives jusque là.
Soixante treizième lettre :
Le Christ très miséricordieux ne te demande pas grand-chose.
Ta lettre modeste, mon enfant, m’a émue jusqu’aux larmes. Ton humilité a suscité ma compassion et m’a poussé à t’aimer beaucoup, comme le Seigneur aima celle qui souffrait d’une perte de sang, et laisse moi te dire aussi : « Courage, ma fille, ta foi t’a sauvée, désormais va en paix et ne sois plus affligée[256]. »
Le Paradis s’ouvrira. Et le Seigneur des jours[257] se montrera à toi en ce jour, tu seras alors remplie de joie et tu bondiras comme une biche en raison de l’abondance illimitée de son amour.
Ne sois pas endeuillée par ta pauvreté, puisque le Royaume du Christ s’est levé sur toi avec compassion. Ne te plains pas de tes péchés puisque le Fils de Dieu est venu sur terre et en tant qu’homme il a souffert pour nous, et il nous fait monter jusqu’aux cieux par notre pur repentir. Il suffit que tu dises : « J’ai péché » avec un cœur ardent et la grâce ouvre aussitôt les cieux pour toi.
Le Christ dont la miséricorde abonde ne te demande pas grand-chose. Dis seulement avec foi, en faisant une confession comme le prophète : « J’ai péché contre le Seigneur[258] », pour que tu entendes aussitôt : « Et le Seigneur t’a remis ton péché[259] ». Ô comme Dieu est excellent, comme il est bon ! Comme nous avons de la chance, nous les mortels d’avoir un Père Très Bon !
Courage donc, mon enfant bien-aimé. Décris avec confiance tes tourments, et moi avec beaucoup d’affection, je te répondrai tout ce que le Seigneur m’accordera de savoir.
Nous te remercions beaucoup pour les vêtements, pour lesquelles tu t’es donnée beaucoup de mal et tu as beaucoup dépensé pour les envoyer. Quand ils les auront reçus, je dirai à mes prêtres bien-aimés de t’écrire. Ils sont remplis de beaucoup de grâce ; parce qu’ils prient sans cesse.
Aie soin toi aussi de la dire sans cesse et le Christ viendra en toi – la joie, la paix, l’amour, la lumière. Tu as déjà commencé, fais toi donc violence et ne t’arrête pas.
Quand tu te rends compte que l’esprit (noûs) est fatigué de l’entendre, alors dis la sans cesse oralement. Puis l’esprit (noûs) la reprendra.
Au début il faut se donner du mal, mais au fil des ans, la prière sera spontanément criée en toi. Celle-ci purifie sans cesse l’homme de toutes les passions.
J’allais oublier de t’écrire que nous allons vous envoyer un petit paquet bientôt. Car j’ai trouvé pour ta bonne petite âme une croix ; et je te l’envoie en bénédiction comme tu le demandes ; et je prie pour que Celui qui est béni et glorifié pour les siècles te bénisse.
Soixante quatorzième lettre:
Plus tu aimes plus tu es aimé.
Ma fille bien-aimée, je prie pour que tu ailles bien.
Que la grâce de notre Christ t’illumine, qu’elle te purifie, Qu’elle te rende comme Marie Madeleine, dont nous avons ici au monastère de Simonos Pétra la sainte main. Celle-ci est chaude comme vivante, et il se dégage d’elle un parfum indicible, car le Christ lui a conféré tant de grâce.
Je me suis grandement réjoui, mon enfant, de ce que tu mettes tant d’empressement à vouloir être sauvée. De ce fait je suis sûr que l’Époux de ton âme immortelle te donnera une abondante grâce.
Que notre Toute Sainte, sa douce Maman, soit ta protectrice et qu’elle intercède continuellement pour toi. Puisses-tu serrer sur ton sein sa sainte icône comme si elle était vivante, pour la mouiller de tes larmes comme le fit la myrrophore pour les pieds de Jésus, tu y puiseras un réconfort sensible comme si elle était à tes côtés.
Notre Toute Sainte se hâte partout ; et à quiconque l’apelle avec ardeur, elle accorde abondamment sa grâce. Elle intercède pour tous, car elle a été jugée digne d’enfanter le Seigneur, de devenir Mère de Dieu. Elle le porte sur son sein et le supplie continuellement.
Et nous les pécheurs, comme nous n’avons pas cette familiarité[260]pour recourir à Dieu de but en blanc, nous appelons en criant sa Mère. C’est elle qui nous régénère, c’est elle qui intercède pour nous, c’est elle qui devance toutes nos afflictions.
Elle est une protectrice et une aide ; plus vénérable que tous les anges, plus vénérable incomparablement que les Chérubins et que les Séraphins, deuxième par le rang seulement après la Sainte Trinité.
Mais elle est si bonne, ma bonne fille, si douce, qu’à chaque instant tu veux l’embrasser ; pour obtenir une grâce d’intercession. ainsi plus tu aimes et plus tu es aimé.
Pour le colis, ne t’inquiète pas mon enfant, moi c’est à ton âme que je m’intéresse. Pour y mettre en paroles une petite pierre, pour te construire une maison dans les cieux, là où tout est immortel et éternel. Les choses d’ici-bas, qu’elles existent ou pas, ne peuvent causer de dommage à notre âme.
Aie soin d’écrire proprement ta confession depuis que tu étais une petite fille. Écris tout très proprement. Ne te hâte pas lorsque tu écris. Mais envoie la rapidement, de peur que je ne vienne à mourir.
Je veux te faire du bien moi-même, et personne d’autre, pour que je puisse dire devant le Christ : « Me voici avec les enfants que tu m’as donnés ô Dieu[261] ».
Ne fais pas davantage de dépenses pour nous. Ce qui est fait est fait. Le Christ l’a reçu comme le parfum de la myrrhe. Que cela arrive ou pas entre nos mais, toi tu as reçu ta récompense ; c’est inscrit aux cieux.
Ne te lamente pas en pensant que tu as été lésée. Dorénavant je t’ai inscrite avec mes enfants spirituels. Je prie pour toi depuis ta première lettre ; et je te commémore quotidiennement lors de la divine Liturgie. Courage, tu ne connaîtras pas la mort de l’âme, mais dans le repentir tu vivras éternellement.
Envoie vite ta lettre, et si tu oublies quelque chose, écris le dans une autre.
Aie la petite prière dans ta bouche : « Mon Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi ! »
Car lui seul est le Sauveur, et nous espérons qu’il nous sauvera. Sois juste patiente.
Porte ta croix quotidienne en lui criant souvent : « Mon Jésus ou es-tu ? Hâte-toi, sauve-moi, car je me perds ! » Et lui te criera en réponse : « Ne sois pas timorée mon enfant, je suis ici toujours près de toi ; prends patience ; l’heure viendra où je te prendrai près de moi pour que tu te réjouisses éternellement. »
Donc n’envoyez plus de colis, parce qu’ils réclament une taxe excessive. N’ayez soin que de votre âme ; préoccupez-vous d’elle pour la sauver, car elle est précieuse, immortelle.
Soixante Quinzième lettre :
Mets tes dix sous et je mettrai mes dix écus d’or.
Vasiliki, mon enfant bénie, je prie pour que tu te portes bien. J’ai reçu ta lettre de confession et j’ai vu tout ce que tu m’as écrit.
Tout est pardonné, Vasiliki, seul ce qui n’est pas confessé, n’est pas pardonné[262]. Mais il y a une condition : que le péché ne se renouvelle pas. Car lorsqu’il se répète, il donne aussi la possibilité aux autres péchés de se produire.
Ainsi je demande cette grâce : que tu ne retombes pas dans le péché et tout ira bien.
Le Liturgies t’aideront beaucoup. Et lorsque tu peux fais qu’elles se répètent, car elles seules peuvent faire sortir des âmes de l’enfer.
Pour l’instant, abstiens-toi de la sainte communion. Lorsque tu m’auras écris que désormais le mal a cessé, nous fixerons alors une petite pénitence correspondant à ce que tu mérites.
Pour ma part, je ferai les Offices d’Intercession ; non pas seulement sept, mais beaucoup et je continuerai pour que le Seigneur et sa sainte Mère te viennent en aide.
Donc, ne sois pas triste. Le Très Bon pardonne tout, pourvu qu’on ne renouvelle pas la faute. Le Seigneur te rendra resplendissante pour que tu sois comme neuve, comme une blanche colombe. La seule faveur que je te demande, c’est de ne pas continuer.
Je m’occuperai de toi tant que je vivrai. Veille sur toi. Je vais mourir sous peu. Je suis très sérieusement malade. J’attends mon heure. Je veux te mettre en rêgle. J’ai beaucoup supplié pour que le Seigneur t’éclaire ainsi que sa Mère en or. C’est peut-être pour cette raison que cette personne a vu ce qu’elle t’a dit.
Donc, fais un bon début. Mets tes cent sous, je mettrai mes cent écus d’or pour que tu ressuscites de la pourriture[263]. Je te tends la main ; sors de la fosse. Tout est vanité, mensonge et tromperie.
Tu vas très bien. Ne sois pas triste. Ne désespère pas. Courage. N’aie pas peur. Le Christ est bon – compatissant ; il pardonne tout. Je vois sa main invisible qui se tend en te criant : « Ma Vasiliki, ne pleure pas ! c’est pour toi que je suis venu sur terre et que je me suis fait homme ! »
Ne te plains pas de ta pauvreté. Le Christ Maître t’aime. Il est généreux, et il a pitié du premier comme du dernier.
Verse deux larmes d’une âme dolente, et toute la souillure est lavée.
Fais autant d’aumônes que tu peux, des Liturgies, des Offices d’Intercession, pour que le chemin vers le ciel s’ouvre, où tu recevras au centuple ainsi que la vie éternelle.
Ma joie serait d’apprendre que tu as commencé, avant que la mort ne survienne car alors c’est trop tard.
Ne perds pas te vue que j’aime ton âme plus que tes parents et tes enfants, qui t’aiment, le font. Ainsi, ne me laisse pas quitter cette vie, attristé.
Soixante seizième lettre :
Sois juste attentive et crains, fuis le péché.
Le Seigneur Dieu vit [264]!
Tu es très bonne, mon enfant bien-aimé ; c’est pour cela que le Christ t’a aimé. Un signe de cet amour, c’est sa divine grâce qui t’a visitée et assistée depuis que tu es une petite enfant.
Donc, mon enfant, sois attentive à toi-même[265]pour ne pas affliger notre Dieu qui est si bon par la petitesse d’une triste jouissance. C’est la jalousie de Satan, qui hait celui auquel le Christ ouvre les yeux de l’âme.
Éveille-toi donc, mon enfant bien-aimé et sois attentive à toi-même. Lui il voit ce que toi tu ne vois pas. Le Christ très miséricordieux essaye d’ouvrir les yeux de ton âme.
Ô, comme il est bon !
Mais le Malin qui le voit essaye de les fermer par la triste jouissance.
Ne cesse pas, mon enfant, de crier le nom du Christ. À chaque souffle médite sur son saint nom ; même si ton esprit (noûs) est distrait, ne te fais pas de souci.
Car cette constante méditation et ton constant désir de le voir le poussera à venir de lui-même te voir ; et à faire jaillir dans ton cœur une source rafraîchissante qui criera : « Seigneur Jésus-Christ aie pitié de moi ! ».
Dès lors tu seras continuellement dans la joie à[266] la voix et dans la douceur du Christ Maître.
Il suffit que tu sois attentive et dans la crainte de Dieu, fuis le péché. Il tombe comme la neige qui rend toute chose rigide.
Ce que tu m’as décrit, c’est une visite de Dieu. C’est la première visite faite à chaque pêcheur qui, s’étant repenti, revient vers Dieu.
Veille à te purifier toi-même au moyen d’une confession franche. Ne laisse pas l’impureté du péché en toi, pour ne pas offrir un prétexte au malin pour qu’il te terrasse.
L’homme, mon enfant, est incapable de faire quoi que ce soit de lui-même ; il n’a jamais eu, il n’a pas et il n’aura jamais la puissance de réaliser quelque bien que ce soit, sans que Dieu ne l’ombrage d’en haut.
Chaque bonne pensée, chaque bon mouvement de l’intellect (dianoia), est le fait d’une action de la grâce de Dieu. Si tu as accompli une tâche, sans la collaboration de ton corps, elle est de toi ; mais si c’est ton corps qui l’a réalisée, elle est à Dieu car ton corps est une création de Dieu. Si tu as conçu quelque chose en dehors de ton esprit (noûs), c’est à toi ; mais si tu l’as conçue au moyen de ton esprit, c’est à Dieu, car ton esprit (noûs) est une création de Dieu.
Par conséquent l’homme ne possède rien : tout vient de Dieu, et tout s’achève en Dieu.
Je t’écris ceci par l’intermédiaire de quelqu’un d’autre. Lorsque j’irai bien, car pour l’instant je suis malade, je t’écrirai de ma main.
Transmets mes nombreuses bénédictions à ton Père spirituel bien-aimé et dis lui que je vais bientôt pousser mon dernier soupir. Le médecin me retient avec ses piqûres en me disant que je vais aller bien, et la Fraternité me pleure ; on ne me laisse pas partir.
Soixante-dix septième lettre :
Si tu lis les vies des saints et si tu te fatigues un peu la nuit.
Ta lettre m’a rempli d’enthousiasme, ma chère enfant. Je prie pour que tu trouves rapidement la source de vie.
Tes lettres me montrent que tu n’es pas loin de la source.
La grâce t’a déjà ouvert la porte ; rentre plus avant ; frappe encore un peu au moyen de la prière fréquente ; alors, ce n’est pas une source qui t ‘ouvrira, mais les cascades du ciel et les sources de l’abysse ; en sorte que le sentiment que tu as maintenant et qui te pousse à aimer le Christ sera abreuvé et se développera.
L’enthousiasme que tu as est dû à la grâce purificatrice de Dieu qui avec compassion purifie l’homme.
La grâce se divise en trois états.
La première action de la grâce est appelée purificatrice et, après que l’homme ait été purifié, il lui est donné un autre don encore plus grand, que l’on appelle la grâce illuminatrice : il reçoit l’illumination de la connaissance spirituelle. La troisième grâce est appelée la grâce de la perfection[267], dont nous parlerons lorsque tu y arriveras.
Donc tu as reçu maintenant la part qui te convient. Et, quoi que tu fasses de bon, quoi que tu fasses de bien, souviens-toi que cela est dû à la grâce, comme l’ont écrit les Pères : « Il n’y a pas de bien qui ne vienne de Dieu, et il n’y a pas de mal qui ne vienne du diable[268]. »
Donc, quel que soit le bien auquel quelqu’un pense, il vient de la grâce de Dieu.
Et si maintenant tu te fais violence à toi-même dans la prière en priant sans cesse ; si tu lis les Vies de Saints et tu te fatigues un tout petit peu la nuit, tu obtiendras rapidement ce que tu cherches, et ta petite âme se réjouira de ce que le Christ t’a tant aimé.
Lui est amour et il nous demande l’amour, c’est quand nous aimons aussi notre prochain que nous montrons que nous l’aimons.
Fais-toi donc violence dans la mesure du possible et je prie pour que tu obtiennes rapidement ce que tu désires.
Soixante-dix huitième lettre :
Sans te donner beaucoup de mal tu peux rapidement atteindre un haut niveau.
Je me suis grandement réjouis, mon enfant, de ta bonne santé et de tous les bienfaits que tu accomplis auprès de nos frères Chrétiens.
Il est bien vrai que plus un homme vient en aide à son prochain, plus la grâce du Seigneur croît en lui ; car l’amour est le premier et le plus grand commandement de Dieu : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton âme et de tout ton cœur ». Le deuxième lui est semblable : « Et tu aimeras ton prochain comme toi-même », « De ces deux commandements dépendent toute la Loi et les Prophètes[269]. »
Ainsi, plus un homme est assoiffé du salut de son frère, plus son âme déborde de l’amour de Dieu.
Et sans te donner beaucoup de mal en menant le combat, tu atteindras rapidement un haut niveau. De fait, l’amour à part en tout : « Il ne se vante pas, il ne fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il ne tient pas compte du mal [270]», etc.
Ne vois-tu pas qu’il a part en tout et qu’il conduit rapidement à l’apatheia* celui qui le sert ? Et c’est à juste titre que le disciple que le Seigneur aimait a dit : « Dieu est Amour : celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui[271]. »
Vois-tu, mon enfant bien-aimée, que le Seigneur est toujours avec toi, lorsque tu gardes ses préceptes, et qu’un ange plein de fragrance évalue tes pas et toutes tes actions ?
Lis pieusement l’Ancien Testament et tu y puiseras le nectar divin de la foi et de l’amour ; en lui Dieu a parlé directement aux hommes et les anges les ont guidés.
Dieu est partout ; il n’y a pas de lieu d’où Dieu soit absent.
Plus tu fais attention à lui, plus il fait attention à toi.
Tu l’appelles : « Mon Dieu, ou es-tu ? », il répond : « Je suis là, mon enfant ! Je suis toujours à tes côtés ». Dedans et dehors, au-dessus et en dessous, où que tu te tournes, tout crie et appelle : Dieu.
Nous vivons et nous nous déplaçons en lui[272].
Nous respirons Dieu, nous mangeons Dieu, nous nous habillons avec Dieu.
Tout loue et bénit Dieu.
Toute la création est un appel.
Toute chose, inanimée ou animée, parle merveilleusement et glorifie le Créateur.
Que tout souffle loue le Seigneur[273] !
Ais toujours le saint Évangile dans ta poche et lorsque tu as la moindre opportunité, lis en un passage. Alors le Christ te donnera la lumière en te guidant selon ses préceptes. Il te comblera d’amour et te conduira pour que tu l’imites.
Appelle sans cesse ta Maman, lis les Salutations et elle te protégera ; elle te gardera toujours de tout mal.
Achète des livres : « Le pèlerin russe » et distribue les à nos frères Chrétiens, pour qu’ils en retirent un bénéfice spirituel.
Aie toujours une petite icône de la Toute Sainte sur toi, et vénère la quand tu vas dormir.
Plus tu l’aimeras, plus elle t’aimera ; et à chaque fois que tu l’invoqueras tu percevras sensiblement son aide et sa consolation.
Elle intercède toujours et sans cesse à chaque fois qu’un de ses enfants l’appelle ardemment.
Soixante-dix neuvième lettre :
Que tout le désir de l’âme absorbe Dieu.
Une vague de joie a submergé mon âme, mon enfant, à cause des belles paroles par lesquelles tu me racontes comment la grâce de notre Dieu, béni et saint, t’a visité. Désormais, j’ai à nouveau recommencé à recouvrer la santé.
Pendant quarante jours, je n’ai rien mangé. Ils ont veillé pendant trois nuits en s’attendant à ce que je meurs, mais mon heure n’est pas encore venue, une fois de plus. Mes petits enfants ont pleuré sans cesse ; ils m’ont servi comme des anges de Dieu. Désormais à nouveau je suis capable de saisir des choses, d’écrire, de répondre à tous ceux qui m’écrivent et qui attendent une réponse.
Tu m’as écris , mon enfant bien-aimée, au sujet de la grâce que tu ressens dans ton cœur, aussi je vais commencer à te répondre en te parlant de l’amour.
Puisque Dieu est tout entier amour, et puisque tout ce qu’il a fait en haut comme en bas s’est produit à cause de l’abondance de son amour, il n’a rien demandé d’autre à l’homme que de l’amour.
Lorsqu’il a donné la loi écrite à Moïse, le premier et le plus grand de tous les s qu’il proclama ce fut : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton âme, de toute ton intelligence (dianoia), de toutes tes forces[274]. »
C’est-à-dire que tout le désir de ton âme absorbe Dieu.
La connaissance, la sensation, l’intellect (dianoia), la contemplation, la limpidité, et chaque mouvement de l’esprit (noûs), que tout en toute chose intellige Dieu. Et que l’homme, l’argile, rende : « ce qui est à toi le tenant de toi ».
C’est vraiment un grand paradoxe !
Toutes les vertus, et tous les charismes divins ont une sensibilité et une énergie, l’amour divin.
De sorte que lorsque quelqu’un arrive à aimer celui qui aime, il transcende la sensation ; alors l’amour divin agit, et la contemplation règne.
Alors celui qui est mu par l’amour divin s’écrie : « Ô mon Jésus, doux amour ! Avant que je te voie, tu m’as vu. Ô lumière de mon âme ! Avant que je te connaisse, toi tu t’es révélé en personne à moi. Avant que je t’aime, tu m’as aimé.
Ô ma vie et mon doux souffle, j’étais dans l’obscurité et ta douce voix m’a éveillé en m’appelant. Je t’ai vu, lorsque tu t’es fait connaître de moi. Ta connaissance, c’est ta divinité.
Ô ma joie et exultation de mon âme ! Ô amour céleste ! Ô amour qui brûle sans consumer ! ».
Quatre-vingtième lettre :
Une fois que l’on aime Dieu, on aime son prochain comme soi-même.
Ainsi, mon enfant bien-aimée, lorsque cet amour commence à brûler, alors on commence à accomplir le deuxième commandement.
Une fois que l’on aime Dieu, alors on aime son prochain comme soi-même.
Entends-tu ce que dit le Seigneur ? Ainsi lorsque toi, mon enfant bien-aimée, tu languis d’être utile à ton prochain et que tu vas lui dire ce que tu sais, en ayant soif de l’aider, c’est l’amour pour le prochain ; tu aimes ton prochain comme toi-même.
Ce que tu me dit que tu ressens dans ton cœur et qui te cause de la joie, de l’exultation, c’est l’amour de Dieu, qui commence à agir dans ton âme.
Si donc tu fais attention à toi-même[275], si tu dis continuellement la prière, et que tu aides tes frères humbles, tu allumes la flamme de l’amour de Dieu dans ton âme. Et plus tu es assoiffé et cours pour aider l’autre, plus Dieu déverse le torrent de l’amour et t’abreuve.
Et quand tu entends l’Apôtre Paul dire : « Qui peut me séparer de l’amour[276] ? » Ce n’est pas l’apôtre Paul qui le dit, mais cet amour qui crie à l’amour dans le vase d’argile de Paul.
C’est pourquoi : « Celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui, car Dieu est amour [277]». Et en quelque lieu que cet amour s’abatte, il brûle sans se consumer. Il est assoiffé et sa soif est inextinguible. Le cœur s’enflamme d’amour, et crie : « Où es-tu mon doux amour, mon Jésus, lumière de ma vie ? ». Et le cœur s’enflamme encore davantage, jusqu’à la cessation des sens.
Aussi, mon enfant bien-aimée, ne recherche rien d’autre que l’amour.
« Rends-moi digne de t’aimer Seigneur, autant que toi tu m’as aimé ».
Mais maintenant cela suffit, mon petit, car je suis fatigué ; mes problèmes de respiration me font beaucoup souffrir. Je t’avais envoyé aussi un autre petit mot écrit par le Papa-Éphrem ; j’étais alors incapable de tenir la plume. Maintenant, gloire à toi ô Dieu, je recommence à écrire.
Fais très attention, mon enfant, aux hérétiques. Tu es au milieu de nationalités et de langues étrangères…
Ne leur parle pas du tout, car ta petite âme pure sera souillée par leurs paroles blasphématoires. Notre église orthodoxe les a rejetés.
Quatre-vingt et unième lettre :
Je ne quitte pas la Sainte Montagne ; c’est là que je m’endors avec mes Pères.
À peine quatre jours ce sont écoulés, mon enfant, depuis que je t’ai envoyée une lettre, que je recommence à t’écrire un petit mot pour que tu le gardes en souvenir.
Depuis que tu m’as quitté, j’ai pris la responsabilité d’être ton père spirituel ; de prier pour toi non pas comme pour un étranger mais comme pour mon fils bien-aimé. Et outre les Liturgies et d’autres prières, je dis six chapelets pour toi chaque nuit.
Je te remercie de tout ce que tu as fait pour nous. Désormais ne te fais plus de souci.
Sois patient dans les contrariétés et tes faiblesses, appelle le Christ, que la petite prière ne fasse jamais défaut dans ta bouche. Que sa douceur ainsi que celle de notre Bonne Mère te protège de tout mal.
Je t’ai déjà envoyé aussi un autre petit fascicule, le deuxième. Maintenant je t’envoie le troisième. Mais je m’affaiblis, je ne sais pas si je pourrais t’écrire encore un autre ; si je ne peux pas, je prierai pour vous dans l’autre monde.
Ma bénédiction[278] sera toujours avec vous.
Que le Christ et la Toute Sainte vous aide ; que leurs noms très doux et très désirables soient toujours dans ton esprit et dans ton cœur. Cela vaut beaucoup de prières.
Ne t’afflige pas de ce que tu ne trouves pas la grâce dans ta prière. Elle reviendra encore une fois. C’est pour cela qu’elle se retire : pour que tu la recherches avec davantage de flammes. Lorsqu’elle vient sois davantage attentif à ne pas la perdre. Mais elle se retirera encore.
C’est de cette façon que l’on devient un homme accompli (teleios), de la pratique* (praktikos) et expérimenté capable de diriger aussi les autres à coup sûr dans la voie du salut.
Or donc, fais-toi violence et fais attention aux pièges du diable. Car les violents s’emparent du Royaume des Cieux[279].
Quant à ce que tu m’écris, tes frères spirituels ont pris soin de tout ; aujourd’hui encore sont venus médecins et injections, mais la main du Seigneur est sur tout.
Je t’ai écrit que mes difficultés respiratoires venaient d’une maladie cardiaque, mais la vérité profonde est qu’elles viennent de Dieu. Car, dans ma jeunesse, combattre relevait de mon libre choix (proairesis)[280], maintenant il est nécessaire que nous combattions malgré notre libre choix[281]pour recevoir une plus grande récompense.
Je vois tout, mon enfant, mais que puis-je faire ? Tes frères ne chôment pas. Ils cherchent à me ranimer. Mais je vois que la main du Seigneur est sur moi. Moi, misérable, je pleure inconsolé et inutilement. Je leur crie : « Laissez-moi mourir [282]!».
Je ne quitte pas la Sainte Montagne. Je ne vais nulle part, pour ne pas mourir en chemin ; je m’endors ici avec mes Pères.
Je t’embrasse.
L’humble P. Joseph.
[1] Prosternation (métanie) que fait un disciple devant un Ancien pour se placer sous son obéissance.
[2] « Celui qui aime Dieu dans le sens du cœur, celui-là a été connu de lui ; dans la mesure en effet, où l’on reçoit à l’intime de l’âme l’amour de Dieu, dans cette mesure on devient l’ami de Dieu. C’est pourquoi, désormais un tel homme vit dans un ardent amour pour l’illumination de la connaissance, jusqu’à ce qu’il sente le sens même de ses os, ne se connaissant plus lui-même, mais transformé tout entier par l’amour de Dieu. » S. Diadoque de Photicée, Œuvres spirituelles, SC 5 bis, 1966, p. 91, 10 –16 (chap. XIII).
[3] Cf. Diadoque de Photicée, œuvres spirituelles, SC 5 bis, 1966,p. 108, 4 – 8 (chap. XL) : « Que l’esprit (noûs), quand il commence à être fréquemment sous l’influence de la divine lumière, devienne tout entier transparent (diaphanès), au point de voir lui-même l’opulence de sa lumière, il ne faut pas le contester. On dit que cela se produit quand le pouvoir de l’âme s’impose aux passions. Mais que tout ce qui lui apparaît en figure, soit comme lumière, soit comme feu, vienne des maléfices de l’ennemi, le divin Paul nous l’enseigne clairement en disant que celui-ci se déguise en ange de lumière (2 Cor., 11, 14)»
[4] La théologie dépend donc de la grâce qui suscite l’illumination de la connaissance. La théologie semble désigner ici une connaissance supérieure de Dieu accordée par la grâce de l’illumination et cette grâce peut comporter le degré d’oraison le plus élevé : « Le plus haut état d’oraison, c’est lorsque l’esprit sort de la chair et du monde et, dans l’acte de la prière, perd toute matière et toute forme. Se maintenir sans défaillance en cet état, c’est en réalité prier sans cesse »S.Maxime le Confesseur, Centuries sur la Charité, II, 61 (= SC 9, p. 112). Cette connaissance étant pur don de Dieu mais n’est pas vision de Dieu dans son essence mais dans ses attributs, ses énergies : « Connaissable à un certain point de vue, inconnaissable à d’autres, est Dieu, ainsi que le divin. Connaissable, par la contemplation de ses attributs ; inconnaissable par celle de son essence. » id., ibid., IV, 7 (=SC 9, p. 153).
De même la grâce de l’illumination est indispensable pour qui veut parler des choses de Dieu : « Il est donc beau d’attendre sans cesse, par une foi active dans la charité, l’illumination qui porte à parler ; car rien n’est plus indigent que la pensée qui philosophe en dehors de Dieu sur les choses de Dieu » S. Diadoque de Photicée, Œuvres spirituelles, SC 5 bis, 1966, p. 57, 17-20 (chap. VII).
[5] Cf. Lettre 48, p…Cette comparaison est très fréquente chez les Pères par ex. : « Dans cet état il est enflammé par l’Esprit et devient tout de feu en son âme ; il communique aussi à son corps son propre éclat, à la manière du feu matériel qui communique au fer sa propre nature, et son âme devient pour le corps ce que Dieu est devenu pour l’âme. » S. Syméon le Nouveau Théologien , Éthique VI, 130 – 134 (SC 129,p. 130 –131).
[6] Cf ; I Tim. 6, 12.
[7] Phrase citée d’après l’édition anglaise revue par l’auteur de la préface.
[8] Le Mont Athos.
[9] Le verbe schématizô qui peut avoir le sens de « donner une forme à », s’applique ici aux « formes » des choses sensibles. Les démons « forment » des images dans le sommeil, cf. Diadoque de Photicée, œuvres spirituelles, SC 5bis, p.113( =chap. 49, 2)
Cf. S. Maxime le Confesseur, Centurie IV sur la théologie (38), in Philocalie I, p. 482 : « Dans sa malveillance, le malin a coutume de joindre à leurs pensées les apparences (eidé) et les formes (schémata) des choses sensibles. Car c’est par les pensées que se créent naturellement les passions autour des manifestations du visible, quand s’arrête l’énergie de la raison (logikés) qui, en nous, traverse les sens médiateurs pour parvenir à l’intelligible. C’est alors que le malin a la force de dévaster l’âme et de l’entraîner dans la confusion des passions. »
Marc le Moine, Traités, SO 41, p ; 22.La loi spirituelle : « (141) La suggestion (prosbolé) est un mouvement du cœur sans image ; ceux qui en ont l’expérience en prennent possession d’avance comme d’un col de montagne.
(142) Là où les pensées s’accompagnent d’images, c’est qu’il y a consentement (synkatathesis). La suggestion (prosbolé) n’est pas coupable tant qu’elle n’est pas accompagnée d’image. Il en est qui leur échappent comme un tison hors du feu, et il en est qui ne se détournent pas jusqu’à ce que les flammes aient tout embrasé. »
Voir aussi la lettre 72 et note 252.
[10] 1 Th. 5, 17-18.
[11] Cf. S. Isaac le Syrien, Œuvres spirituelles, DDB 1981, p. 261 : « L’épreuve ne vient pas si l’âme n’a pas d’abord reçu dans le secret une grandeur qui dépasse sa mesure, si l’Esprit ne lui a pas d’abord donné sa grâce.>>
[12] Invocation du prêtre juste avant la consécration des Saints Dons.
[13] « L’esprit (noûs) exige de nous, quand nous fermons toutes ses issues par le souvenir de Dieu, une œuvre qui doive satisfaire son besoin d’activité. Il faut donc lui donner le « Seigneur Jésus » comme la seule occupation qui réponde entièrement à son but. « Personne, en effet, ne dit ‘Jésus est Seigneur’, si ce n’est dans l’Esprit Saint » (1 Cor., 12, 3). Mais qu’en tout temps il contemple si exclusivement cette parole dans ses propres trésors qu’il ne se détourne vers aucune imagination ».Diadoque de Photicée, op. cit., p. 119, § LIX.
[14] Allusion à la manifestation de Dieu à Élie, cf. I Rois 19, 12. La BJ note avec justesse qu’ouragan , tremblements de terre, éclairs ne sont plus cette fois, cf. Ex 19, 16 +, que les signes précurseurs de Dieu. Le murmure du vent symbolise la spiritualité de Dieu, cf. Jn 3, 8 ; 4, 24, non sa douceur, cf 19, 15-17.
[15] Katanyxis. Sur cette notion cf. S. Jean Climaque, L’Échelle sainte, 7, 1, 2, 3, 57, 67. (SO 24, 1987)
[16] Ac. 17,28.
[17] Cf. Mt 13,8 :<< D’autres grains sont tombés dans la bonne terre et ont donné du fruit, l’un cent, l’autre soixante , l’autre trente.>>
[18] Cf. Os. 10, 12 et S.Syméon le Nouveau Théologien, Traités théologiques et éthiques II, SC 129, p. 99 (= Éthique V, 255 – 256) : « Il n’y a pas d’autre moyen de connaître Dieu, sinon par la contemplation de la lumière qui émane de lui. »
[19] Sur ces trois phases voir la lettre 2.
[20] Opuscule traduit à la suite des lettres cf. p…………………..
[21] 1 Tim 2,4.
[22] Ps. 24, 18.
[23] Selon les Pères, le Huitième Millénaire est la période qui précède l’avènement de l’Antéchrist, cf. S. Jean Damascène, La foi orthodoxe, II, 1 (= trad. E. Ponsoye, éd ; de l’Ancre, 1992, p.68) « …On parle donc de sept éons de ce monde-ci, c’est-à-dire depuis la création du ciel et de la terre jusqu’à la consommation générale et la résurrection des hommes. Il y a en effet une consommation partielle, c’est notre propre mort ; il y en aura une commune et universelle, quand viendra la résurrection générale. Ce sera le huitième temps, l’aïon à venir. »
[24] Ps. 103, 24.
[25] Cf. S. Jean Climaque, Échelle sainte, 4, 122 : « Fais rentrer en toi avec l’air que tu respires, inséparablement, les paroles de celui qui a dit : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé » (Mt. 10, 22) et aussi 14, 3§ ainsi que l’adage : « Que le souvenir de Jésus ne fasse qu’un avec ton souffle, et alors tu connaîtras l’utilité de l’hésychia » (27, 62).
[26] Cf. Rom. 6,6.
[27] Cf. S.Isaac le Syrien, 46ème discours : « L’épreuve ne vient pas si l’âme n’a pas d’abord reçu dans le secret une grandeur qui dépasse sa mesure, si l’Esprit ne lui a pas d’abord donné sa grâce. »
Isaac le Syrien, Œuvres spirituelles, DDB 1981, p. 261 (Traduction de J. Touraille.)
[28] Si nous ne faisons pas de progrès, cela vient de ce que notre cœur n’est pas attentif (prosoché) : « En vérité si nous voulions un peu combattre, nous n’aurions pas à souffrir ni à peiner longtemps, car si dans les débuts on doit se forcer (biazétai), on avance du moins peu à peu en combattant et on finit par agir dans la paix, Dieu voyant la violence qu’on se fait (biazetai) et accordant son secours. » S. Dorothée de Gaza, œuvres Spirituelles, SC 92, 1963,p. 337 § 104.
[29] S. Jean Climaque, L’échelle sainte, SO 24, 1,12 p.35 (12) :<< Le moine, c’est une violence continuelle faite à la nature et une vigilance incessante sur les sens.>>
[30] Cette attention correspond à la « garde de l’esprit », cf. par ex. Diadoque de Photicée, œuvres spirituelles, SC 5 bis, p. 159, § 97 : « Qui donc veut purifier son cœur qu’il l’embrase constamment par le souvenir de Jésus, en faisant de cela seul son étude et sa pratique constantes. Car il ne faut pas tantôt prier, tantôt non, quand on veut se défaire de sa pourriture ; il faut toujours s’adonner à l’oraison dans la garde de l’esprit (térésis tou nou), même si l’on séjourne hors des maisons de prières. »
[31] id. ibid., 26, 25, p. 237 (25) : <<Les anges sont une lumière pour les moines, et la vie monastique une lumière pour tous les hommes. Que les moines s’efforcent donc de devenir de bons modèles en toutes choses, ne donnant à personne occasion de scandale dans leurs œuvres et leurs paroles. Car si la lumière devient ténèbres, combien plus obscures deviendront les ténèbres elles-mêmes, je veux dire ceux qui vivent dans le monde.>> .
[32] Cf. Sentences des pères du désert, collection alphabétique, Solesmes 1981, p. 39 (90) = Agathon 8.
« L’homme est semblable à un arbre : le labeur corporel est le feuillage, et la garde du dedans, le fruit. » Voir aussi Théolepte de Philadelphie, Lettres et Discours, Migne les Pères dans la foi, 2001, § 3 p. 82 = Philocalie (ed. Touraille) II, p. 349 : « La profession monastique est un grand arbre couvert de feuilles et de nombreux fruits. Sa racine est le renoncement à tous les biens corporels, ses rameaux sont le détachement de l’âme et la suppression de tout rapport avec les objets qu’elle a fuis ; son fruit est l’acquisition des vertus, l’amour déifiant, avec la jouissance ininterrompue qui en découle. Car il est écrit : « Le fruit de l’Esprit est l’amour (agapé), la joie, la paix. » ( Gal. 5, 22).
[33] Ici les règles qui régissent la vie d’un moine, cf. index
[34] L’affliction ou tribulation n’est ni péché ni conséquence du péché, Abraham, Job, le Christ y furent soumis. C’est une grâce quand on la supporte en patience dans la participation de l’Esprit. Elle vient soit de l’amour, pour nous faire coopérer à l’œuvre rédemptrice du Christ, soit de notre malice, pour nous pousser à la pénitence. De toute manière l’issue de l’épreuve est la mort du péché. Refuser la tribulation revient à refuser le remède et risquer retomber dans le péché. Cf. Marc le Moine, Traités, SO 41, 1985, note 48 p.40.
[35] Recueil d’apophtegmes.
[36] C’est-à-dire le noûs.
[37] I.e. la colère.
[38] Mc. 9, 29.
[39] Cf. Ps.2, 12.
[40] Cf. Apophtegmes des Pères du désert, série alphabétique, Solesmes 1981, p. 171 = (453) Longin 5
[41] Cf. 1 Cor. 13,8.
[42] L’amour du Christ.
[43] entra en katastasis.
[44] Prière de la Liturgie qui précède la consécration des saints dons : « Ce qui est à toi, le tenant de toi, nous te l’offrons en tout et pour tout. »
[45] Jc. 1, 17.
[46] Ps. 148, 5.
[47] L’Ecclésiastique (Sagesse de Sirach ou Siracide)7, 36 : « Dans tout ce que tu fais souviens-toi de ta fin et tu ne pécheras jamais. » (version BJ)
[48] Hb. 13, 5.
[49] Cf. Jb. 1-3.
[50] Cf. Jb. 42, 6.
[51] Lc 24, 32.
[52] Cf. Cf. Mc. 14, 52.
[53] Le mot en grec a aussi le sens de ressusciter.
[54] C’est-à-dire de tout ce qui participe à l’être : de la création. Sur ce thème, cf. Maxime le Confesseur, Centuries sur la Charité, SC 9, 85 à 100 p. 88 – 92 ; lorsque l’esprit est pur, il perçoit les notions des êtres et, au-delà il se tourne vers la connaissance de la Sainte trinité. La perception non passionnée des étants, selon leur nature, est un signe de la bonne santé de l’âme et : « (92). Celui qui pratique à la perfection les vertus et a acquis le trésor de la connaissance voit désormais les choses selon leur nature et par conséquent agit et pense toujours selon la droite raison, sans jamais se tromper. Car c’est l’usage raisonnable ou déraisonnable que nous faisons des choses qui nous fait vertueux ou pervers. » Voir aussi Evagre, Traité Pratique, SC 171, p. 621 (chap. 53) : « Ceux qui, par le moyen de ce corps, ont obtenu l’impassibilité de l’âme et perçoivent dans une certaine mesure la contemplation des étants. » ou : « L’intellect ne pourra voir en lui le lieu de Dieu, s’il ne s’est pas élevé au-dessus de toute les représentations liées aux objets (= les représentations qui ont une origine sensible) ; il ne s’élèvera pas, s’il n’a pas dépouillé les passions qui l’attachent par les représentations aux objets sensibles. Et les passions, il les quittera par les vertus, les pensées simples (= dépourvues de tout élément passionnel) par la contemplation spirituelle ; et celle-ci à son tour, il la quittera quand lui sera apparue cette lumière qui, au moment de la prière, modèle le lieu de Dieu. » Evagre, Sur les Pensées, SC 438, 1998, § 40, p. 289 – 290.
À la contemplation naturelle (phusiké) où l’âme perçoit les « raisons » des êtres, succède la « théologie ».
[55] Adoleschô : pour ce sens ce. E. Trapp, Lexikon, I 22 (b). Ce verbe a souvent un sens proche de celui de : «bavarder avec autrui ou avec soi-même d’où : se vouer à une occupation intellectuelle ou spirituelle, retourner longuement dans son esprit ».Cf. Dorothée de Gaza, SC 92, p. 546 (index).
[56] Cf. Gn. 3, 19.
[57] 1 Jn. 4, 18.
[58] Au ciel bien sûr.
[59] Cf. BA 18, 164= Eccl. 10, 16 : « Malheur à toi, ville dont le roi est un jeune. »
[60] C’est-à-dire que l’esprit est sans cesse en mouvement. Cf. S. Jean Climaque, Échelle sainte, 28, 17 : « Efforce-toi d’élever ta pensée, ou plutôt de l’enfermer dans les mots de ta prière ; et si à cause de son état d’enfance, elle faiblit et tombe, ramène-la à nouveau. L’instabilité est propre à l’esprit (noûs), mais Dieu a le pouvoir de tout rendre stable. » (SO 24,p. 292).
[61] 2 Co, 12, 7 : « Pour m’éviter tout orgueil, il a été mis une écharde dans ma chair. »
[62] Prolépsis : je prends ici le mot avec son sens courant de : « préjugé, prévention » voir par ex. S. Syméon le Nouveau Théologien, SC 129, 11 (= Éthique IV, 40) qui parle précisément des « préventions »que peuvent avoir contre la vie ascétique ceux qui sont attachés au monde.
Dans la littérature ascétique, le mot a souvent un sens très technique, celui de : « prédisposition ». C’est-à-dire le souvenir d’une faute passée qui peut pousser le spirituel à retomber dans le même pêché. Cf. Marc le Moine, Traités spirituels et théologiques, SO 41, 1985, I La loi spirituelle §140, p. 22 : « La prédisposition est une réminiscence involontaire de méfaits que le lutteur empêche de dégénérer en passion, mais dont le vainqueur interdit même la suggestion. » Cf. aussi II De ceux qui pensent êre justifiés par les œuvres, § 140, p. 56. Il n’est pas exclu que le mot ait ce sens technique comme le montre la suite du texte : l’esprit purifié n’est plus sensible aux souvenir des passions qui se sont nichées en lui lorsque le lutteur vivait dans le monde.
[63] ou : « Dans le péricarde. »
[64] i. e. le Père spirituel.
[65] Cf. S.Syméon le Nouveau Thélologien, Éthique IV, 586 –595 (= SC 129, p. 51) : « Ceux qui ont donc été jugés d’être unis à lui et de l’obtenir pour tête, ceux-là deviennent aussi dieux par adoption, semblables au Fils de Dieu. Quelle merveille ! Le Père les revêt de leur première robe (Lc 15, 22), de ce manteau dont le Seigneur était revêtu avant la fondation du monde, car il est dit : « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ » (Gal. 3, 27), c’est-à-dire l’Esprit-Saint qui nous fait subir d’une manière digne de Dieu, dans tout notre être une mutation (alloiôsis) inouïe, ineffable et divine dont parle David : « Voici la mutation opérée par la droite du Très-Haut » (Ps. 76,11) »
[66] Cf. id. ibid.Éthique V, 143 – 145 : « De même que sans fondations, le toit d ‘une maison ne tient pas, de même non plus, sans la foi et l’espérance ferme, l’amour de Dieu ne peut se trouver dans l’âme de l’homme. »
[67] Cf. Diadoque de Photicée, Chap. XVI : « Nul ne peut aimer dieu dans les sens du cœur s’il n’a d’abord commencé par le craindre de tout son cœur ; en effet, purifiée par l’action de la crainte et comme assouplie, l’âme en vient à pratiquer l’amour. Mais elle ne saurait arriver complètement à la crainte de Dieu de la façon susdite, si elle ne sort de tous les soucis temporels ; car lorsque l’esprit (noûs) s’est mis dans une grande paix et un grand détachement (amerimnia), alors la crainte de Dieu le tourmente, en le purifiant dans un sentiment profond, de toute l’épaisseur terrestre, pour le conduire ainsi à un grand amour de la bonté de Dieu. De la sorte, la crainte est le fait de ceux qui se purifient et s’accompagne d’une charité moyenne ; l’amour parfait appartient à ceux qui sont déjà purifiés, en qui il n’y a plus de crainte. » Cent Chapitres, in SC 5 bis, 1955, p. 92 – 93.
Dorothée de Gaza (Instruction IV, De la divine crainte) distingue la crainte des châtiments qui est celle des débutants de la crainte de celui qui aime, c’est la crainte parfaite qui correspond à l’amour parfait de celui qui redoute de perdre cet amour ; cf. SC 92, 2001, p.220 sq.
« La charité est fille de l’impassibilité ; l’impassibilité est la fleur de la pratique ; la pratique repose sur l’observation des commandements ; ceux-ci ont pour gardien la crainte de Dieu, laquelle est un produit de la foi droite ; et la foi est un bien immanent, elle qui existe naturellement même chez ceux qui ne croient pas en Dieu. » Evagre le Pontique, Traité pratique, SC 170 –171, 1971, Sentence 81, p. 670 –671 et Isaac le Syrien, 1er discours : « La crainte de Dieu est le commencement de la vertu. On l’a dit : cette crainte naît de la foi, elle est semée dans le cœur quand l’esprit se retire de la diversion du monde pour recueillir ses pensées par la distraction, en les rassemblant dans la méditation du rétablissement futur. »(trad. Touraille, p. 59).
[68] Cf. Ps. 41, 3 : « Mon âme a soif de Dieu, du Dieu fort, du Dieu vivant ; quand irai-je et paraîtrai-je devant la face de Dieu ? ». Pour « thea » désignant la vision de Dieu, par ex. Syméon le Nouveau Théologien, SC 129, p. 281, 296.
[69] Un disciple qui obéit parfaitement à son Ancien bénéficie de sa grâce aussi bien avant qu’après sa mort.
[70] Cf. Gn. 5,27.
[71] Cf. Ps. 15, 8 : « Je mets le Seigneur constamment sous mes yeux ; puisqu’il est à ma droite, je ne chancellerai pas. »
[72] Premier livre des Règnes 15, 22 = BA IX, 1, p. 279.
[73] Cf. Eph. 6, 11.
[74] C’est-à-dire aux passions.
[75] Gn. 3, 11.
[76] Mt. 10, 37.
[77] Lc. 9, 62.
[78] Eccl. 5, 4 = BA 18, p. 134.
[79] En quittant le monde.
[80]Cf. Ps. 50, 12 : « Crée en moi un cœur pur, ô Dieu, et renouvelle en ma poitrine un esprit droit (pneuma égemonikon) ».
[81] Cf. Jn. 10, 17 : « Si le Père m’aime, c’est que je donne ma vie pour la reprendre. »
[82] Même verbe que : « ressusciter ».
[83] ou : nous souffrons comme des martyrs.
[84] Jb. 42, 5-6 (LXX).
[85] Cf. Mt 13, 46.
[86] Ps 72, 2 : « Pour moi, mes pieds ont presque chancel, mes pas ont failli glisser. »
[87] Cf. Ps 39, 3.
[88] Allusion à la Prière mentale.
[89] I Cor. 9, 27.
[90] Cf. Rom. 11, 34.
[91] Cf. Ps 129, 3.
[92] Cf. Mc. 5, 12.
[93] Cf. Mc 1, 24.
[94] Ps. 102, 12.
[95] Plantes médicinales
[96] Cf. Jn 9, 4 : « Tant qu’il fait jour, il nous faut travailler aux œuvres de celui qui m’a envoyé : la nuit vient où personne ne peut travailler. »
[97] Cf. 2 Sm 12, 13.
[98] Cf. Mt. 9, 27.
[99] Hb 7,7.
[100] Cf. Phil. 3, 12 – 13 : « Oubliant le chemin parcouru et tout tendu en avant, je m’élance vers le but.. »
[101] Cf. Lc 22, 31.
[102] Cf. Rm. 8, 26.
[103] Gal. 4, 6.
[104] Cf. Jn 20, 19.
[105] Cf. Mt. 26, 35.
[106] Cf. Rm. 8, 26.
[107] Le mot ‘proairesis’ a souvent ce sens dans les écrits ascétiques, par ex. SO 40, index p. 415
[108] Cf. 1 Cor. 2, 9.
[109] 2 Cor. 12, 7.
[110] Cette anecdote est rapportée en détail par l’Ancien Éphrem de Katounakia dans une de ses lettres. Cf. P. Joseph de Katounakia, L’Ancien Éphrem de Katounakia, L’Age d’Homme 2002, p. 194 – 195.
[111] Cf. Ps. 65, 10 : « Tu nous as éprouvés, ô Dieu, tu nous as épurés au feu comme on épure l’argent. »
[112] Ps. 4, 1.
[113] Ps. 117, 18.
[114] Ps. 65, 12.
[115] Selon la conception grecque traditionnelle l’âme est divisée en trois parties : la partie concupiscible ou désirante encore appelée convoitise (epithumikon), et la partie irascible (thumikon), ce sont des facultés naturelles de l’âme qui doivent être soumises à l’esprit (noûs), comme une paire de chevaux à un conducteur de char. Cette image qui vient de Platon (Phèdre, 254 ad) est souvent reprise par les Pères, par ex. « Si l’esprit (noûs) a l’hégémonie sur ce qui a été introduit du dehors comme l’Écriture le suggère, quand elle ordonne aux hommes de commander aux animaux, la crainte nous rendra obéissants, la colère courageux. Mais si l’esprit (noûs) lâche les rênes et, s’embarrassant dans la chair, est emporté par l’élan aveugle des coursiers, les élans (ormai) deviennent des passions (pathé), telles qu’on les voit chez les animaux. » S. Grégoire de Nysse, (PG XLIV, 428 C).
[116] Mc. 4, 39.
[117] Cf. S. Maxime le Confesseur, Questions à Thalassios, 61 (PG 90, 628) : « En organisant la nature humaine, Dieu n’impressionna sa sensibilité ni dans le sens du plaisir ni dans le sens de la douleur. Mais il doua son esprit (noûs) d’une puissance de plaisir qui le rendait capable de jouir ineffablement de lui. Or cette puissance, le premier homme, dès sa venue à l’existence, la livra à la sensibilité. Et du coup il se trouva orienté, contrairement à sa nature, vers le sensible, par le plaisir agissant en lui. Mais face à cette force, l’auteur de notre salut dressa la puissance vengeresse de la douleur, qui implanta dans la nature humaine la loi de la mort, loi toute sage, limitant l’élan contre -nature qui jette au sensible l’esprit en folie. »
[118] Cf. Rm 6, 6.
[119] C’est ce que signifie le mot myrobolite e.g. S. Simon le Myrobolite, le fondateur de Simonos-Pétra.
[120] Ps. 145, 8.
[121] Cf. note 64.
[122] Cf. S.Nicodème l’Hagiorite, Manuel de conseils spirituels, p. 116-117 (ed. grecque).
[123] Cf. 2 R 6, 16.
[124] Cf. Ps 103, 4.
[125] Cf. Mt 26, 41.
[126] C’est le cas dans le rite orthodoxe.
[127] Cf. Pr 1, 7 et Ps. 110, 10.
[128] Cf. Ps. 111, 1.
[129] Cf. 1 Cor. 3, 18 – 20 : « Que nul ne se dupe lui-même ! Si quelqu’un croit être sage à la façon de ce monde, qu’il se fasse fou pour devenir sage ; car la sagesse de ce monde est folie auprès de Dieu ».
[130] Ps. 15, 8.
[131] Sur ce mot, cf. Diadoque de Photicée, Œuvres Spirituelles, SC 5bis, intr.§38,p. 38. Cette plénitude est liée à une notion de ferme certitude intérieure.
[132] Sur ce point la pratique du P. Joseph s’est modifiée ; cf. Lettre 49.
[133] Cf. Actes 17, 28.
[134] Cf. Rm 6,6.
[135] Cf. Rm 6, 6.
[136] Expression du renoncement monastique. Cf. Mt 10, 34-38 et l’Échelle Sainte, degré 3, 16. Comme l’explique le P. Joseph dans la Lettre 48, il faut d’abord se purifier soi-même dans l’hésychia pour devenir un réceptacle de la grâce, et alors, mais alors seulement, un moine peut être utile aux autres.
[137] Allusion au récit de la création de l’homme.
[138] Cf. Ga. 6, 14.
[139] Gn 19, 26.
[140] Cf. Ps 140, 4.
[141] Métaphore pour désigner le monastère.
[142] Inspirera au fils ce qu’il doit faire.
[143] Cf. S. Isaac le Syrien, œuvres spirituelles, 11ème Discours, p. 105
[144] S. Isaac le Syrien op. cit. 51ème Discours, p. 281 : « Si tu meurs dans ton corps en combattant pour le Seigneur, lui-même te couronnera. Dieu donnera à tes reliques l’honneur des martyrs. »
[145] Le processus de la tentation se décompose en plusieurs phases bien distinguées par les Pères :l’attaque, apparition de la pensée ou de l’image, la liaison : qui est une conversation avec celle-ci, le consentement : l’âme acquiesce et prend plaisir à accomplir la faute, et la captivité : entraînement violent et involontaire, attache permanente qui détruit l’âme. Voir par exemple : S. Jean Climaque, Échelle Sainte, SO 24, §74 et 75, p. 171-172 où tout ceci est expliqué en détails.
[146] Cf. L’Échelle Sainte, 4, 29.
[147] Tout ce passage fait allusion à l’humilité, à la kénose de Dieu lors de l’incarnation.
[148] Ps. 17, 10.
[149] Cf. Ps. 140, 2 : « Que ma prière monte devant toi comme l’encens ».
[150] Cf. note 140.
[151] Cf. Ps 101, 7 ;
[152] Apostrophè. L’aversion des passions est indispensable pour s’en délivrer car : « Il est impossible de sortir de l’état de péché tant qu’on ne l’a pas en aversion. » S. Isaac le Syrien, op. cit., 55ème Discours, p. 292. Et aussi du même 42ème Discours,p. 240 : « Tant qu’on ne méprise pas vraiment de tout son cœur la cause du péché, on n’est pas délivré du plaisir de son énergie. »
[153] Sugkatathésis : consentement au péché. Le processus de la tentation est bien décrit par Marc le Moine, Traités, SO 41, 1985, p. 38-39. Il distingue nettement la sollicitation au péché, dont l’homme n’est nullement responsable et, d’autre part, le moment où l’homme accueille en lui la sollicitation et y répond favorablement, c’est là que commence le péché.
[154] Le mot parrhésia désigne une certaine liberté et familiarité avec Dieu, qui est le fait d’une proximité. Cf ; Isaac le Syrien, op. cit., 48ème Discours, p. 267 : « Par l’amour que les saints ont porté à Dieu à travers tout ce qu’ils ont souffert en son nom…leur cœur parvient à la liberté (parrhésia) de le regarder sans voile et de le solliciter avec confiance. Grande est la puissance de la prière quand l’homme est libre devant Dieu. » Voir aussi note 231.
[155] Cf. Marc le Moine, Traités, p. 39. Si le cœur s’attache à la suggestion, le péché mène à la passion (pathos) et à l’esclavage. Cf. aussi L’Échelle Sainte, 15ème degré, n° 74, p. 171.
[156] Mt. 7, 7.
[157] Pour ce sens de proairesis, cf par ex. S. Macaire, Homélies, SO 40, 1984, p. 415 (index).
[158] Cf. S. Isaac le Syrien, op. cit., 52ème Discours : « De même qu’une mère qui enseigne à marcher à son petit enfant s’éloigne de lui et l’appelle, et quand venant vers elle il se met à trembler et tombe à cause de sa faiblesse et de la délicatesse de ses pieds et de ses jambes, sa mère court et le prend dans ses bras, de même la grâce de Dieu tient et enseigne les hommes. » L’image se trouve aussi chez S. Macaire.
[159] Parrhésia, cf note 127.
[160] Cf l’apophtegme devenu proverbial : « Donne ton sang et reçois la grâce. » Apophtegmes des Pères du désert, série alphabétique, Longin, 5.
[161] Cf. Ct. 1, 4 : « Entraîne-moi sur tes pas, courons ! »
[162] Cf. Ac. 2, 2.
[163] Cf. 1 Cor. 4, 7.
[164] Cf. Mt 25, 21.
[165] Cf. Gn 1, 6.
[166] Cf. Ex. 20, 21.
[167] Cf. Lc 15, 11 – 32.
[168] Mt. 10, 37.
[169] Rm. 12, 1 : « Je vous exhorte donc, frères, au nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : ce sera là votre culte spirituel (logikén latreian) ».et aussi 1 Pi 2, 2.
[170] Cf. Mt 6, 33.
[171] Cf. Mt 16, 26
[172] Cf 1 Cor. 13, 10 : « Mais quand viendra la perfection (to teleion), ce qui est limité sera aboli ».
[173] Allusion au corps qui est notre séjour provisoire.
[174] Cf. 2 Ph 2, 8 : « Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur la croix. »
[175] Cf. Gn 3, 17 – 18 : « Il produira pour toi épines et chardons ».
[176] Gn. 3, 19.
[177] Qo 1, 2.
[178] Ps 102, 1.
[179] Cf. Lc 16, 26.
[180] C’est–à-dire que l’expression de ton attente se fasse par les larmes du repentir plutôt que par des vains discours.
[181] Ps. 67, 3 : « Comme fond la cire en face du feu, qu’ainsi périssent les pécheurs devant la face de Dieu ».
[182] Ps. 102, 10.
[183] Epignosis, cf entre autres Rm. 10,2, Ép. 1, 17, Col. 1, 10 ; 2 Tm 2, 25.
[184] Cf. 1 Cor. 9, 26.
[185] Mt 5, 42.
[186] Qo 1, 2.
[187] Cf. 1 Cor. 2, 15.
[188] Cf. Mt 10, 26.
[189] Cf. Ps. 65, 12 « Tu as laissé des hommes chevaucher sur nos têtes, nous sommes passés par le feu et par l’eau, puis tu nous a conduits au lieu du rafraîchissement. »
[190] Jn 13, 34.
[191] Cf. 1 P 2, 8 et Is. 8, 14.
[192] Méditation de l’écriture sainte.
[193] Pr. 10, 19.
[194]Cf. Ps. 19, 4.
[195] Mt. 5, 42.
[196] Cf. Ps. 90, 13.
[197] Selon le soixante et unième canon apostolique, un homme qui a perdu sa virginité avant le mariage ne peut pas être prêtre.
[198] Lc. 2, 29.
[199] Qo 1, 2.
[200] Ac. 17, 28.
[201] Mt. 19, 17.
[202] Cf. 2 Co. 12, 9.
[203] Travail manuel quotidien effectué par le moine.
[204] Cf. Ep. 5, 16.
[205] L’expression est de S. Paul, cf. Ph 3, 15, Col 1, 28.
[206] Cf. Mt. 10, 29 – 30.
[207] Cf. Ps. 32, 10.
[208] Mot à mot : « Quelqu’un de la pratique ».
[209] Cf. Ep. 15, 16 – 17.
[210] Mot à mot : « Racheter le temps », Cf Ep. 5, 16, Col. 4, 5.
[211] Cf. Jb 1, 6 – 12.
[212] Cf. Marc le Moine, SO 41, 113, 24 et S. Athanase, Vie de S. Antoine, SC, 3, 1-3 : L’ascèse est décrite comme le fait d’être « attentif à soi-même. » L’expression se trouve dans le Deutéronome XV, 9. Voir aussi le commentaire que fait S. Grégoire Palamas in Triades I, 2, 9 (éd. Meyendorff, p. 90 – 93)
[213] Cf. Lc. 2, 14.
[214] Cf. Mt 7, 14.
[215] Cf. Jn 10, 11
[216] Cf. Mt 20, 28.
[217] Cf. Mt 18, 24
[218] Cf 1 Co 4, 7.
[219] Cf. Lc 15, 23.
[220] Cf. Lc 15, 20.
[221] Allusion au fait que le P. Joseph a d’abord fait partie des « vieux calendaristes », avant de se rallier avec toute sa communauté à l’église canonique dont relèvent les monastères athonites à l’exception de celui d’Esphigmène.
[222] Travail manuel fixe effectué par chaque moine.
[223] Absalon, fils de David, fit assassiner son frère Ammon et s’enfuit pour échapper à la colère de son père. Mais celui-ci l’autorisa revenir et il finit par obtenir son pardon. Cf. 2 S 13.
[224] Cf. Lc 15, 22.
[225] Cf le thème des larmes d’Adam chassé du Paradis : « En pleurant, Adam criait vers Dieu : ‘Mon âme languit après toi, Seigneur et je te cherche avec des larmes. Vois mon affliction…Je ne puis t’oublier…Ton regard paisible et doux a capturé mon âme. Mon esprit était plein de joie dans le Paradis où je voyais ta Face.’ » Starets Silouane, dans Archimandrite Sophrony, Starets Silouane, éd. Présence 1973, p. 262. Ainsi que l’extrapostilaire du Grand Lundi repris pendant toute la Grande Semaine : « Ta chambre, je la vois, ô mon Sauveur, toute illuminée, et je n’ai pas l’habit nuptial pour y entrer et jouir de ta clarté : illumine le vêtement de mon âme et sauve-moi Seigneur, sauve-moi ».
[226] Le moine « pratique » est celui qui ayant l’expérience des épreuve et des tentations peut les surmonter.
[227] Le « lieu de Repentir » est une manière commune pour un moine de désigner le monastère.
[228] Manière courante de désigner la Sainte-Montagne.
[229] Sceaux en bois pour les prosphores qui sont vendus aux visiteurs.
[230] Hb 13, 14.
[231] Photini en grec signifie : « lumineuse ».
[232] Cf. Ps. 2, 12.
[233] Gn. 3, 19.
[234] Cf. Ps 15, 8.
[235] Cf. 1 Co 4, 7.
[236] Cf. Jn 8, 32.
[237] Cf. Nicodemos of the Holy Mountain, A Handbook of spiritual counsel, New York 1989, p. 158 –159 et glossaire.
[238] Cf Dt. 6, 5.
[239] Cf. Ex. 20, 5.
[240] Cf. Jn 14, 23.
[241] Cf. 1 Co 3, 16.
[242] Gal. 3, 27.
[243] Cf. Rm 9, 33.Is 8, 14.
[244] S. Jean- Baptiste.
[245] Ac 17, 28.
[246] Cf. S. Isaac le Syrien, Discours Ascétiques, p. 278 (50ème Discours) : « Si tout est là, ô toi qui sais discerner, les épreuves sont donc un grand don. Car plus l’homme s’élève et pénètre dans la vie spirituelle à l’image de Paul, plus il a besoin de craindre et de se garder, plus il tire avantage des épreuves qui lui arrivent. »
[247] Hb. 12, 6 et Ap 13, 19.
[248] Par une pénitence.
[249] Cf. S. Jean Climaque, L’échelle Sainte, SO 24, p. 284 (62) : « Que le souvenir de Jésus ne fasse qu’un avec ton souffle, et alors tu connaîtras l’utilité de l’hésychia ».
[250] Jn 13, 34.
[251] Balayure, ordure.
[252] Cf. Mt 7, 2 : « de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous ».
[253] Avec le noûs.
[254] Ou : « sobriété » (népsis) cf. 1 Thes 5, 6 « Restons éveillés (grégorômen) et soyons sobres (néphômen) » ou Vie de S.Antoine, 21, 2= SC 400, p. 193 : « Nous conduisant ainsi, restons sobres (néphômen) en toute assurance et, comme il est écrit : gardons notre cœur avec tout le soin possible (Prov. 4, 23) ». C’est une notion très importante de la vie spirituelle. Elle désigne une surveillance attentive de l’esprit (noûs) et du cœur pour empêcher tout pensée d’y pénétrer, en se défiant de toute image mentale car : « De la suggestion naissent de nombreuses pensées, et de celles-ci la mauvaise action sensible. Mais celui qui avec Jésus éteint aussitôt la premiére, échappe à la suite et s’enrichira de la douce connaissance divine par laquelle il trouvera Dieu qui est partout présent. Tenant devant Dieu le miroir de l’esprit (noûs), il est constamment illuminé, à l’image du cristal pur et du soleil sensible. Alors, parvenue à la cime ultime des désirs, l’esprit (noûs) se reposera en lui de toute autre contemplation » Hésychius de Batos , Sur la sobriété et la vigilance(88) = Philocalie I, p.205 (trad. Touraille).Voir aussi, entre autres, les Sentences des Pères du désert, Solesmes 1966, chapitre XI : De la vigilance.
La suggestion du mal (prosbolé), son incitation initiale, ne dépend pas de nous, mais : « Ce qui est en notre pouvoir, c’est de garder une constante vigilance et de repousser chaque suggestion aussitôt, dès sa « première hémamanifestation », tandis qu’elle n’est encore qu’une « prôtonoia », une pensée à son début . Dès que nous le faisons, le progrès de la tentation est arrêté net et nous prévenons le développement des étapes suivantes ». Cette étape est antérieure à la formation d’une pensée ou « logismos », car la suggestion n’est pas accompagnée par une image ; « Le fait précis qu’une image ait pu se développer en nous indique, dans une certaine mesure un consentement intérieur. La suggestion devient alors logismos, et nous sommes tenus pour responsable de nos mauvaises pensées. La soigneuse distinction que Marc fait est à remarquer :la « suggestion » provient du démon ; la pensée que cette suggestion suscite provient de nous ». Cf. Marc le Moine, Traités, SO 41, 1985, introduction de Mgr Kallistos Ware, p. XXIX.
[255] Aschématismos : non informé par une pensée. Sur cette notion voir la note 9..
[256] Cf. Mt. 9, 22.
[257] Cf. Ps. 117, 24 : « Voici le jour que le Seigneur a fait ». Souvent interprété comme un e allusion à la Résurrection du Christ. Ici il s’agit plutôt des « âges ou époques ».
[258] 2 R 12, 13 : Confession de David à Nathan.
[259] Id. ibid.
[260] Parrhésia, cf. note 129. On peut ajouter que cette assurance est le fruit de la pureté, elle-même conséquence de la lutte contre les passions cf. S. Isaac le Syrien, Lettre 4 in Discours Ascétiques, p. 475 : « Les passions sont des portes fermées devant la pureté. Si on n’ouvre pas la porte fermée, on n’entrera pas dans le lieu pur et chaste du cœur. Mais quand tu as dis que l’âme n’a pas d’assurance à l’heure de la prière tu as dit vrai. Car l’assurance est non seulement plus haute que les passions, mais plus haute que la pureté. Tel est l’ordre que nous a transmis la tradition, et que je dis ici : l’ardente patience combat les passions. C’est ainsi que l’on parvient à la pureté. Et la vraie pureté permet à l’esprit (noûs) d’acquérir l’assurance à l’heure de la prière. »
[261] Cf. Isaïe 8, 18 LXX.
[262] Cf. S. Isaac le Syrien, Discours Ascétiques, p. 188 (30ème Discours) : « Il n’est pas de péché dont on ne puisse être pardonné, sinon celui dont on ne se repent pas. »
[263] Pour ce sens de borboros voir par ex. S.Dorothée de Gaza, SC 92, Instruction VII, p. 293 = § 82.et « ordure » Lettre I, p. 497 § 182
[264] 1 Rois 25, 34
[265] Être attentif à soi-même, cf. Vie de S. Antoine, 3, 2 ( = SC 400, p. 137) : « En effet il n’y avait pas encore en Égypte de si nombreux ermitages et le moine ne savait rien du grand désert. Quiconque voulait être attentif à soi-même s’exerçait seul non loin de son village. »
[266] Cf. S. Jean Climaque, L’Échelle sainte, (SO 24, 204) 22, 16 : « Toutes les vertus que tu as acquises sans l’aide de ton esprit (noûs), celles-là seulement t’appartiennent ! Car ton intellect, c’est Dieu qui te l’a donné. Toutes les victoires que tu as remportées sans la coopération de ton corps, celles-là seulement sont le résultat de tes efforts ! Car ton corps lui-même est l’ouvrage de Dieu, et non le tien. »
[267] voir par exemple Nicétas Stéthatos, Chapitres gnostiques, (41) in Philocalie II, 325 : « Il y a trois ordres en ceux qui avancent sur les degrés montant à la perfection : l’ordre de la purification, l’ordre de l’illumination, l’ordre de l’union mystique qui rend parfait. Le premier est celui des novices. Le second est celui des moyens. Le troisième celui des parfaits. Car, gravissant dans l’ordre ces trois degrés, celui qui se voue à la vertu croît jusqu’à atteindre la taille du Christ, jusqu’à devenir un homme parfait à la mesure de la plénitude du Christ. » (cf. Eph. 4, 13).
[268] Dans une homélie fameuse S.Basile explique que tout ce qui vient de Dieu est l’expression de la divine bonté et que Dieu n’est pas l’auteur du mal cf. PG 31, 329-353. Traduction par M.-C.Rosset dans Dieu et le mal, « Les Pères dans la foi » n°69, Paris 1977.
[269] Cf. Mt. 22, 37 – 40.
[270] 1 Cor. 13, 4 – 5.
[271] 1 Jn 4, 16.
[272] Ac. 17, 28.
[273] Ps 150, 5.
[274] Dt. 6, 5 LXX.
[275] Cf. note 236 et l’important commentaire de P. Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique (2ème édition), Albin Michel, 2002, p. 81 sq.
[276] Cf Rm. 8, 35 : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? ».
[277] Cf. 1 Jn 4, 16.
[278] Ou : « ma prière ».
[279] Cf. Mt. 11, 12.
[280] Proairesis : libre choix, cf. S. Macaire, Homélies, SO 40, 1984, p. 415 (index).
[281] C’est-à-dire sans le vouloir.
[282] Cf. Phil. 1, 21 – 23.
Μέ τήν εὐλογία τοῦ πατρός Δαμασκηνοῦ Γρηγοριάτου